jeudi 15 mai 2014

232e jour - La Cour d'appel autorise Imperial à procéder à l'interrogatoire judiciaire de Cécilia Létourneau sur son dossier médical, mais cette autorisation pourrait ne servir à rien

(PCr)

I
Dans un arrêt daté du 13 mai dernier, trois juges de la Cour d'appel du Québec renversent la décision interlocutoire du juge J. Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec de ne pas autoriser Imperial Tobacco Canada à exiger que Cécilia Létourneau, la représentante du collectif des personnes dépendantes à la nicotine qui poursuivent les cigarettiers, soit assignée à comparaître devant le tribunal en possession de son dossier médical. Depuis mars 2012, Mme Létourneau a souvent assisté aux auditions du procès actuel, silencieuse et attentive, mais son dernier témoignage devant un juge en rapport avec sa consommation de tabac remonte à 1997, quand elle présentait une réclamation individuelle devant la section des petites créances de la Cour du Québec. À l'époque, elle avait perdu sa cause. Bientôt, le possible examen détaillé de son cas va permettre à la défense de l'industrie de tenter de convaincre le tribunal de l'inopportunité de verser des dédommagements à un million et demi de personnes.

L'obligation de produire devant le Cour supérieure le dossier médical complet de feu Jean-Yves Blais (1944-2012) est aussi faite par la Cour d'appel à sa succession et aux avocats du groupe des fumeurs et anciens fumeurs victimes d'un cancer ou d'emphysème, personnes qui constituent le deuxième groupe de demandeurs au procès contre les trois principaux cigarettiers du marché canadien.

Les juges Marie-France Bich, Jacques Dufresne et Dominique Bélanger considèrent que c'est le droit de la défense du cigarettier Imperial de faire sa preuve en utilisant ces documents, tout en statuant aussi que c'est la prérogative du juge de première instance (le juge Riordan) de décider si cette obligation doit être faite à d'autres membres d'un recours collectif. Brian Riordan avait jugé que ce ne devait pas être le cas et Imperial ne pourra donc pas exiger de la trentaine de fumeurs et anciens fumeurs qu'elle avait dit vouloir faire témoigner d'apporter leur dossier médical. (Me Suzanne Côté a promis mercredi que le tribunal saura d'ici mardi soir prochain si sa cliente Imperial trouve quand même utile l'interrogatoire d'autres demandeurs que les deux représentants des collectifs de demandeurs.) (Tous les juristes dans la salle savent que M. Blais est décédé. Votre serviteur n'a pas compris qui serait interrogé à sa place.)

Dans l'ensemble, la plus haute cour de justice du Québec donne donc plutôt raison à l'honorable Riordan dans sa manière d'instruire le procès, et se déclare soucieuse de cohérence avec ses arrêts antérieurs  (Ce n'est pas la première fois que l'industrie du tabac faisait appel d'une décision de Brian Riordan.), tout en réfutant la thèse défendue par les recours collectifs qu'il y avait chose jugée.

Comme si la Cour d'appel voulait décourager le cigarettier Imperial de revenir si souvent devant elle pour contester des décisions de gestion, elle impose à l'appelante de couvrir les frais de l'appel.

En vertu d'échanges entre les parties qui ont précédé le procès en tant que tel devant le tribunal, la défense des trois compagnies a déjà à sa disposition des dépositions et les dossiers médicaux de Mme Létourneau et de M. Blais, mais ces dossiers datent tous deux de plusieurs années.

Recueillir auprès de divers établissements de santé tous les documents qui constituent le dossier médical d'une personne est loin d'être une partie de plaisir, comme l'ont fait valoir des avocats des recours collectifs au fil des débats des dernières années. Les fumeurs et anciens fumeurs qu'Imperial convoquera éventuellement à la barre des témoins, une visite au palais de justice qu'il serait hasardeux d'imaginer agréable pour la plupart d'entre eux, trouveront une certaine consolation à ce que l'exercice de livrer un dossier médical à des avocats ne soit imposé qu'à deux personnes, dont une sera représentée par sa succession. Il est facile d'imaginer que des gens interrogés sur leurs antécédents médicaux relatifs à une longue période de leur vie, même avec la meilleure bonne volonté du monde, auront au moins autant de trous de mémoire que les cadres de l'industrie du tabac interrogés sur leurs réalisations professionnelles.

Éventuellement, si l'honorable J. Brian Riordan écrit un jour dans son jugement final que les membres des recours collectifs ont droit à un dédommagement compensatoire, les réclamants devront se qualifier pour toucher leur part, et donc produire une sorte de dossier médical. Mais cela ne se passera pas au palais de justice, devant la presse et au milieu d'un groupe de personnes en toges. Bref, c'est une autre histoire.


Un procès qui sera terminé avant Noël

Du côté de la rue Notre-Dame opposé à celui de la Cour d'appel du Québec, là où siègent les tribunaux de première instance dans le district judiciaire de Montréal, la connaissance de la décision des juges d'appel a entraîné mercredi une discussion sur le calendrier des événements à venir dans le procès dont vous suivez ici les péripéties.

Puisque les fumeurs ou anciens fumeurs qu'Imperial a dit vouloir faire comparaître, avec ou sans dossier médical, n'auront pas d'obligation de le produire, ce qui aurait nécessité de très longs délais, le juge Riordan a dit s'attendre à ce que les interrogatoires de ces personnes commencent dès la dernière semaine de mai, ou une semaine plus tard si Imperial Tobacco est en mesure de le convaincre que la cadence permettra d'en finir avec cette étape du procès avant le 19 juin.

Le juge a ensuite discuté avec les parties au sujet du temps nécessaire pour préparer leurs argumentations écrites et livrer leurs plaidoiries, afin de tout boucler avant Noël.

II
Pas de renversement des rôles

Le reste de la journée de mercredi a été consacré, possiblement pour la dernière fois, à l'enregistrement, notamment en vertu de l'interprétation riordanienne de l'article 2870 du Code civil du Québec, de pièces au dossier de la preuve. Les deux camps ont versé des documents à la preuve.

Parmi les nouvelles pièces, il se trouve de nouveaux extraits du journal des débats de la Chambre des Communes à Ottawa que la défense de Rothmans, Benson & Hedges (RBH) a fait verser au dossier de la preuve. Entre autre un débat qui remonte au milieu des années 1950, quand Paul Martin père (1903-1992) était ministre fédéral de la Santé.

Signe des temps. L'an passé, dans la même salle 17.09 du palais de justice de Montréal, les défendeurs des cigarettiers faisaient toute une esclandre à propos de l'immunité parlementaire. Il semble que cette immunité protège mieux les présidents de compagnies en commission parlementaire que les députés à la période des questions.

Mercredi, à Me Pierre-Alexandre Bouchard de RBH, le juge Riordan a confirmé qu'il comprenait que les documents parlementaires n'avaient pas pour but d'incriminer qui que ce soit.

Il est concevable qu'après l'arrêt de la Cour suprême du Canada de 2011, et l'arrêt de 2012 de la Cour d'appel du Québec à l'effet que le jugement de 2011 s'appliquait au procès présidé par Brian Riordan, la Couronne fédérale n'est pas accusée, ne peut pas être accusée, et ne devra pas payer pour les pots cassés lors de l'épidémie de tabagisme des années 1950-1998.

L'auteur de ce blogue se demande tout de même comment l'honorable Brian Riordan, dans la rédaction de son jugement final sur la responsabilité civile des cigarettiers, va composer avec la masse de documents que la défense a fait entrer au dossier de la preuve depuis un an et qui font ressortir à tout le moins certaines « maladresses » du gouvernement fédéral canadien au fil de la deuxième moitié du 20e siècle.

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Le procureur des recours collectifs Pierre Boivin a remarqué que plusieurs documents que Me Nancy Roberts de la défense d'Imperial enregistrait en preuve mercredi après-midi susciteraient des objections de la partie demanderesse au procès si celle-ci appliquait les mêmes critères que les défendeurs des cigarettiers.

La plus grande souplesse des recours collectifs ne leur a pas pour autant valu d'échapper à des objections formulées par les avocats des cigarettiers quand Me Boivin a tenté de faire verser en preuve un document de la Société canadienne du cancer énumérant les violations commises par les cigarettiers canadiens de leur propre code d'autoréglementation. Ce document est l'oeuvre de Rob Cunningham et Kenneth Kyle.

À entendre Me Simon Potter (RBH) et Me Catherine McKenzie (JTI-Macdonald), qui ont souvenance d'avoir déjà vu l'un des auteurs (Cunningham) assis au fond de la salle d'audience (pas loin des deux blogueurs), la partie demanderesse devrait le convoquer à la barre des témoins.

Le juge Riordan n'a pas caché son irritation qu'il faille en passer par là, mais il a laissé la mention R (pour « sous réserve ») sur le document et souhaité que les parties s'entendent sur la suite à donner pour que le document figure en bonnes et dues formes au dossier de la preuve.

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La prochaine audition aura lieu le mercredi 21 mai.

Aucun témoin n'est attendu ce jour-là mais des décisions seront prises sur les activités du reste du mois de mai et du mois de juin.

NOUVELLE DE DERNIÈRE HEURE DATÉE DU 20 MAI: l'audition du 21 mai est annulée. Prochaine audition le 23 mai.