mardi 22 avril 2014

227e jour - Marketing 101 avec le professeur Soberman

(SGa)

À sa deuxième journée de comparution, le professeur David Allan Soberman a poursuivi son cours de marketing 101. Ce professeur de marketing de l'École d'administration des affaires Rotman de l'Université de Toronto s'y connaît en cette matière, c'est un fait indéniable. Son doctorat en marketing obtenu en 1996 et ses multiples expériences comme praticien en entreprises privées (Nabisco, Molson, Hershey, etc) le prouvent bien. Par conséquent, l'homme a fait largement l'étalage de ses connaissances lors de cette journée.

On a souvent eu l'impression d'avoir droit à un cours de marketing où il est question de concepts de marketing de base, de l'importance de mener des actions offensives en marketing afin de préserver des parts de marché et du marketing comme moyen de rehausser la valeur intrinsèque des biens que les gens utilisent au quotidien. Sur ce dernier point, on peut presque dire, à écouter les arguments de M. Soberman qu'en appliquant les concepts du marketing, le bonheur est dans le pré.

Invité par JTI Macdonald pour répliquer au rapport de Richard Pollay, professeur de marketing engagé par les recours collectif,  M. Soberman ne s'est pas gêné pour l'écorcher... d'une manière diplomatique.


Un rapport peu crédible 

Selon l'expert de la défense, on ne doit pas accorder une grande crédibilité au rapport Pollay et cela, pour plusieurs raisons. M. Pollay ne cite pas des modèles de psychologie du consommateur pertinents, il saisit mal comment la publicité est reçue par les consommateurs, il ne comprend pas la signification de ce qu'est un marché mature, il interprète la publicité sur le tabac dans un contexte règlementaire et temporel inadéquat et il base les conclusions de son rapport sur des exemples non pertinents provenant des États-Unis.

« Le rapport de M. Pollay raconte une histoire mais cette histoire contient de nombreux manques et défauts. Les définitions et les concepts qu'on y retrouvent apparaissent être contradictoires avec les théories généralement acceptées en marketing. » (traduction libre)


La publicité sur le tabac n'influence pas les jeunes

Ensuite, M. Soberman s'est employé à atténuer la thèse selon laquelle la publicité a une influence sur les décisions d'achat des consommateurs. Quel a été alors l'utilité de tous ses milliards de dollars investis en marketing par les compagnies de tabac depuis des dizaines d'années? Pour M. Soberman, ce n'était clairement pas fait pour attirer de jeunes consommateurs vers les produits du tabac.

Selon lui, la décision des jeunes de fumer est prise après une longue réflexion et elle implique un haut degré d'engagement émotionnel. Une argumentation qui ne tient pas compte de la position de l'Organisation mondiale sur la santé et de plusieurs études sur le sujet qui concluent que la publicité a une grande influence sur la décision des jeunes de fumer.

M. Soberman minimise aussi le pouvoir de la publicité sur les consommateurs. Selon lui, le consommateur n'y croit pas. Dès leur jeune âge, les gens sont sceptiques à propos de la publicité, ils prennent en considération la provenance de l'information dans l'analyse qu'ils en font et ils doivent voir ou lire des tas de messages publicitaires avant que cela ait un quelconque impact sur eux. Bref, à en croire M. Soberman, les consommateurs sont presque faits de téflon et disposent tous d'un excellent jugement.


Pas d'impact sur la consommation 

L'analyse de M. Soberman sur le pouvoir de la publicité est, en ce sens, similaire à celle de l'économiste Heckman qui a comparu lors des 224e et 225e journées d'audience. L'économiste défendait l'argument selon lequel il y a absence d'effet significatif détectable de l'interdiction de la publicité sur la prévalence du tabagisme dans la population canadienne et particulièrement chez les jeunes. Autrement dit, l'interdiction de la publicité n'aurait pas eu comme effet important d'entraîner une baisse de la consommation des produits du tabac. D'autres causes en seraient responsables. Un scepticisme de bon aloi est permis ici.


Pourquoi toute cette publicité alors? 

Selon l'expert en marketing Soberman, les seules raisons pour lesquels JTI Macdonald dépensait tout cet argent dans le marketing étaient pour encourager les consommateurs à choisir ses propres marques de cigarettes, pour maintenir la loyauté des fumeurs existants envers leur marque de prédilection et pour accroître la part de marché de chacune des marques du fabricant. Enfin, selon l'expert, aucun cigarettier, même le plus petit, ne pouvait se permettre le luxe de ne pas investir dans le marketing. "Annonce ou meurt" était, pour ainsi dire, la devise.

L'expert a calculé pour chaque pourcentage de part de marché, il en coûtait 9 millions $ en publicité pour JTI Macdonald, en dollars de 2010. Un montant certes important mais qui peut paraître dérisoire face aux dégats globaux occasionnés par la cigarette. Selon le document The cost of Substance Abuse in Canada 2002, le tabac occasionnait en 2002 les plus importantes dépenses en santé, avant même l'alcool et les drogues illégales. Ce montant s'élevait à 17 milliards de dollars pour le Canada dont quatre milliards $ pour le Québec seulement. Traduit per capita, cela représente une dépense annuelle de 532 dollars.

Le témoignage de M. Soberman est censé se poursuivre le 22 et le 23 avril.