mardi 8 octobre 2013

Des multinationales du tabac obligées de se défendre dans un procès lancé par le gouvernement du Québec

(PCr)
La Cour d'appel du Québec, dans une décision rendue le 4 octobre dernier par le juge Jacques Fournier, a refusé d'entendre sur le fond un appel de la décision du 4 juillet du juge Sanfaçon qui a maintenu parmi les compagnies intimées dans le procès qu'il préside British American Tobacco (Investments) Limited, BAT Industries p.l.c., Carreras Rothmans Limited, R. J. Reynolds Tobacco Company et R. J. Reynolds Tobacco International Inc.

L'honorable Stéphane Sanfaçon de la Cour supérieure du Québec a pour lourde tâche d'instruire une affaire civile opposant le Procureur général du Québec aux trois principaux cigarettiers du marché canadien et à leur maisons-mères à un moment ou un autre depuis 1970. Le gouvernement québécois estime que l'industrie du tabac s'est comportée de manière irresponsable et réclame plus de 60 milliards en recouvrement du coût des soins de santé liés à l'usage du tabac plus les intérêts, pour la période allant de 1970 (entrée en vigueur de l'assurance-maladie gouvernementale) à 2030.

(2030 parce que même dans l'hypothèse où tout le monde avait arrêté de fumer au Québec en juin 2012, au moment du début de la poursuite judiciaire, il y aura vraisemblablement encore des échos du côté de la santé publique jusqu'en 2030)

BAT Industries (coté à la Bourse de Londres) et BAT Investments sont les structures légales de l'empire British American Tobacco, auquel appartient Imperial Tobacco Canada, le premier fournisseur de cigarettes du marché canadien, bien que cette compagnie ne fabrique aucune cigarette au pays.

Rothmans Carreras est une composante légale habituellement dormante de l'ancien empire Rothmans, empire aujourd'hui dissout dans l'empire Philip Morris International (coté à la Bourse de New York mais basé officiellement à Lausanne en Suisse), qui possède et contrôle au Canada Rothmans, Benson & Hedges, le numéro 2 des ventes au pays.

Ce qui s'appelle JTI-Macdonald depuis 1999 a appartenu à R. J. Reynolds Tobacco de 1974 à 1999, et a porté le nom de Macdonald Tobacco puis de RJR-Macdonald. En 1999, R. J. Reynolds a vendu à Japan Tobacco Inc de Tokyo ses filiales à l'étranger, qui était regroupées dans le holding R. J. Reynolds Tobacco International, rebaptisé Japan Tobacco International, et basé à Genève en Suisse.  À la même époque, aux États-Unis, BAT devenait l'actionnaire de contrôle de R. J. Reynolds.

Japan Tobacco International, Philip Morris International et Philip Morris USA, qui sont aussi mis en cause dans cette affaire, n'ont pas contesté la décision du juge Sanfaçon.

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En 1970, Imperial Tobacco Company of Canada Limited, Rothmans of Pall Mall (Canada), Macdonald Tobacco et Benson & Hedges Canada étaient les fournisseurs de la très écrasante majorité des cigarettes fumées par les Québécois. Rothmans Canada a fusionné avec Benson & Hedges Canada en 1986.

En 2012, Imperial, RBH et JTI-Mac n'avaient jamais cessé de fournir aux Québécois l'écrasante majorité des cigarettes qu'ils fument, même en tenant compte des cigarettes de contrebande en provenance de fabriques situées dans des réserves amérindiennes.


L'action en recouvrement (le procès numéro 3)

Il a fallu attendre juin 2012, soit trois ans après qu'une loi ait été votée au Parlement du Québec qui autorise une méga-poursuite judiciaire pour que le ministère de la Justice dépose sa requête introductive d'instance, c'est-à-dire demande un procès.

Entre temps, l'industrie canadienne du tabac a lancé une action en justice contre la loi en question.
(Ce blogue a donné un écho de ce procès, notamment dans une édition parue samedi dernier.)

C'est au moins en partie la raison pour laquelle aucun témoin n'est comparu devant le juge Sanfaçon, même si le procès est bel et bien commencé. Comme si on n'attendait pas beaucoup de visiteurs, les auditions ont lieu dans des petites salles à plafond bas, minuscules par comparaison avec celle où est plaidée la cause des collectifs de victimes alléguées des pratiques des cigarettiers.

Dans un premier temps, les compagnies de tabac ont commencé par tenter de faire suspendre l'instruction de l'affaire jusqu'à ce que le procès de la loi (procès numéro 2) soit instruit. Le juge Sanfaçon a refusé d'attendre la fin de cette histoire (son jugement du 10 janvier 2013). La Cour d'appel du Québec a refusé d'entendre un appel de sa décision.

Dans un deuxième temps, les maisons-mères ont essayé d'échapper à de possibles responsabilités. Le juge Sanfaçon a de nouveau refusé. C'était la décision du 4 juillet mentionnée plus haut. Le 27 septembre dernier, devant le juge Jacques Fournier de la Cour d'appel, certaines maisons-mères ont demandé au plus haut tribunal du Québec l'autorisation de plaider en appel de cette décision. On vient de voir au début de la présente édition que la Cour d'appel refuse de nouveau que le procès traverse la rue Notre-Dame.

(À Montréal, contrairement à ce qui est le cas dans la capitale, la Cour supérieure du Québec et la Cour d'appel du Québec siègent dans deux édifices différents, presque en face l'un de l'autre.)

Contester les fondements constitutionnels de la loi, puis tenter de soustraire les multinationales à leur responsabilité au Canada: l'industrie du tabac a opéré ce genre de manœuvres dans un action en recouvrement semblable lancée contre elle par le gouvernement de la Colombie-Britannique en 1998, avec pour résultat que l'affaire est enlisée depuis plusieurs années, même si la loi que la Législature de cette province avait votée pour préparer et faciliter la poursuite a passé devant la Cour suprême du Canada en 2005 le test de validité constitutionnelle.

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Une édition concernant la 171e journée du procès en recours collectifs contre les cigarettiers du marché canadien paraîtra demain matin.

Aujourd'hui mardi, il n'y a pas d'audition, puisque les avocats des deux parties sont parvenus à mener l'interrogatoire principal du témoin Anthony Kalhok, son contre-interrogatoire puis un interrogatoire complémentaire, en une seule journée, et que la défense de l'industrie n'avait pas de témoin de rechange à appeler à la dernière minute pour remplir la journée d'aujourd'hui.