lundi 4 novembre 2013

Appels au sujet de l'examen de dossiers médicaux individuels durant le procès: jamais trois sans quatre

(PCr)
En ce lendemain d'élections municipales dans tout le Québec, par un jour frais et ensoleillé d'automne à Montréal, tandis que JTI-Macdonald reprenait, avec un interrogatoire du chimiste Ray Howie, la présentation de sa preuve en défense devant un juge de la Cour supérieure, une bataille parallèle se déroulait devant un juge de la Cour d'appel du Québec, au sujet des assignations à produire un dossier médical qu'Imperial Tobacco Canada voudrait délivrer à un certain nombre de fumeurs et anciens fumeurs qui sont inscrits aux recours collectifs contre l'industrie.

L'édition de ce blogue relative au 160e jour, en août, a raconté la substance du débat en première instance devant le juge Brian Riordan.

Dans son jugement du 13 septembre dernier relatif à ce débat, l'honorable Riordan a rejeté pour une quatrième fois l'idée d'autoriser l'examen des biographies médicales individuelles lors du procès, et il a donc annulé les assignations à produire (subpoena duces tecum) le dossier médical qu'Imperial s'apprêtait à envoyer à des membres des collectifs. En revanche, le magistrat a autorisé la compagnie à convoquer quand même ces personnes à la barre des témoins, si elle le veut.

Serez-vous étonné d'apprendre que la compagnie de tabac a demandé à la Cour d'appel du Québec de réunir une formation de trois juges de ce tribunal pour entendre un appel de cette décision?

L'audition sur la permission d'aller en appel était présidée par l'honorable Yves-Marie Morissette et a eu lieu ce matin.

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D'entrée de jeu, le juge Morissette a dit qu'à la lecture de certains passages du jugement contesté, il avait eu parfois l'impression que le juge Riordan souhaitait connaître l'avis de la Cour d'appel sur le fond du litige, c'est-à-dire sur sa façon d'instruire cet élément de la preuve.

Le juge d'appel a ensuite résumé la décision de première instance contestée et a terminé en se demandant à haute voix si une deuxième formation de trois juges de la Cour d'appel pourrait faire mieux que la première formation, dont l'arrêt d'octobre 2012 avait été rédigé par le juge Richard Wagner avant sa nomination à la Cour suprême du Canada.

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Pour le compte d'Imperial, Me Suzanne Côté a fait valoir que dans le fond, sa compagnie avait besoin de procéder à des interrogatoires de membres des recours collectifs, avec dossiers médicaux sous la main, afin de pouvoir prouver qu'il n'y a pas suffisamment de similarités entre les biographies des fumeurs pour qu'un tribunal puisse instruire une affaire en recours collectif et décider de dommages compensatoires ou punitifs.

L'avocate a aussi avancé que les précédents arrêts de la Cour d'appel en rapport avec cette question, y compris l'arrêt rédigé par le juge Wagner, ne créaient pas une situation d'affaire jugée puisque les auditions relatives à ces arrêts avaient eu lieu avant que le procès commence.

Me Côté a souligné que des experts médicaux de la partie demanderesse, le pneumologue Alain Desjardins et l'oto-rhino-laryngologiste Louis Guertin, avaient reconnu l'hiver dernier en interrogatoire qu'il fallait une connaissance complète de la situation individuelle d'un patient pour produire un diagnostic de cancer du poumon ou des voies aéro-digestives supérieures. Pour l'avocate, il s'agit là d'une admission capitale.

Bien que ce n'est pas la première fois qu'Imperial conteste un jugement de première instance relatif à la comparution de membres des recours collectifs, et qu'un homme de la rue pourrait avoir l'impression que c'est la compagnie qui provoque des débats sur la question, Me Côté a dit qu'elle aurait aimé que le débat qui a eu lieu en août devant le juge Riordan et qui a donné lieu à une décision de ce dernier en septembre ait lieu après que l'industrie ait pu faire entendre ses experts médicaux. Bref, c'était trop tôt. Les experts sont attendus l'hiver prochain.

L'avocate d'Imperial n'a pas voulu préjuger de la valeur probante qu'auraient eu ces expertises à venir aux yeux du juge Riordan mais elle a dit croire à la pertinence d'une telle séquence d'événements. Une intervention de la Cour d'appel serait donc justifiée, pour toutes ces raisons.

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En défense du jugement de Brian Riordan, les avocats des recours collectifs Marc Beauchemin et Gordon Kugler ont pris la parole.

Me Beauchemin a commencé par souligner que nul n'est autorisé à demander inlassablement la même chose à une cour de justice sans donner l'impression d'abuser du système. L'avocat du cabinet De Grandpré Chait a souligné que le juge Riordan n'a pas demandé à la Cour d'appel de réviser ses jugements mais qu'elle l'a fait trois fois sur trois en sa faveur.

Me Beauchemin a ensuite analysé un cas qui fait jurisprudence où la Cour d'appel a émis l'opinion qu'un recours collectif ne doit pas être traité comme un faisceau de causes individuelles. L'avocat a souligné que les cigarettiers eux-mêmes, dans leur preuve en défense, ont eu recours à des experts, des experts en histoire, qui théorisent sur la « connaissance populaire » et généralisent à tout le monde une connaissance des méfaits sanitaires du tabac qui n'était pourtant pas partagée par de nombreux fumeurs.

Selon Marc Beauchemin, les distinctions entre les individus qui fonderaient l'attribution d'un dédommagement plus ou moins élevé doivent se faire et peuvent se faire au moment de la présentation des réclamations individuelles, une fois le jugement final rendu en faveur des recours collectifs, mais n'ont pas d'utilité pour déterminer le tort ou non des cigarettiers.

L'avocat des recours collectifs a répété de plusieurs façons que la Cour d'appel faisait face à la quatrième version d'une invitation à se pencher sur une chose déjà jugée par elle. Me Beauchemin a déploré que les membres des recours collectifs subissent la menace constante d'une remise en cause de leurs droits (à un recours collectif) (à un procès des cigarettiers plutôt que le leur).

Marc Beauchemin a affirmé au juge Morissette que le calendrier de la preuve en défense des cigarettiers fond comme peau de chagrin ces mois-ci et que l'audition d'un appel n'accélérera rien.

Me Gordon Kugler a enchaîné en faisant valoir au juge Morissette que s'il convoquait une formation de trois de ses collègues pour entendre un appel, Imperial n'avait aucune chance de gagner cette manche.

Le doyen dans le camp des avocats des recours collectifs a déclaré qu'un jugement supplémentaire n'aboutirait jamais à la conclusion que l'examen des dossiers médicaux individuels lors de l'instruction d'un recours collectif est nécessaire. Le mieux que peuvent espérer les cigarettiers est une porte entrouverte avec la mention que de tels dossiers pourraient être utiles.

Me Kugler a aussi cité certains articles du Code de procédure civile, notamment des articles de la séquence 1027 à 1032, où le législateur décrit le contenu et l'effet d'un jugement dans une action en recours collectif.

Pour les juristes dans la salle, ce pouvait être une toute autre histoire, mais pour l'auteur de ce blogue, il a été très instructif de lire ce bout du code, en particulier l'article 1031.
1031. Le tribunal ordonne le recouvrement collectif si la preuve permet d'établir d'une façon suffisamment exacte le montant total des réclamations des membres; il détermine alors le montant dû par le débiteur même si l'identité de chacun des membres ou le montant exact de leur réclamation n'est pas établi.
Comme Me Beauchemin, Me Kugler a répété de diverses manières que l'affaire devant le juge Morissette est une chose jugée. Le juge a confessé qu'il penchait en faveur de l'acceptation de la requête d'Imperial Tobacco en début de séance mais que les avocats l'avaient fait douter et qu'il allait avoir besoin de réflexion avant de trancher.

L'honorable Morissette a annoncé qu'il allait prévenir dès mercredi s'il fallait attendre de sa part un rejet écrit de la requête ou s'il fallait au contraire que les avocats des deux parties planifient avec lui une nouvelle audition devant trois de ses collègues de la Cour d'appel.

DERNIÈRE NOUVELLE DATÉE DU MERCREDI 6 NOVEMBRE: le juge Morissette a accordé à Imperial la permission demandée d'en appeler de la décision du 13 septembre 2013 du juge Brian Riordan. Une formation de trois juges d'appel entendra les parties le 28 février 2014.