Traduction par : Andréjean Luc, étudiant à la maîtrise en Droit et politiques de la santé, Faculté de droit, Université de Sherbrooke
Sous la supervision de : Marie-Ève Couture Ménard,
professeure agrégée, Faculté de droit, Université de Sherbrooke
Tout un contraste !
L’an dernier, lorsque 3 grandes compagnies de tabac ont
comparu devant l’honorable juge Thomas McEwan de la Cour supérieure de
l’Ontario afin de demander une prolongation de la période de sursis, la tension
dans la salle était palpable. La douzaine d’avocats représentant les compagnies
de tabac et les poursuivants jouaient du coude en prenant place en salle
d’audience, en plus de s’échanger des regards hostiles et des répliques
incisives.
Sans aller jusqu’à prétendre que l’audition de ce jour a
paru comme un rassemblement de paix, on y dénotait certainement un
cessez-le-feu. Il n’aurait pas été évident pour un regard extérieur de
constater la présence de parties opposées devant le juge, que ce soit avant ou
durant la courte audition. Alors que la salle se remplissait lentement, les
échanges entre les hommes vêtus de toges traditionnelles ont donné le ton de
bonne entente : «Comment a été votre séjour en Floride?», «Aujourd’hui, il
y a sourire sur toutes les lèvres!». [Notre traduction]
Il ne fallut que 10 brèves minutes au juge pour entendre et
accorder la demande de prolongation d’un délai additionnel de 6 mois de son ordonnance
de sursis ayant octroyé aux compagnies le droit de maintenir leurs activités,
somme toute comme à l’habitude alors que les procédures instituées contre elles
demeurent suspendues. Imperial Tobacco, suivie de Rothmans, Benson and Hedges,
puis de JTI-Macdonald, ont dévoilé avoir dûment soumis la documentation
nécessaire avant de remettre au juge un projet d’ordonnance à être entériné.
Il s’agissait d’une simple formalité lorsque le juge McEwan s’est
enquis d’obtenir le consentement des autres parties, ces dernières ayant
rapidement fait part de l’absence d’opposition.
Soit dit en passant
Ce n’est qu’après l’obtention du consentement des parties que
Me Mark Meland s’est exprimé sur la demande des compagnies d’obtenir une
prolongation de 6 mois afin d’en venir à une entente.
Me Meland représente les fumeurs du Québec dont l’ordonnance
de paiement compensatoire, totalisant la somme de 13 milliards $, a été bloquée
par les présentes procédures. Parmi les douzaines de poursuites, cette dernière
a été la seule s’étant rendue au stade du procès et ayant fait l’objet non pas
d’un, mais de deux jugements penchant fermement en faveur des poursuivants.
Ces derniers sont les « créanciers » qui semblent les plus contrariés
par les présentes procédures. Lors des auditions précédentes, Me Meland s’est
prononcé longuement et de manière convaincante (en apparence sans effet auprès
du juge) sur les effets néfastes du processus sur les victimes québécoises de
l’action collective, lesquelles se meurent sans pouvoir obtenir justice.
Aujourd’hui, ses commentaires ne visaient pas à apporter un
changement de décision immédiat, mais plutôt à émettre des réserves sur les
décisions passées et futures du juge McEwan.
Me Meland a diplomatiquement rétorqué au dur traitement
qu’avaient reçu ses doléances l’automne dernier par le juge McEwan. Il a
indirectement avancé que le juge McEwan avait injustement et erronément laissé
entendre que l’équipe québécoise ne s’était pas investie dans le processus de
médiation vu son opposition l’automne dernier à la prolongation de la durée du
sursis.
Le second point de Me Meland était possiblement dirigé au
juge ou l’était-il plutôt aux victimes dont justice n’a toujours pas été rendue,
et ce, plus de 20 ans après l’institution de leur poursuite. « Notre consentement
à la prolongation n’est pas un déni de l’urgence », dit-il. « Des gens se
meurent, ils continuent de s’affaiblir. L’urgence ne s’est pas apaisée, mais
nous avons un désir commun d’en venir à une entente le plus rapidement possible.
» [Notre traduction]*
Il ajouta enfin qu’une prolongation additionnelle ne ferait probablement
pas l’objet d’un consentement de leur part. En date du 30 septembre prochain,
une entente devrait avoir été conclue, dit-il, et à ce moment, 18 mois se
seront écoulés depuis l’institution des procédures en insolvabilité. « Nous
devons être conscient de l’impact de la situation sur nos clients. » [Notre
traduction]
Puisque nous sommes tous d’accord...
Imperial Tobacco a peut-être surestimé l’ouverture de ses
adversaires à acquiescer à ses demandes. Alors que l’audition semblait tirer à
sa fin, ces derniers ont présenté une nouvelle demande non communiquée et dont
les détails demeurent flous. Cette demande n'était ni incluse dans les
documents publiés pour l’audition et n’a fait l’objet d’aucune notification
préalable aux autres parties.
En l’absence de consentement, le juge McEwen ne pouvait se
prononcer immédiatement sur la question. Il a indiqué que malgré la
raisonnabilité de la demande, ce dernier laisserait à ITL la chance d’obtenir
la position des autres parties avant la fin de la semaine avant de se pencher
sur les prochaines étapes. À nos oreilles, il semblait signaler que les parties
opposées à cette demande avaient un choix : soit d’accepter de s’entendre
hors Cour sur la demande des compagnies, ou de revenir devant lui pour
argumenter (et perdre).
Non-dit
Peu de choses ont été dites aujourd’hui et aucun indice n’a
été dévoilé sur ce qui se passerait ou non derrière les portes closes des
négociations. Mis à part l’intervention de Me Meland sur la dégradation de
l’état de santé de ceux dont les cancers et maladies pulmonaires étaient liés
aux comportements fautifs des compagnies au cours du siècle dernier, il n’y
avait aucune référence à des considérations de santé. Les compagnies bénéficiant
d’une protection leur permettant d’exercer leurs activités comme à l’habitude auraient
aussi bien pu être des fabricants de crayons.
*Les citations verbales sont encore moins fiables
aujourd’hui. Cette Cour ontarienne a ordonné à tous les journalistes de se
limiter aux papiers et aux crayons.