lundi 22 juin 2015

L'industrie du tabac de nouveau devant un tribunal pour contester la LRCSS

Imperial Tobacco Canada (ITCL), Rothmans, Benson & Hedges (RBH) et JTI-Macdonald (JTIM) plaidaient jeudi dernier devant la Cour d'appel du Québec afin de faire déclarer invalide la Loi sur le recouvrement du coût des soins de santé et dommages-intérêts liés au tabac (LRCSS) de 2009, au motif qu'elle viole des droits protégés par la Charte des droits et libertés de la personne (une loi québécoise dont la mouture originale date de 1975 et qu'il ne faut pas confondre avec la Charte canadienne des droits et libertés, enchâssée dans constitution canadienne de 1982.)

Dans un jugement en première instance rendu en mars 2014, l'honorable Robert Mongeon de la Cour supérieure du Québec avait rejeté les prétentions de l'industrie. Le juge Mongeon a estimé que la Charte québécoise n'était pas davantage violée par la LRCSS que la Charte canadienne par une loi similaire de la Colombie-Britannique que la Cour suprême du Canada a jugé valide en 2011.

L'auteur du blogue n'était pas présent lors de l'audition de jeudi dernier devant la Cour d'appel du Québec à Montréal. Le récit vivant et détaillé qu'en fait la correspondante du Service d'information sur les procès du tabac, Cynthia Callard, pourrait cependant porter les lecteurs de longue date de Lumière sur les procès du tabac à croire que les procureurs des trois grands cigarettiers du marché canadien préfèrent, pour l'essentiel, se répéter que se contredire (voir notre relation du débat du début d'octobre 2013).

L'escalier sans fin
(oeuvre d'Escher)
Lorsqu'on apprend que Me Simon Potter (RBH), lors d'un point de presse, plutôt que Me François Grondin (JTIM), devant le tribunal, a servi la métaphore des « dés pipés » (par le législateur québécois en faveur du Procureur général du Québec dans son action en recouvrement du coût des soins de santé), on peut au moins noté que les avocats ont légèrement changé les partitions. Même sans cela cependant, le concert pourrait avoir davantage plu aux juges Manon Savard, Paul Vézina et Geneviève Marcotte, qu'au juge Robert Mongeon.

Reste qu'un élément nouveau s'est tout de même inséré le 1er juin dernier dans le contexte des plaidoiries de l'industrie: le jugement final qu'a alors rendu l'honorable J. Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec dans l'affaire opposant les trois mêmes cigarettiers à deux groupes de fumeurs et anciens fumeurs atteints de dépendance, ou d'emphysème ou d'un cancer au poumon ou à la gorge.

Tout en reconnaissant que plusieurs fumeurs avaient une part de responsabilité dans le mauvais sort qu'ils subissent, le juge Riordan a estimé que cela ne diminuait en rien les obligations qu'avaient les compagnies de tabac de bien informer le public, et il a imposé à ces dernières un dédommagement moral et des dommages punitifs. Le juge Riordan a aussi voulu voir dans la LRCSS une validation de son interprétation du droit en matière de recours collectifs et il a rejeté l'argument de l'industrie que le procès aurait dû faire défiler des fumeurs et anciens fumeurs à la barre des témoins afin de vérifier leurs fautes.

Une invalidation de la LRCSS par la Cour d'appel du Québec pourrait donc avoir un effet dans l'affaire « privée » dont les péripéties ont été racontées sur ce blogue.

vendredi 5 juin 2015

Un jugement qui fait des nuances tout en égratignant bien du monde

(édition complète)

Au fil des 1253 paragraphes de son jugement final rendu public le 1er juin, l'honorable J. Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec formule de nombreux jugements sur la preuve qui lui a été présentée par les parties, avant de déboucher sur la sentence que l'on connaît maintenant. (voir notre édition du 2 juin 2015 révisée)

Qui dit preuve dit témoignages et pièces au dossier.

Le verdict du juge Riordan, comme celui de nombreux magistrats au sortir d'un procès, se lit donc par moment comme un bulletin de résultats scolaires commentés. Certains témoins obtiennent des mentions honorables tandis que certains autres écopent de sévères critiques.

Les commentaires d'un juge sur la qualité d'un témoin de faits n'ont pas d'autre utilité que d'étayer le jugement aux yeux de ses lecteurs. Par contre, les commentaires sur les témoins-experts, dont l'expertise est susceptible d'être de nouveau sollicitée dans un autre procès, sont autant d'indications aux firmes d'avocats sur le potentiel de tel ou tel expert.

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De bons témoins, des moins bons, des divertissants

Jack Siemiatycki est détenteur d'un doctorat en épidémiologie et en statistique médicale de l'Université McGill et professeur d'épidémiologie à la Faculté de médecine de l'Université de Montréal. C'est à lui que la partie demanderesse au procès a demandé d'estimer le nombre de Québécois atteints d'emphysème ou d'un cancer du poumon ou de la gorge résultant d'une consommation de tabac.

Pour contrer le rapport d'expertise du professeur québécois, la défense des cigarettiers a fait venir des États-Unis et témoigner deux statisticiens et un épidémiologue (Laurentius Marais, Bertram Price, Kenneth Mundt).

Dans son jugement, le juge Riordan consacre une douzaine de pages à l'examen du rapport de l'expert des recours collectifs et de ses critiques.

Le tribunal ne se contente pas de reprocher à messieurs Marais, Price et Mundt de ne pas avoir proposé d'évaluation alternative et méthodologiquement à leur goût du nombre de victimes du tabac; il fait de l'épidémiologue Siemiatycki un expert modèle, parce qu'il n'a pas craint d'admettre les faiblesses qui pouvaient exister dans son rapport et a exprimé ouvertement de raisonnables convictions, tempérées par une inévitable dose d'incertitude.
[730] The Court found Dr. Siemiatycki to be a most credible and convincing witness, unafraid to admit weaknesses that might exist and forthright in stating reasonable convictions, tempered by a proper dose of inevitable incertitude. He fulfilled the expert's mission perfectly.
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C'est peut-être aux experts en histoire mandatés par la défense de l'industrie que le magistrat réserve ses plus sévères critiques. Il leur reproche d'avoir omis de considérer l'effet des annonces de tabac sur les perceptions du danger de fumer qu'avaient le public, tout en prêtant un effet certain et rapide aux articles de journalistes contenus dans ces mêmes journaux et magazines où proliféraient les annonces. En parlant de « scalpel », Brian Riordan n'est pas loin d'accuser ces historiens d'avoir découpé la réalité historique avec un exacto pour mieux étayer leur opinion.
[93] As well, it seems inconsistent, to say the least, that these experts should be so chary to opine on the effect of newspaper and magazine ads on people's perception when they have absolutely no hesitation with respect to the effect of articles and editorial cartoons in the very same newspapers and magazines in which those ads appeared. They seem to have been tracing their opinions with a scalpel in order to justify sidestepping such an obviously important factor. In doing so, they not only deprive the Court of potentially valuable assistance in its quest to ascertain one of the key facts in the case, but they also seriously damage their credibility.
Le juge Riordan remarque que le rapport préliminaire confidentiel de l'historien David Flaherty à Imperial Tobacco en 1988 prévoyait d'inclure la publicité du tabac dans l'examen de ce que le public s'est fait raconter sur l'usage du tabac au fil des décennies. Le rapport d'expertise du professeur Flaherty qui a été produit pour le procès fait comme si la publicité n'existait pas.

Le juge souligne crûment la similitude de la méthodologie de Jacques Lacoursière et de David Flaherty, et rappelle la morgue affichée par ce dernier devant le travail de Lacoursière.
[81] At the request of JTM and RBH, Jacques Lacoursière produced an exhaustive report chronicling the evolution of public knowledge (la connaissance populaire) of Quebec residents of the risks associated with smoking, including the risk of dependence (Exhibit 30028.1). He analyzed the print and broadcast media and government publications in Quebec over the Class Period. This was essentially a duplication of the work of Professor Flaherty, although, having dismissed Professor Lacoursière as "an amateur historian", Professor Flaherty would presumably not agree that it was of the same level of scholarship
Si le troisième historien mandaté par la défense de l'industrie, Robert John Perrins, semble échapper aux remontrances du juge, c'est peut-être parce que ce dernier l'utilise pour éclairer le comportement de Jacques LaRivière, qui fut de 1979 à 1994 l'homme de confiance du Conseil canadien des fabricants de produits du tabac (CTMC) en matière de communications et de relations publiques.

Le professeur Perrins considère qu'après 1969, il fallait être un excentrique attardé (outlier) pour nier la relation entre le tabagisme et plusieurs maladies. Tout le monde savait que fumer rend malade. Tout le monde, donc les compagnies, estime le juge Riordan. Or, nier la relation tabagisme-maladie est justement ce que faisait un document du Tobacco Institute que M. LaRivière a envoyé en 1979 à l'éditorialiste en chef du Montreal Star pour « injecter un peu de pensée rationnelle dans le débat et remplacer le sensationnalisme par des faits » (pièces 475 et 475A au dossier de la preuve).
[259] In the opinion of Professor Perrins, one of the Companies' experts, only "outliers" were denying the relationship between smoking and disease after 1969. He defined outliers as persons who defend a position that the vast majority of the community rejected. The Tobacco Institute document that the CTMC turned to "to inject some rational thinking into the debate and to replace the emotionalism with fact" was published ten years after Dr. Perrins' outlier date. It contradicted what the Companies knew to be the truth and it was sent to a newspaper, as were other similar communications at the time.
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S'agissant du phénomène de la dépendance au tabac, le juge Riordan ne se contente pas d'exprimer sa confiance en l'expertise du Dr Juan Negrete, un psychiatre québécois appelé à comparaître au tribunal par les recours collectifs; il souligne le complaisant amateurisme de la Dre Dominique Bourget, mandatée par JTI-Macdonald. Quant au psychologue John Davies appelé comme expert par Imperial, il apparaît sous la plume du juge comme un missionnaire porteur d'une Bonne nouvelle sur la façon de considérer la dépendance et un boutefeu qui n'apporte guère de lumière sur les questions à trancher par le tribunal.
[777] As pointed out earlier, one of them, Dr. Bourget, had little relevant experience in the field and had, for the most part, simply reviewed the literature, much of which was provided to her by ITL's lawyers. The other, Professor Davies, was on a mission to change the way the world thinks of addiction. The torch he was carrying, despite its strong incendiary effect, cast little light on the questions to be decided by the Court.
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Ce n'est pas seulement après avoir entendu certains experts, mais aussi devant certains passages de documents versés au dossier de la preuve, que le juge Riordan succombe parfois à l'envie de faire sourire les lecteurs de son long opus.

Dans une toute autre section du jugement final, où il est question d'un échange « coloré » de lettres entre l'iconoclaste Patrick O'Neill-Dunne, qui était président de Rothmans of Pall Mall à la fin des années 1950, et d'autres cadres de l'industrie canadienne du tabac, Brian Riordan fait allusion au duel au pistolet qui aurait pu résulter d'une pareille correspondance.
[610] As alluded to in the letter, Rothmans' announcements raised the ire of a number of tobacco executives and led to a colourful exchange of correspondence between some of them and Mr. O'Neill-Dunne that, in earlier times, could likely have culminated in duelling pistols at dawn.
Pour autant, le juge Riordan n'oublie pas de signaler ce qui est à ses yeux l'essentiel: sous la gouverne d'O'Neill-Dunne, Rothmans a paru vouloir admettre en 1958 que ses produits posaient problème en matière de santé, mais une remarque en 1964 de celui qui était son successeur, Wilmat Tennyson, montre bien que la compagnie canadienne se sentait davantage redevable envers son personnel et ses actionnaires qu'envers les êtres humains qui risquaient de souffrir d'avoir consommé du tabac. Au paragraphe 629, qui contient la citation de M. Tennyson, le juge déclare avoir trouvé « démoralisant » l'aveu du chef d'entreprise devant un parterre de l'Advertising and Sales Association.

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Raisonnements et usage de la documentation

Dans son verdict, le juge Riordan donne souvent l'apparence d'appuyer ses conclusions à propos des faits sur le raisonnement plutôt que sur une pièce au dossier ou sur un témoignage, peut-être souvent parce qu'il serait difficile de faire un choix parmi lesdites pièces et lesdits témoignages, qui abondent, ou parce que ce serait trop fastidieux d'indiquer comment leur recoupement force telle ou telle conclusion.

Par ailleurs, à la manière des procureurs des recours collectifs qui ont souvent utilisé les témoins appelés à la barre par l'industrie pour les retourner contre la défense, Brian Riordan utilise parfois, pour contredire l'argumentation d'un des deux camps, un témoin issu du même camp, comme lorsqu'il cite le témoignage de Peter Gage pour souligner à quel point David Stewart, le patron de Macdonald Tobacco (aujourd'hui JTI-Macdonald), était au courant que le tabac est un produit nocif.

Dans d'autres sections, si le juge Riordan paraît admettre une certaine ligne de pensée, c'est pour mieux en prendre le contrepied dans un paragraphe ultérieur.

Voici un exemple.

Le Continuous Market Assessment (CMA) est un sondage téléphonique qu'Imperial Tobacco, durant plusieurs années, a fait faire chaque mois auprès des fumeurs dans 28 grandes villes canadiennes et qui contenait entre autres des questions sur la perception des dangers du tabagisme.

La partie demanderesse au procès a voulu convaincre le tribunal que ce sondage prouvait qu'Imperial était au courant de l'état d'ignorance des dangers du tabagisme qui subsistait chez une forte proportion de fumeurs dans les années 1970 et 1980, et n'a rien fait pour corriger la situation. Appelés à la barre par la défense de l'industrie, le politologue Raymond Duch et la sociologue Claire Durand ont sévèrement critiqué la méthodologie du CMA et conclu qu'on ne peut pas s'y fier pour mesurer l'état des connaissances populaires.

En considérant le témoignage devant lui en 2012 d'un ancien marketeur d'Imperial, Ed Ricard, le juge Riordan estime cependant que la compagnie, à l'époque du CMA, considérait comme valables les données qui en ressortaient et prenait des décisions sur cette base; et ses données révélaient chez les fumeurs la persistance d'un fort degré d'ignorance des méfaits sanitaires du tabac. Et Brian Riordan d'observer que la « connaissance populaire » de ces méfaits, telle que définie par le professeur d'histoire David Flaherty, un autre expert de la défense, n'a pas été au rendez-vous avant 1982.
[333] From the figures out of The Canadian Tobacco Market at a Glance reproduced inthe table above, ITL would have concluded that from 52% (in 1971) to 21% (in 1989) ofsmokers did not feel that smoking was dangerous for anyone. The CMAs over that periodreflect the same level of ignorance. They also show that it was not until 1982 that thepercentage of respondents who felt that smoking was dangerous for anyone surpassed75%. This is the level of awareness that ITL's expert, Professor Flaherty, opined isrequired for something to be "common knowledge".
[334] It is true that the technical credibility of that data might be suspect in the eyes of an expert 30, 40 or 50 years later, but we must view this through ITL's eyes at the time. Mr. Ricard was there, and he confirmed that ITL believed the data and relied on it for important business decisions.
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Pour rejeter la thèse des avocats des recours collectifs suivant laquelle le tabac n'a aucune utilité, le juge déclare s'appuyer sur le témoignage de leur expert en dépendance, le Dr Juan Negrete, dans son premier rapport d'expertise (2006), en page 3. La nicotine a certains aspects bénéfiques, reprend le juge, comme d'aider la concentration et la relaxation.
[225] Although the Companies now admit that cigarettes are dangerous, the proof does not unconditionally support their uselessness. Even the Plaintiffs' expert on dependence, Dr. Negrete, admits that nicotine has certain beneficial aspects, for example, in aiding concentration and relaxation. (See Exhibit 1470.1, at page 3) 
Quand l'auteur du blogue a lu cela dans le jugement, il n'a pu faire autrement que de se souvenir que le Dr Negrete, dans son témoignage oral devant le tribunal au printemps 2013, a longuement expliqué le phénomène de l'allostase: le cerveau des personnes toxicomanes fonctionne mieux imbibé de leur drogue habituelle qu'à jeun. Le deuxième rapport d'expertise (2009) de Juan Negrete montre que les personnes qui déclarent le plus systématiquement une sensation de détente éprouvée au moment où elles fument sont aussi les personnes chez qui on observe le plus grand nombre d'autres manifestations de la dépendance au tabac.

Alors, est-ce que le juge Riordan cite le psychiatre Negrete hors contexte ?

Voici ce que dit le Dr Negrete, à la page 3 de son premier rapport: 

Les effets psycho-physiologiques de la nicotine dépendent beaucoup de la dose absorbée et du degré d'accoutumance. du fumeur. Elle peut causer une sensation d'euphorie et stimulation psychologique, mais aussi une réduction de 1'anxiété avec sensation de détente, et un effet de sédation. Ces deniers effets sont assez prononcés chez les fumeurs dépendants, car ils deviennent stresses quand le taux de nicotine dans 1'organisme descend a un niveau insuffisant. Donc, chez le fumeur habituel, la prise de nicotine produit un état d'éveil, avec une certaine euphorie, une capacité de concentration accrue, de la détente et, surtout, la disparition de 1'envie de fumer. La sensation de détente que 1'individu éprouve en fumant est en grande partie le résultat d'avoir satisfait sa compulsion de fumer, un état qui le tenait tendu et distrait.

Chose certaine, Brian Riordan n'était pas d'humeur à faire de quartier en rédigeant ce segment de son jugement.

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pièce 473C citée
dans le jugement final

Dans d'autres passages, le juge Riordan montre qu'il n'a pas toujours besoin d'un expert pour tirer des conclusions de l'examen d'un ensemble de pièces au dossier.

C'est ainsi que le magistrat mentionne les limites du rapport d'expertise du professeur de marketing Richard Pollay, un des témoins-experts de la partie demanderesse au procès, lorsqu'il s'agit de prouver une violation de l'article 219 de la Loi sur la protection du consommateur (LPC), qui interdit à un fabricant de faire de fausses représentations au consommateur.

Rien n'empêche cependant un juge de regarder lui-même dans le dossier de la preuve les annonces de cigarettes à qui les consommateurs potentiels ont été exposés, afin de juger si elles étaient trompeuses, à tout le moins pour un consommateur inexpérimenté. C'est ce que Brian Riordan a fait et il a conclu que plusieurs annonces, comme celle qui est visible ci-dessus, donnaient une impression que fumer n'est pas mauvais pour la santé. Et il déclare que la LPC a été violée.

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Après avoir analysé la preuve, le juge Brian Riordan estime que le phénomène de la compensation, qui survient souvent quand un fumeur se met à consommer une marque de cigarette à teneur abaissée en goudron et en nicotine, est partiel et temporaire.

Le juge déclare que c'est ce que les cigarettiers croyaient et qu'ils ont mis au courant le gouvernement fédéral canadien.

Le juge refuse de blâmer le gouvernement d'avoir crû réduire les méfaits sanitaires en laissant les cigarettiers proposer aux personnes trop dépendantes de la cigarette des cigarettes alors perçues par tout le monde comme moins dangereuses.
[350] The arguments that compensation is generally partial and temporary, i.e., thatafter a while the switcher stops compensating, seem logical and the Court is convinced that the Companies believed that to be the case. Nevertheless, even with only partial andtemporary compensation, there is still a hidden delivery.
[351] Given all this, should compensation or its hidden delivery be considered a safetydefect in reduced tar and nicotine cigarettes and did ITL know, or was it presumed toknow, of that risk or danger? If so, it would have had a duty to warn consumers about it,unless another defence applies.
[352] ITL does not deny that it was aware from very early in the Class Period thatcompensation occurred. In fact, the proof shows that it was the Companies, eitherindividually or through the CTMC, that warned Health Canada of the likelihood of thisessentially from the beginning, as seen from the following paragraph in RBH's Notes:664. Defendants themselves advised the federal government that compensationwould occur and negate at least some of the potential benefit of lower tarcigarettes for some smokers. Indeed, on May 20, 1971 the CTMC met withmembers of Agriculture Canada and National Health and Welfare’sInterdepartmental Committee on Less Hazardous Smoking. At the meeting, inresponse to the Interdepartmental Committee’s request for reduced nicotine levels,the CTMC warned the Interdepartmental Committee of compensation issues,including a tendency among smokers to "change smoking patterns to obtain aminimum daily level of nicotine when they switched to low nicotine brands at thatthis could increase the total intake of tar and gases."
[353] In spite of its awareness, Health Canada embraced reduced tar and nicotine andput forth the message that, if you can't stop smoking, at least switch to a lower tar andnicotine cigarette.
[354] We are not saying that Canada was wrong in going in that direction. It reflectsthe knowledge and beliefs of the time, and its principal message: "STOP SMOKING", wasincontestably well founded. On the other hand, Health Canada certainly appears to havebeen occupying the field with respect to information about reduced-delivery products.
[355] Once they had warned Health Canada of the situation regarding compensation,it is difficult to fault the Companies for not intervening more aggressively on that subject.To do so would have undermined the government's initiatives and possibly causedconfusion in the mind of the consumer. Perhaps more importantly, at the time it wasgenuinely thought that reduced delivery products were less harmful to smokers, even withcompensation.
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Les groupes pro-santé publique se sont déclarés heureux du jugement final du 1er juin 2015. L'industrie a signalé qu'elle fera appel.


NOTE RÉDIGÉE EN OCTOBRE 2016:  
La version du jugement final maintenant en ligne sur le site de la Société québécoise d'initiative juridique (SOQUIJ) contient une version française qui commence immédiatement après la version originale anglaise. L'hyperlien donné en début de notre relation est toujours le bon. Une fois sur la bonne page de la SOQUIJ, on peut télécharger une version Word du jugement et voir que la version française commence à la 278e page du fichier.

mardi 2 juin 2015

TROIS COMPAGNIES DE TABAC SONT DÉCLARÉES FAUTIVES ENVERS DES FUMEURS ET SONT CONDAMNÉES À DE LOURDES PEINES

(édition révisée)

Dans l'affaire opposant les trois principaux cigarettiers du marché canadien à deux groupes québécois de fumeurs et anciens fumeurs atteints de dépendance, d'emphysème ou d'un cancer au poumon ou à la gorge, l'honorable J. Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec a rendu public son jugement final lundi après-midi.
J. Brian Riordan, J.C.S.

Le tribunal conclut que les compagnies Imperial Tobacco Canada ltd (ITCL), Rothmans, Benson & Hedges inc. (RBH) ainsi que JTI-Macdonald Corp. (JTIM) ont commis de graves fautes en vertu du Code civil du Québec, de la Loi sur la protection du consommateur et de la Charte des droits et libertés de la personne, notamment en manquant à leur devoir de ne pas causer de préjudice à autrui et au devoir d'un fabricant d'informer ses clients des risques et dangers de ses produits.

Le juge Riordan condamne les trois cigarettiers à verser un dédommagement compensatoire moral de 15,5 milliards $ aux fumeurs ou anciens fumeurs de cigarettes atteints d'emphysème ou d'un cancer au poumon ou à la gorge (recours Blais/CQTS). (Ces sommes comprend des intérêts courus depuis 1998.)

Le jugement ne prévoit aucun dédommagement moral pour les victimes de la dépendance (recours Létourneau) « puisque la preuve ne permet pas d'établir d'une façon suffisamment exacte le montant total des réclamations des membres ».

Le juge condamne les défenderesses à verser 131 millions $ en dommages punitifs aux membres du recours Létourneau. Cependant, puisque plus de 900 000 Québécois sont potentiellement concernés par le règlement de ce recours collectif, le juge Riordan refuse de procéder à la distribution d'un montant d'environ 130 $ à chacun, au motif que ce serait onéreux et impraticable, et il déclare qu'il statuera plus tard sur la manière de débourser la pénalité.

En tenant compte de la capacité de payer des compagnies et des 15,5 milliards déjà prévus comme dédommagement moral aux membres du recours Blais, le juge limite à 30 000 $ par compagnie le dommage punitif à leur être versé.

Le tribunal a aussi ordonné le dépôt dans un compte en fiducie d'un montant de 1 131 090 000 $ afin de pourvoir à l'exécution provisoire du jugement, qu'il y ait ou non des appels.


Des questions tranchées

Tel qu'il l'avait annoncé aux parties, le juge Riordan s'est notamment employé à répondre à une série de questions empruntées au jugement d'autorisation des recours collectifs et du procès qui fut prononcé en février 2005 par l'honorable Pierre Jasmin de la Cour supérieure du Québec.

Globalement, les réponses se présentent ainsi:
  • Oui,durant la période considérée de 1950 à 1998, les compagnies défenderesses ont fabriqué et mis en marché un produit nocif pour la santé des consommateurs.
  • Oui, les défenderesses avaient connaissance des risques et des dangers associés à la consommation de leurs produits, et dès le début de la période considérée.
  • Non, les défenderesses n'ont pas choisi d'utiliser du tabac avec un ratio élevé nicotine/goudron avec pour but d'augmenter la dépendance. Elles ont suivi la politique du gouvernement fédéral canadien qui voulait diminuer les dégâts du tabagisme chez les personnes incapables d'arrêter de fumer, en faisant abaisser la teneur en goudron de chaque cigarette sans diminuer d'autant la dose de nicotine recherchée par le fumeur pour satisfaire son manque.
  • Oui, les défenderesses ont banalisé les risques et dangers du tabagisme et omis de divulguer ce qu'elles savaient à ce sujet, durant l'ensemble de la période.
  • Non, les défenderesses n'ont pas mis sur pied des stratégies de marketing qui véhiculaient de fausses informations sur les caractéristiques des cigarettes. Par contre, la publicité induisait en erreur les consommateurs inexpérimentés en véhiculant généralement des images de personnes attirantes et d'apparence saine, tout en brodant sur les thèmes de l'indépendance, de l'élégance, de la romance, de l'aventure ou du sport.
  • Oui, les défenderesses ont conspiré dès 1962 pour empêcher que les utilisateurs de leurs produits soient informés des risques inhérents à leur consommation.
  • Oui, les défenderesses ont porté atteinte au droit à la vie, à la sécurité et à l'intégrité des membres des recours collectifs, et ce n'était pas par accident mais par un choix de faire passer le profit avant la santé.
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Le jugement de 276 pages, en comptant les annexes, est rédigé en anglais, mais le juge a ordonné une traduction française.

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NOTE RÉDIGÉE EN OCTOBRE 2016:  
La version du jugement final maintenant en ligne sur le site de la Société québécoise d'initiative juridique (SOQUIJ) contient une version française qui commence immédiatement après la version originale anglaise. L'hyperlien donné en début de notre relation est toujours le bon. Une fois sur la bonne page de la SOQUIJ, on peut télécharger une version Word du jugement et voir que la version française commence à la 278e page du fichier.