mardi 7 avril 2015

Le champ de bataille canadien en 2015 vu par British American Tobacco

Comme Cynthia Callard le notait lundi, dans une courte édition spéciale du blogue Eye on the trials, c'est parmi les renseignements régulièrement transmis par les multinationales du tabac à leurs actionnaires que le public a la meilleure chance d'accéder à l'information la plus à jour sur l'état d'avancement des poursuites intentées contre l'industrie du tabac par les gouvernements provinciaux canadiens.

L'extrême discrétion des gouvernements apporte un démenti cinglant à ceux qui pourraient imaginer que les poursuites pour récupérer le coût des dépenses publiques de santé liées au tabagisme visaient à se faire facilement du capital politique sur le dos des « gros méchants capitalisses » profiteurs de l'épidémie de tabagisme, ou autrement, à faire réfléchir ceux qui disent que les gouvernements profitent financièrement de la situation avec les taxes sur le tabac.
Imperial Tobacco Canada est
une filiale à 100 % de BAT

Dans les pages 194 à 196 du rapport annuel de British American Tobacco (BAT) de Londres, publié en mars dernier, on peut prendre connaissance des faits suivants:
  • Des ententes ont été conclues sur le calendrier des procédures dans les causes opposant l'industrie à la Nouvelle-Écosse, l'Île-du-Prince-Édouard (IPE), la Saskatchewan et le Manitoba. En vertu de ces ententes, BAT s'est engagé à produire avant la fin de février sa défense écrite face aux reproches formulées dans les requêtes originales de la Saskatchewan et de l'IPE, et à faire de même avant juillet 2015 dans l'affaire similaire qui l'oppose à la Nouvelle-Écosse. Les ententes prévoient que la production de documents (préalables à d'éventuels interrogatoires) commencera en janvier 2017 dans l'affaire du Manitoba, et en septembre 2017, dans les cas de la Saskatchewan, de la Nouvelle-Écosse et de l'IPE. 
  • Alors que la Cour suprême du Canada a statué à l'été 2011 que la Couronne fédérale ne peut pas être partie prenante aux causes qui opposent les gouvernements provinciaux à l'industrie du tabac, même si cette dernière a longtemps espérer refiler une partie de la facture éventuelle à un gouvernement dont elle prétend avoir suivi les conseils, le gouvernement fédéral canadien continue de batailler avec BAT et les autres compagnies pour se faire payer les frais de son implication, par la faute de l'industrie, dans toutes ces affaires. Il réclame 5 millions $ à Imperial Tobacco Canada, la filiale de BAT et le numéro 1 des ventes de cigarettes au Canada, et le même montant à l'ensemble des autres compagnies défenderesses. Compte tenu que le gouvernement fédéral a été obligé de se défendre durant plus de dix ans, ces sommes ne paraissent pas exagérées, c'est le moins qu'on puisse dire.
  • On apprend que le montant réclamé par le Nouveau-Brunswick est de 19 milliards $. Les autres provinces dont le montant de réclamation est connu sont le Québec (60 milliards $), l'Ontario (50 milliards $) et l'Alberta (10 milliards $).
  • Des auditions relatives à des requêtes préliminaires à un procès ont eu lieu en janvier, dans l'affaire albertaine, et étaient prévues en mars, dans l'affaire de la province de Terre-Neuve.
  • La cause du Nouveau-Brunswick semble la plus avancée et la seule où l'échange préliminaire de documents est terminé, au point où des interrogatoires préliminaires (à la comparution devant le juge) sont en cours. Même dans ce cas cependant, le rendez-vous devant un juge n'est pas encore fixé. 
Ce qui pourrait rassurer les actionnaires de BAT et chagriner les partisans de la santé publique ailleurs qu'au Canada, c'est qu'en dépit d'une progression si lente des litiges canadiens impliquant l'industrie du tabac, la compagnie, dans une présentation sur la dette des investisseurs diffusée en mars, décrit le Canada comme la juridiction « la plus active » en matière de litiges. Quant au procès en recours collectifs devant le juge J. Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec, dont les internautes ont pu suivre les péripéties sur ce blogue, BAT mentionne qu'un jugement final est attendu en 2015 et rappelle que ce jugement est sujet à appel.

On n'est pas près de voir l'argent sortir des coffres des cigarettiers, sinon pour verser des dividendes aux actionnaires...

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Pendant que l'industrie du tabac fait de son mieux devant la justice pour échapper aux conséquences de ses agissements, les législateurs semblent ces mois-ci en veine d'agir de manière préventive dans l'épidémie de tabagisme.

Depuis le début de l'année 2015, trois pays ont légiféré pour imposer un emballage uniforme et neutre aux produits du tabac, en conformité de la Convention-cadre de l'Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac, ratifié par 179 pays souverains et par l'Union européenne.

L'Australie, qui était passé aux actes en 2011, n'est plus seule.

La République d'Irlande, suivie par le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, et maintenant par la France, ont emboîté le pas.

Il n'est pas du tout évident que cette offensive législative rapporte des dividendes en termes de votes lors des prochaines élections législatives dans ces pays. Les gouvernements pourraient avoir fait d'autres calculs qu'électoraux et jugé, tout simplement, que la santé de la population allait à long terme profiter d'une telle législation.

Les cigarettiers et leurs groupes de façade ont lancé une contre-offensive médiatique et judiciaire.