samedi 19 décembre 2015

Front législatif et front judiciaire: courte mise à jour avant Noël

VERS UNE UNIFORMISATION DE L'EMBALLAGE AU QUÉBEC

campanile de l'Hôtel du Parlement à Québec
L'événement pourrait être passé inaperçu auprès des lecteurs de ce blogue qui vivent loin du Canada, mais il se trouve que l'Assemblée nationale du Québec a, le 25 novembre dernier, adopté à l'unanimité la version finale d'une loi qui vise à renforcer la lutte contre le tabagisme. La contresignature du représentant de la Reine du Canada au Parlement du Québec est survenue le même jour. (texte intégral de la loi).

Pour les organisations pro-santé publique, c'est une manière de repas du Temps des fêtes à québécoise.

Commençons par les amuse-gueule.

La Loi concernant la lutte contre le tabagisme, qui remplace maintenant la Loi sur le tabac de 2005 (qui était elle-même une refonte de la Loi sur le tabac de 1998), interdira désormais de fumer dans un véhicule automobile où est présent un mineur de moins de 16 ans, dans les aires extérieures de jeu destinées aux enfants, sur les terrains des camps de vacances et patinoires fréquentés par des mineurs, ainsi que sur les terrasses des lieux publics comme les restaurants.

La nouvelle loi assimile la cigarette électronique à un produit du tabac pour faciliter l'application des interdictions de fumer. Cependant, l'exploitant d'un point de vente de cigarettes électroniques pourra les exposer à la vue du public, en autant qu'elles ne soient pas visibles de l'extérieur dudit point de vente.

Précisons pour le lecteur de l'extérieur du Canada que l'interdiction de fumer à bord de véhicules privés où un mineur prend place figurait déjà dans de nombreuses législations de provinces canadiennes. D'autre part, la loi québécoise de 2005 et les lois en vigueur dans les neuf autres provinces du Canada obligeaient déjà, depuis la fin des années 2000, les détaillants à soustraire de la vue du public dans les points de vente les emballages de produits du tabac. Quant à l'intervention des gouvernements provinciaux dans la réglementation de la cigarette électronique, qui est beaucoup plus récente, elle a été rendu nécessaire par l'inaction du gouvernement conservateur de Stephen Harper à Ottawa. (Lors des élections générales d'octobre dernier, le Parti conservateur au pouvoir depuis février 2006 a été renvoyé dans l'opposition, ce qui pourrait changer la donne.)

Et voici le plat de résistance et l'accompagnement, tels qu'on peut les voir en préambule de la nouvelle loi québécoise.

La loi resserre les normes applicables au commerce du tabac, entre autres en interdisant la vente au détail ou la distribution de produits du tabac comportant une saveur ou un arôme autres que ceux du tabac, en interdisant aux adultes d’acheter du tabac pour les mineurs et en interdisant à un fabricant ou à un distributeur de produits du tabac d’offrir à l’exploitant d’un point de vente de tabac des ristournes liées à la vente d’un produit du tabac.
 Et le dessert:
La loi prévoit des normes relatives à l’emballage des produits du tabac en lien avec la mise en garde qui doit y figurer, notamment en imposant une superficie minimale et en exigeant une quantité maximale de produits du tabac dans l’emballage.

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LA COURONNE PASSERA AVANT LES AUTRES CRÉANCIERS

Notre édition du 3 novembre 2015 rapportait la tenue la veille d'une audition devant la Cour supérieure de l'Ontario au sujet de la validité d'une entente à l'amiable survenue entre Rothmans, Benson & Hedges et Imperial Tobacco Canada, d'une part, et d'autre part le liquidateur d'une société d'assurance, la Reliance Insurance Company.

Cour supérieure de l'Ontario
Il est temps de mettre fin au suspense et de raconter ce que le juge ontarien a décidé.

Dans une décision rendue le 2 décembre dernier, l'honorable Frank Newbould a donné raison aux procureurs des gouvernements provinciaux canadiens et a refusé d'avaliser l'entente.

Le juge Newbould estime que le liquidateur de la compagnie en faillite ne peut pas frustrer les pouvoirs publics de montants d'argent qui pourraient leur être dus et régler à rabais des créances de la compagnie d'assurance vis-à-vis des compagnies de tabac. Lors une faillite au Canada, la Couronne est la première à être servie et le juge n'a pas trouvé une exception qui s'appliquait au cas qui lui était soumis.

Dans cette histoire, les personnes malades que la Cour supérieure du Québec a reconnu en juin dernier victimes de longue date des pratiques commerciales des cigarettiers canadiens ne gagnent rien hormis une petite satisfaction: celle de savoir que les dollars qui traînent dans les fonds de tiroir des compagnies en faillite doivent aller aux pouvoirs publics, pour financer notamment les soins de santé des malades du tabac, au lieu d'aller aux actionnaires des compagnies de tabac, sous forme de bénéfices inattendus de l'année 2015.

* * *

CANBERRA GAGNE UNE AUTRE MANCHE CONTRE L'INDUSTRIE

Nicola Roxon, ancienne ministre australienne de la Santé, montrant les paquets de cigarettes de son pays.
L'ancienne ministre australienne de
la Santé en visite à Québec en 2013.
(photo Le Devoir)
En Australie, il y a maintenant trois ans que les produits du tabac doivent obligatoirement être vendus dans des emballages neutres et uniformes. Dans sa première année, la législation du Parlement de l'Australie a survécu à sa contestation devant les tribunaux du pays. La contestation de l'industrie multinationale du tabac se poursuivait néanmoins devant des instances internationales en charge de faire respecter les traités internationaux de commerce.

Or, sur ce front-là aussi, l'industrie n'arrive pas à convaincre de la valeur de ses arguments, et la santé publique prévaut contre l'argument fallacieux de la liberté du commerce, comme le rapportait récemment le Guardian de Londres.

lundi 16 novembre 2015

Le juge Riordan est autorisé par la Cour d'appel à réunir les parties, mais pas pour décider des modalités d'application de son jugement de juin

Par un arrêt unanime rendu public vendredi, trois juges de la Cour d'appel du Québec autorisent le juge J. Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec à réunir de nouveau les parties dans la cause qui oppose depuis 1998 les trois principaux cigarettiers du marché canadien à deux collectifs de fumeurs québécois victimes des pratiques commerciales de l'industrie du tabac.

Cependant, les juges Marie-France Bich, Manon Savard et Mark Schrager ordonnent au juge Riordan, ou à tout autre juge de première instance qui pourrait éventuellement le remplacer, d'attendre que l'appel au fond du jugement Riordan de juin dernier ait été entendu et jugé par la Cour d'appel du Québec avant qu'il puisse décider des modalités pratiques du versement des dommages compensatoires et punitifs prévus au jugement de juin. La Cour d'appel semble assimiler de tels préparatifs à une exécution immédiate du jugement et invoque l'article 497 du Code de procédure civile qui stipule que
497. Sauf les cas où l'exécution provisoire est ordonnée et ceux où la loi y pourvoit, l'appel régulièrement formé suspend l'exécution du jugement.  (...)
Les juges se disent aussi préoccupés par l'économie des ressources judiciaires. Si Riordan décidait de préparer le terrain à une décision favorable des tribunaux d'appels et que les compagnies de tabac gagnaient en fin de compte leur cause en appel, le juge aurait travaillé en pure perte.

(En revanche, si la fixation des modalités d'application du jugement de juin doit attendre que la Cour d'appel, voire la Cour suprême du Canada, ait décidé de la validité du jugement de juin 2015, Brian Riordan aura peut-être pris sa retraite et un autre juge de la Cour supérieure du Québec devra présider à ces travaux, si jamais ils sont encore nécessaires. Et le jugement futur sur les modalités du jugement de juin 2015 pourra lui aussi être porté en appel, des années après l'appel sur le fond du jugement, et probablement devant d'autres juges. On n'est pas sorti du bois.)

Quant à la possibilité pour le juge Riordan d'entendre les avocats des recours collectifs plaider devant lui en faveur d'une requête qui vise à faire déclarer que les compagnies de tabac ont abusé des procédures depuis 1998, les juges de la Cour d'appel du Québec, avec une prudence de Sioux, s'expriment dans les termes suivants:
[32] ... À première vue, il paraît en effet assez hasardeux d'instituer des procédures contre une partie à qui l'on reproche un abus de procédure fondé sur des allégations qui sont elles-mêmes au cœur de l'appel du Jugement [Riordan de juin 2015] . Lors de l'audience, les [recours collectifs] déclarent qu'ils n'invoqueront pas, au soutien de leur recours, les comportements qui seront par ailleurs débattus en appel, mais on conviendra que, a priori, cela fragilise leur position : l'abus résulte souvent d'une accumulation de gestes et, de prime abord, on conçoit mal qu'un tribunal puisse conclure à un tel abus en ne se fondant que sur certains de ces actes, sans égard à la globalité du contexte et à l'ensemble de ses éléments.
[33] Quoi qu'il en soit, si les [recours collectifs] décident malgré tout d'entreprendre ce recours, il n'est pas dit que le juge, sur demande des [cigarettiers], n'en ordonnera pas la suspension jusqu'à l'arrêt de la Cour sur les appels, et ce, afin d'éviter des jugements potentiellement contradictoires et une perte de temps judiciaire.
[34] Bref, comme on le voit, nous nageons dans les hypothèses et il n'est pas opportun que la Cour prononce une ordonnance à titre préventif, pour le cas où se produirait quelque chose qui ne s'est pas encore produit et pourrait fort bien ne pas se produire.
Si la Cour d'appel avait voulu dire qu'une victoire des cigarettiers en appel sur le fond de l'affaire effacerait leur tort procédural, elle l'aurait dit.

L'arrêt de la Cour d'appel du Québec est la réponse à une requête plaidée devant elle le jeudi 5 novembre dernier par les procureurs de Rothmans, Benson & Hedges et d'Imperial Tobacco Canada. Les avocats Simon V. Potter (RBH), Deborah Glendinning et Éric Préfontaine (ITCL) voulaient que le tribunal d'appel empêche le juge Riordan d'en finir avec l'affaire qui l'a occupé durant plusieurs années, et cela aussi longtemps que les appels concernant le fond de son jugement de juin n'auront pas été entendus et jugés.

Au paragraphe 1247 de ce jugement maintenant historique, Brian Riordan indiquait sa volonté de prendre connaissance dès cet été des opinions des avocats des trois principaux cigarettiers canadiens et de ceux des victimes de leurs pratiques commerciales trompeuses, afin de pouvoir fixer les modalités précises de l'exécution de la sentence sévère prononcée contre l'industrie du tabac. Comment exactement faut-il distribuer une quinzaine de milliards $C à des centaines de milliers de personnes au Québec atteintes à des degrés divers par l'emphysème ou par un cancer au poumon ou à la gorge, et dans plusieurs cas à leur succession ? La réponse n'est pas simple.

Dès lors que le juge Riordan n'a pas inclus dans son jugement final de juin dernier les modalités précises de son exécution, il s'exposait à ce qu'elles ne soient pas examinées en même temps que la substance principale de son jugement, et qu'elles soient examinées par des juges différents.

Durant l'été, les parties au procès se sont retrouvées devant la Cour d'appel du Québec pour obtenir la cassation ou le maintien de l'ordre donné par le juge Riordan d'exécuter provisoirement une partie de son jugement de juin. La Cour d'appel, convaincu par les compagnies de tabac, a annulé ladite exécution provisoire en juillet, mais en octobre, le même tribunal a accepté la requête des recours collectifs des victimes de forcer les compagnies de tabac à mettre de côté de l'argent, au cas où elles finiraient par perdre leur cause au bout du processus des appels sur le fond du jugement Riordan.

En attendant l'audition de l'appel sur le fond de l'affaire, le juge Riordan n'avait pas en août renoncé à procéder. L'arrêt d'aujourd'hui de la Cour d'appel va donc permettre au procès de retraverser la rue Notre-Dame, bien qu'avec un ordre du jour moins chargé que ce qu'espérait les recours collectifs.

*
Depuis la fin du procès, il y a eu une réorganisation d'une partie des ressources humaines dans le camp des recours collectifs. À l'origine, le cabinet juridique Trudel & Johnston pilotait le recours des personnes dépendantes du tabac représentées par Mme Cécilia Létourneau, alors que le cabinet Lauzon Bélanger Lespérance pilotait le recours des personnes atteintes d'un cancer au poumon ou à la gorge ou d'emphysème. Désormais, les avocats Yves Lauzon et André Lespérance sont associés du cabinet Trudel Johnston Lespérance (TJL) où ils travaillent avec Philippe Trudel, Bruce Johnston et Gabrielle Gagné. Les cabinets Kugler Kandestin et De Grandpré Chait demeurent associés à TJL dans la cause des victimes des pratiques de l'industrie du tabac.

mardi 3 novembre 2015

Quand les diables veulent pactiser ensemble

Dans Sicko, un documentaire sorti en 2007, le cinéaste Michael Moore explique comment des compagnies d'assurance-maladie savent encaisser les primes de millions d'Américains et leur refuser toute indemnité le jour où ils sont dans le besoin, en invoquant un quelconque manquement de l'assuré à ses obligations légales ou contractuelles. Le profit dans le monde de l'assurance privée ne s'en porte que mieux.

Certains lecteurs en colère contre l'establishment pourront trouver une petite consolation éphémère en observant que les cigarettiers Rothmans, Benson & Hedges (RBH) et Imperial Tobacco Canada (ITCL) semblent s'être fait faire partiellement le même coup par au moins une compagnie d'assurance.
 
Maintenant qu'un jugement de la Cour supérieure du Québec le dit, depuis juin dernier, il est facile de dire que les compagnies de tabac ont violé plusieurs lois entre 1950 et 1998 en se comportant comme elles l'ont fait. Et c'est dans ces nouvelles circonstances qu'une entente à l'amiable est intervenue entre une compagnie d'assurances générales et deux compagnies de tabac récemment condamnées pour leur violation du Code civil du Québec, de la Loi sur la protection du consommateur et de la Charte des droits et libertés de la personne.

Lundi, au palais de justice de Toronto, le liquidateur de la compagnie d'assurances Reliance, appuyé par RBH et ITCL, a demandé à l'honorable Frank Newbould de la Cour supérieure de l'Ontario de donner force de loi à un règlement à l'amiable que les trois compagnies ont conclu. Si le juge Newbould acquiesce, Reliance adoucira le chagrin des deux cigarettiers en versant une partie des indemnités auxquelles ces derniers croyaient avoir droit, et Reliance, une compagnie en faillite aura réglé une partie de ses dettes auprès de ses créanciers.

Comme d'habitude en cas de liquidation d'une entreprise, le problème est de savoir quels créanciers doivent passer les premiers. Et dans le cas présent, le problème est compliqué par un autre, celui de la « dette » des compagnies de tabac vis-à-vis de la « société ».

Lieu de l'audition
de lundi à Toronto
Devant le juge Newbould lundi, la « société » était représentée par le gouvernement de l'Ontario et par un avocat des recours collectifs de fumeurs québécois. (Et derrière le gouvernement ontarien, cinq autres gouvernements provinciaux canadiens.)

Le gouvernement ontarien a compris que l'effet recherché de l'entente à l'amiable est que l'argent versé par le liquidateur de Reliance à RBH et Imperial Tobacco Canada pourrait partir à l'étranger pour les coffres des maisons-mères respectives Philip Morris International et British American Tobacco, AVANT de pouvoir satisfaire au moins partiellement les réclamations de plusieurs dizaines de milliards $C présentées aux filiales canadiennes par les gouvernements provinciaux canadiens, réclamations qui visent à recouvrer le coût des soins de santé liés au tabac depuis la création des régimes d'assurance-maladie publics. Au surplus, les gouvernements canadiens ne veulent pas renoncer à leur possible droit de créanciers sur l'actif de la compagnie d'assurance. Conclusion: le Procureur général de l'Ontario est contre l'entente à l'amiable soumise à l'approbation du tribunal.

De leur côté, même si les collectifs de victimes québécoises du tabac ont gagné la semaine dernière une manche contre RBH et Imperial devant la Cour d'appel du Québec, ils estiment qu'une telle entente ne devrait pas être approuvée par la justice en Ontario parce que cela serait injuste pour d'autres Canadiens, en l'occurrence les victimes québécoises des pratiques commerciales honteuses des compagnies de tabac canadiennes.

Dans sa relation de l'audition de lundi devant la Cour supérieure de l'Ontario, la blogueuse Cynthia Callard, présente dans la salle d'audience ce jour-là, n'a pas manqué de noter que le juge Newbould, du temps où il était avocat, a déjà défendu les intérêts de JTI-Macdonald, la troisième plus importante compagnie de tabac au Canada. Par ailleurs, la salle d'audience où le juge Newbould entendait les parties se trouve dans l'ancien siège social d'une compagnie d'assurance. Au vu de la photo, les Québécois pourraient trouver à l'édifice une certaine ressemblance avec celui d'une autre compagnie d'assurances, celui, à Montréal, de la Sun Life Insurance Company, de triste mémoire. Mais ne soyons pas supersititieux.

Voici une liste de compagnies d'assurances auprès de qui Rothmans, Benson & Hedges et Imperial Tobacco Canada ont souscrit des polices.

ACE MI Insurance
Affiliated FM Insurance Company
AIG Commercial Insurance Company of
AllState Insurance Company of Canada
American Home Assurance Company,
American Re-Insurance Company
Canadian Indemnity
Chards Insurance Company of Canada
Cigna Insurance Company of Canada
Continental Insurance Company
General Accident Assurance Company
Guardian Insurance Company of Canada
Hartford Fire Insurance Company
Home of New York
INA Insurance Company of Canada
Intact Financial Corporation
Kansa General Insurance Company
La Nordique Compagnie D'Assurance Du Canada
Liberty Mutual Insurance Company
Lloyd's of London Toronto Office
Markel Insurance Company of Canada
New Hampshire Insurance Company
Northbridge Insurance
Northumberland General Insurance Company
Royal & Sun Alliance Insurance Company of Canada
Royal Insurance Company of Canada
Scottish & York Insurance Company Limited
Sun Alliance Insurance
The Commonwealth Insurance Company
The Continental Insurance Company of Canada
The Halifax Insurance Company
United States Fire Insurance Company
Zurich Canada
Zurich Insurance Company

jeudi 29 octobre 2015

La Cour d'appel du Québec force deux cigarettiers à mettre 984 millions $C de côté en attendant l'audition de l'appel sur le fond du jugement Riordan

édition révisée et augmentée

Dans un arrêt rendu public mardi, l'honorable Mark Schrager de la Cour d'appel du Québec a ordonné à Imperial Tobacco Canada (ITCL) et à Rothmans, Benson & Hedges (RBH) de déposer un total de 984 millions $C en garantie dans des comptes en banque en prévision d'un jugement en appel qui pourrait leur être défavorable dans la longue et célèbre affaire qui les a opposées devant la Cour supérieure du Québec à deux groupes de fumeurs victimes des pratiques de l'industrie du tabac. ITCL doit donc maintenant réunir une somme de 758 millions $C d'ici juin 2017 et RBH a jusqu'à mars 2017 pour réunir 226 millions $C.

La Cour d'appel du Québec n'a pas encore entendu l'appel au mérite sur le jugement de l'honorable J. Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec rendu public le 1er juin dernier.

Par contre, le 23 juillet, la Cour d'appel avait invalidé la partie du jugement Riordan qui prévoyait un versement dès l'été dernier d'une première tranche de 1131 millions $C aux victimes de l'industrie du tabac, sans attendre l'issue de l'appel sur le fond de l'affaire.

Devant cet arrêt du 23 juillet, les avocats des recours collectifs de fumeurs ont aussitôt demandé à la Cour d'appel d'intervenir quand même pour sauvegarder la somme prévue, parce qu'ils craignaient que les cigarettiers expédient tous leurs profits à leurs maisons-mères à l'extérieur du Canada et se déclarent insolvables le jour où elles auront épuisé tous les recours et perdu leur cause.

À cette demande, plaidée devant le juge Schrager le 6 octobre dernier, de forcer les compagnies à mettre fin à leur stratagème comptable connu du grand public, le tribunal d'appel vient donc d'acquiescer. Le juge Schrager trouve malhonnête ou de mauvaise foi l'exportation de profits dans la situation où se trouvent les compagnies condamnées. Les compagnies pourront facilement reprendre leur butin si elles ont finalement gain de cause.

984 millions, c'est exactement la part des 1131 millions de dommages envisagés par le juge Riordan qui devait être payée par ITCL et RBH en exécution provisoire, qu'elles perdent ou gagnent leur cause au final, en attendant de devoir payer des dommages totaux de plusieurs milliards si la condamnation est maintenue au terme de tous les appels possibles.

Mais qu'advient-il du troisième larron de la cigarette au Canada qu'est Japan Tobacco International - Macdonald ?

S'il y a une compagnie de tabac qui est familière avec les manipulations comptables profitables à l'actionnaire à l'étranger au détriment du fisc et des justiciables au Canada, c'est bien JTI-Macdonald. L'arrêt prononcé par le juge Schrager ne s'applique pourtant pas à elle, parce que les recours collectifs n'ont pas plaidé devant lui l'application d'une mesure identique à celle réclamée contre l'exportation de profits d'ITCL et de RBH.

Il semble que la compagnie ait été dans l'incapacité de se défendre le 6 octobre dernier, pour des raisons médicales. Notre consoeur blogueuse Cynthia Callard, présente dans la salle d'audience ce jour-là, a bien noté la présence de quelques uns des avocats habituels de JTI-Macdonald, mais ils sont restés coi, dans l'assistance.

Le mystère demeure quant à ce qui se passe. Chose certaine, JTI-Macdonald a toujours, comme les autres compagnies concernées par le jugement Riordan, une lourde condamnation suspendue au-dessus de sa tête. JTI-Macdonald a gagné du temps, mais on ne sait pas combien de temps de plus que les deux autres compagnies.


Première semaine de novembre 2015 chargée

Dans son jugement rendu public le 1er juin dernier, l'honorable J. Brian Riordan avait annoncé qu'il comptait réunir à nouveau les parties (dans un futur indéterminé) pour fixer les modalités précises du versement des dommages compensatoires et punitifs qu'il a décidé d'imposer aux cigarettiers.

L'automne dernier, peu de temps avant la fin des auditions, le juge Riordan s'était aussi fait soumettre par les avocats des recours collectifs une requête pour faire déclarer que les compagnies de tabac ont abusé de la procédure depuis 1998 (date du tout début des recours de victimes des pratiques commerciales desdites compagnies). Le débat sur l'abus de procédure n'a pas encore eu lieu, lui non plus.

Cependant, le « procès du jugement Riordan » est commencé depuis cet été devant la Cour d'appel du Québec, et le jeudi 5 novembre prochain, ce tribunal d'appel entendra une requête de Me Simon V. Potter, qui a été le procureur principal de RBH devant le juge Riordan, pour que ledit Riordan soit empêché légalement de prendre d'autres décisions sur l'affaire qui l'a occupé depuis tant années, jusqu'à ce que les appels sur le fond du jugement aient été entendus et jugés.

Dans sa dernière édition du blogue Eye on the trials, notre consoeur Cynthia Callard signale que c'est aussi durant la première semaine de novembre que les avocats des recours collectifs vont aller devant un tribunal à Toronto pour s'opposer à un règlement à l'amiable entre Imperial Tobacco Canada et RBH, d'une part, et d'autre part une compagnie d'assurances qui avait un vieux contentieux avec ces compagnies, la Reliance Insurance Company.

Les lecteurs assidus du blogue Lumière sur les procès du tabac savent que le public était généralement clairsemé dans la salle d'audience lors du procès présidé par Brian Riordan. Ils se souviennent peut-être aussi qu'hormis les deux blogueurs, la personne qui a le plus assidûment assisté aux interrogatoires, contre-interrogatoires et plaidoiries était une avocate extrêmement discrète, dont les relations ne sont (hélas pour nous) jamais parues sur Internet, ce qui ne veut pas dire qu'elles étaient sans lecteur.  :-)  La Reliance Insurance Company est peut-être simplement un des fournisseurs les mieux renseignés d'Imperial Tobacco Canada, un cigarettier qui a prétendu l'été dernier devant la Cour d'appel ne pas pouvoir payer les pots cassés du côté des fumeurs sans faire faillite...

mercredi 30 septembre 2015

La Cour d'appel du Québec confirme que la LRCSS ne viole pas la Charte des droits et libertés de la personne

édition antidatée

Par un arrêt de 26 pages rendu public lundi dernier, les juges Geneviève Marcotte, Paul Vézina et Manon Savard de la Cour d'appel du Québec ont maintenu le jugement de mars 2014 de l'honorable Robert Mongeon de la Cour supérieure du Québec qui avait statué que la Loi sur le recouvrement du coût des soins de santé et des dommages-intérêts liés au tabac (LRCSS), adoptée par l'Assemblée nationale du Québec en juin 2009, ne viole aucune disposition de la Charte des droits et libertés de la personne (CDLP). La CDLP est une loi québécoise à statut quasi-constitutionnel qui date de 1975, pour l'essentiel.

Imperial Tobacco Canada (ITCL), Rothmans, Benson & Hedges (RBH) et JTI-Macdonald (JTIM), les trois principaux cigarettiers du marché canadien, ont affirmé le contraire. Pour l'industrie, la LRCSS viole le droit de jouir de sa propriété (article 6 de la CDLP) et le droit à un procès équitable devant un tribunal impartial (article 23).

Dans ses dispositions qui modifient les règles de la preuve, la LRCSS est un calque d'une loi de la province de Colombie-Britannique de 1997 que l'industrie du tabac a prétendu contraire à la Charte canadienne des droits et libertés qui figure en préambule de la Loi constitutionnelle de 1982, adoptée par le Parlement fédéral canadien en 1982.

La contestation judiciaire de la loi britanno-colombienne, commencée en 1997, a abouti (plus d'une fois) devant la Cour suprême du Canada, et le plus haut tribunal du royaume canadien a statué en juillet 2011 que ladite loi ne violait pas la constitution canadienne.

Par chance pour l'industrie, le province du Québec a sa CDLP, qui protège sensiblement les mêmes droits que la constitution canadienne, depuis le début, mais en des termes légèrement différents. ITCL, RBH et JTIM ont donc recommencé contre la LRCSS leur bataille contre la loi de la Colombie-Britannique.

Quatre juges québécois ont jusqu'à présent refusé de donner raison à l'industrie.

En attendant que les Neufs sages de la Cour suprême à Ottawa autorisent un jour un appel final puis renverse ou non l'arrêt de la Cour d'appel du Québec, l'action en recouvrement du coût des soins de santé du Procureur général du Québec, que la LRCSS de 2009 a autorisé et qui a débuté à l'été 2012, peut continuer son petit bonhomme de chemin devant le juge Stéphane Sanfaçon de la Cour supérieure du Québec.

vendredi 24 juillet 2015

La Cour d'appel refuse l'exécution provisoire d'une partie du jugement Riordan avant qu'un jugement en appel soit rendu sur le fond de l'affaire

Les juges Bich,
Vézina et Schrager
Dans un arrêt émis en fin d'après-midi hier, les juges Marie-France Bich*, Paul Vézina et Mark Schrager de la Cour d'appel du Québec estiment que d'obliger les trois principaux cigarettiers canadiens à verser avant le 9 août plus d'un milliard de dollars en guise de dédommagements compensatoires et de dommages punitifs dans un compte en fiducie ferait plus de tort à ces trois compagnies que cela ferait de bien aux victimes du tabagisme que le juge J. Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec voulait faire indemniser partiellement et provisoirement, sans attendre la fin des appels sur le fond de son jugement (qui concluait des procédures commencées en 1998).

En conséquence, la Cour d'appel annule l'ordonnance d'exécution provisoire contenue dans le jugement de première instance. Les trois juges soulignent cependant très clairement qu'ils ne se prononcent pas sur la validité de ce jugement dans son ensemble, jugement qui est l'objet d'un appel à être entendu un jour par ce même tribunal (bien que pas nécessairement par les mêmes trois juges).

Les trois magistrats ont constaté que le jugement de la Cour supérieure n'accordait aucun dédommagement compensatoire aux victimes de la dépendance (recours collectif Létourneau) et écartait déjà la possibilité de verser quoi que ce soit des dommages punitifs à chacune des personnes qui composent ce groupe, parce qu'elles sont près d'un million et que cela équivaudrait à envoyer des chèques de 130 $. Une exécution provisoire du jugement Riordan n'aurait donc pas pour effet de soulager le moindrement les victimes de la dépendance en attendant la fin du processus des appels.

Quant aux victimes d'emphysème ou d'un cancer au poumon ou à la gorge (larynx, hypopharynx et oropharynx), le dédommagement qui leur serait versé de manière provisoire ne correspondrait qu'à 6 % du dédommagement accordé (1 milliard $ sur 15,5 milliards), un montant que les juges d'appel considèrent comme « négligeable », même si cela correspondrait à environ 10 000 $ par personne indemnisée.

Au surplus, il faudrait retourner chercher ces montants dans l'éventualité, que les trois juges n'ont pas voulu écarter, où le processus d'appel sur le fond de la question se concluait par un acquittement d'Imperial Tobacco Canada, de Rothmans, Benson & Hedges (RBH) et de JTI-Macdonald.

La Cour d'appel estime qu'elle ne peut pas approuver une exécution provisoire d'un jugement de première instance au motif implicite que les appelantes auraient abusé des procédures, alors que le juge Riordan a lui-même promis d'entendre les parties sur cette question en parallèle des questions principales, ce qu'il n'a pas encore fait.

En substance, les trois magistrats jugent prématuré, alors que l'appel au fond du jugement Riordan n'a pas encore été entendu par la Cour d'appel, de satisfaire l'ambition du juge de première instance de faire en sorte que les compagnies commencent à « payer pour leurs péchés » (« to pay for their sins ») et que les avocats des recours collectifs soient soulagés d'une part du fardeau financier qu'ils supportent presque complètement seuls depuis 17 ans.

Avec une apparente naïveté qui cache peut-être une sérieuse préoccupation, le plus haut tribunal du Québec prend note de la volonté exprimée par les cigarettiers de faire preuve de diligence dans les procédures à venir. Par ailleurs, la Cour d'appel du Québec ne partage pas non plus l'impression du juge Riordan que le processus des appels s'étirera sur six ans, et elle estime que, même si c'était le cas, la possibilité d'un délai ne serait pas une raison suffisante en soi d'accorder une exécution provisoire, sinon cela deviendrait la règle pour tout jugement où serait invoqué l'article 547 du Code de procédure civile. Le tribunal rappelle en outre que l'article 548 de cette loi stipule qu'une exécution provisoire ne peut pas être ordonnée avec pour motif d'acquitter des frais juridiques.

Dans le cadre d'un débat en appel au sujet de l'exécution provisoire du jugement Riordan, la Cour d'appel a refusé de se prononcer sur la réalité des graves difficultés financières qu'auraient prétendument éprouvées les cigarettiers dans l'éventualité du maintien de l'ordonnance de la Cour supérieure. L'examen superficiel des comptes que la législation semble exiger en matière d'exécution provisoire fait conclure les trois juges à une incapacité de payer de deux des trois compagnies. Les trois magistrats ont estimé que ce serait la tâche de la Cour d'appel de faire la part des choses, en matière de profits trop vite expédiés aux maisons-mères, quand elle jugera du fond de l'affaire, et puisqu'elle est déjà requise de le faire. Autrement dit, l'arrêt de la Cour d'appel sur l'ordonnance d'exécution provisoire est lui-même provisoire.

(Par une triste ironie du sort, dans un communiqué de presse émis le 16 juillet dernier, soit une semaine après l'audition devant la Cour d'appel du Québec, et relatif aux résultats financiers du 2e trimestre de 2015, la maison-mère de RBH, la compagnie Philip Morris International (PMI), prévenait ses actionnaires d'un coût de 9 cents étatsuniens par action qui résulterait pour elle du maintien de l'ordonnance d'exécution provisoire du jugement Riordan, comme quoi la multinationale cotée à la Bourse de New York ne laisserait pas sa profitable filiale canadienne faire faillite. PMI a beau jeu de dépanner RBH avant d'enrichir ses actionnaires, après avoir annoncé le 11 juillet pour ce même trimestre d'exercice un dividende de 1 $US par action.)

*
Si les principaux cigarettiers du marché canadien ont remporté contre les recours collectifs une première manche en matière de déboursés, ils ont cependant échoué à faire accepter les requêtes d'Imperial et de RBH pour maintenir un voile de confidentialité sur les comptes présentés aux juges et qui pouvaient justifier la prétention d'une incapacité de payer. (JTI-Macdonald n'avait pas présenté une telle requête à la Cour d'appel.)

En substance, la Cour d'appel considère qu'il n'est pas suffisant pour un justiciable de prétendre que la divulgation des renseignements comptables lui cause un préjudice commercial. Il faudrait que l'appelant prouve que la liberté de parler publiquement de ces matières et de consulter les documents produits au tribunal est contraire à l'intérêt public. Autrement, le processus judiciaire doit être transparent.

L'arrêt de la Cour d'appel était rédigé en anglais. Le tribunal a eu la courtoisie de rendre publique sa décision après la fermeture du marché boursier de New York et avant l'ouverture des marchés boursiers d'Extrême-Orient.

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*L'auteur de ce blogue a entendu les juristes canadiens prononcer toujours le nom de la juge Bich « biche », comme la femelle du chevreuil, et non « bic », comme le nom du fondateur de l'empire du stylo, du briquet et du rasoir Marcel Bich.


samedi 11 juillet 2015

Les trois cigarettiers condamnés tentent de convaincre la Cour d'appel du Québec d'annuler une ordonnance d'exécution provisoire du juge Riordan

Les compagnies Imperial Tobacco Canada limitée (ITCL), Rothmans, Benson & Hedges inc. (RBH) et JTI-Macdonald Corp. ont tenté jeudi de persuader une formation de trois juges de la Cour d'appel du Québec d'annuler l'ordonnance d'exécution provisoire contenue dans un jugement final de la Cour supérieure du Québec dans une affaire opposant les trois compagnies à des victimes du tabagisme.

Dans un jugement rendu public le 1er juin dernier, l'honorable J. Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec a condamné  les trois principaux cigarettiers du marché canadien à verser auxdites victimes des dédommagements compensatoires de 15,5 milliards $C et des dommages punitifs de 131 millions. Le jugement de première instance de 276 pages (suivies de leur version française) contient aussi une ordonnance de verser dans un compte en fiducie dans les 60 jours (suivant le 8 juin, date du jugement retouché), nonobstant appel d'une ou l'autre des parties, la totalité des pénalités et un premier milliard de dollars de dédommagement. Les trois compagnies ont interjeté appel du jugement Riordan sur le fond, mais l'appel ne sera évidemment pas entendu en 2015.

Aux juges Marie-France Bich, Paul Vézina et Mark Schrager de la Cour d'appel du Québec, les trois compagnies de tabac ont fait valoir qu'elles n'étaient pas en mesure de verser les 1,1 milliard de dollars exigés. De leur côté, les avocats des recours collectifs se sont efforcés de montrer la justesse du jugement Riordan et ont mis en doute les allégations des appelants.

Ce n'est pas la première fois que la juge Bich et le juge Vézina voient des avocats de l'industrie du tabac plaider devant eux la cassation d'un jugement interlocutoire ou d'un jugement final de la Cour supérieure. Marie-France Bich les a entendus en 2014 et Paul Vézina il y a tout juste quelques semaines.

Comme matière à juger, les trois magistrats avaient aussi devant eux des requêtes de deux compagnies au sujet de la procédure à adopter jeudi en rapport avec la confidentialité supposément nécessaire de certains des renseignements financiers à examiner par le tribunal.

Fort heureusement pour le public qui emplissait la salle d'audience, -- au point où des sièges ont été ajoutés à dernière minute avant l'ouverture de la séance --, les juges ont, après être ressortis de la salle et après un bref conciliabule en privé, exclu d'entendre les parties à huis clos. En revanche, ils ont imposé aux personnes présentes dans la salle de ne pas divulguer des renseignements confidentiels s'il leur arrivait d'en entendre, et aux plaideurs de s'en tenir à l'oral à ce qui pouvait être révélé en matière financière sans causer de préjudice aux compagnies appelantes.

L'auteur de ce blogue ne croit pas avoir entendu quoi que ce soit durant l'audition qui ne soit pas déjà contenu dans des documents qui sont par définition publics, comme le jugement du 4 décembre 2013 de l'honorable Robert Mongeon sur les finances de JTI-Macdonald, ou les déclarations financières faites périodiquement par les multinationales du tabac aux investisseurs en vertu de la réglementation des places boursières de Londres, de New York et de Tokyo.

Les avocats des recours collectifs semblaient s'être préparés à plaider dans les conditions finalement imposées par le tribunal. Il est cependant possible que la règle de conduite floue décidée jeudi par les trois juges ait eu pour effet de faire s'auto-censurer inutilement des journalistes peu familiers avec le dossier et respectueux des tribunaux. On peut déplorer cet effet. Par comparaison, à plus d'une reprise durant le long procès qu'il a présidé, le juge Riordan a au contraire montré qu'il considérait le public comme une tierce partie légitimement intéressée à l'affaire, comme potentiellement à n'importe quelle affaire devant une cour de justice, et qu'il ne suffisait pas de satisfaire ou d'arbitrer les désirs des deux parties qui plaident, pour faire la justice dans un pays libre.


Des maisons-mères à servir avant les justiciables

Rappelons qu'ITCL appartient à 100 % à British American Tobacco, qui a son siège social à Londres. De son côté, la compagnie RBH est une filiale à 100 % de Philip Morris International, dont le siège social est à Lausanne, en Suisse, mais dont les actions sont échangées à la Bourse de New York. Quant à JTI-Macdonald (JTIM), elle appartient à 100 % à Japan Tobacco International, de Genève, en Suisse, mais cette dernière compagnie est à son tour une filiale à parts entières de Japan Tobacco, dont le quartier général est à Tokyo.

Grosso modo, si les trois juges de la Cour d'appel doivent croire les procureurs de RBH (Me Simon Potter), d'ITCL (Me Mahmud Jamal) et de JTIM (Me Guy Pratte), les cigarettiers canadiens sont tous les trois incapables de verser dès cet été un total de 1,1 milliard $C dans un compte en fiducie qui servirait à indemniser les membres des collectifs de victimes du tabac sans attendre la fin du long processus des appels au fond du jugement Riordan. (Des appels à être entendus d'abord par la Cour d'appel du Québec à une date encore inconnue, puis possiblement par la Cour suprême du Canada, si une partie est déçue du jugement du plus haut tribunal du Québec.)

Ne pas casser l'ordonnance d'exécution provisoire du juge Riordan acculerait les trois appelantes à la faillite dès à présent et les priverait de leur moyen de défense, font valoir les avocats de l'industrie. Le juge Vézina n'a pas manqué de faire remarquer au vétéran Simon Potter, qui plaidait le premier, que l'exécution du jugement seulement aux termes des appels, vraisemblablement au bout de six ou sept ans, feraient en sorte que plusieurs des personnes à indemniser mourraient des suites de leur tabagisme avant d'avoir vu un cent leur être versé, d'autant que leur cause est devant le système de justice depuis 1998.

Aux yeux de Me Gordon Kugler, qui représente les victimes du tabac, les cigarettiers du marché canadien choisissent de se priver artificiellement des moyens de payer en ne cessant pas de transférer massivement leurs substantiels profits annuels à leurs maisons-mères à l'étranger. Au terme d'un litige qui dure depuis 17 ans, l'industrie ne peut pas non plus prétendre qu'elle n'avait pas prévu avant juin dernier de faire des provisions en vue d'un jugement de Brian Riordan qui pouvait être défavorable. Me Kugler et Me Bruce Johnston ont souligné que l'argent à débourser immédiatement ne représente que 7 % de la somme totale des condamnations (ou par exemple, concernant les dédommagements compensatoires, 10 000 $ sur 250 000 pour une victime d'emphysème). Me Johnston a rappelé qu'à l'hiver 2014, son camp demandait même que 25 % du montant des condamnations soit versé à titre provisoire. Quant aux montants totaux, ils ont été fixés par le juge après qu'il ait examiné les capacités de payer de chacune des compagnies, en présence de toutes les parties au procès. À ce moment, les cigarettiers qui se prétendent maintenant menacés de faillite sans l'aide de leurs maisons-mères n'ont jamais plaidé leur possible insolvabilité.

Comme pour confirmer l'analyse des avocats des recours collectifs, Me Potter et Me Jamal, lors de leur réplique, ont référé aux obligations que les compagnies canadiennes ont vis-à-vis des actionnaires des compagnies-mères. Me Jamal a tenté de justifier l'intervention de British American Tobacco qui a récemment réglé à l'amiable pour plus d'un demi-milliard $US une réclamation présentée à l'une de ses filiales américaines. Une décision d'affaires, semble-t-il.

Les trois juges ont manqué de peu de se faire dire que la rentabilité des compagnies doit passer avant l'obligation de réparer ses torts créée par un ordre d'une cour de justice.


Abus de pouvoir ?

Les avocats des cigarettiers ont expliqué à la Cour d'appel que même si les compagnies pouvaient payer, elles ne devraient pas y être obligées puisque l'honorable J. Brian Riordan a outrepassé son pouvoir discrétionnaire de juge en se mêlant d'ordonner une exécution provisoire de son jugement. Me Jamal a indiqué qu'en 40 ans d'existence de la procédure du recours collectif au Québec, il n'y a jamais eu d'affaire ayant fait l'objet d'une ordonnance d'exécution provisoire. Tant Me Jamal que Me Potter ont estimé que le juge Riordan n'était pas devant un cas clair, précis et concret qui aurait justifié, en s'inspirant du Code de procédure civile, d'ordonner une exécution provisoire.

Dans l'autre camp, tant Me Kugler que Me Johnston ont au contraire prétendu, jurisprudence à l'appui, qu'il suffisait qu'un juge de première instance estime le cas sérieux, et pas nécessairement exceptionnel, pour fonder sa décision d'une exécution provisoire d'une condamnation. Au juge Schrager qui signalait ne pas avoir trouvé tel ou tel motif dans le jugement de Brian Riordan, Me Kugler a dit qu'il fallait considérer le jugement dans son ensemble. Plus tard, Me Johnston a rappelé que le juge Riordan avait présidé 50 conférences de gestion impliquant les parties au procès, avant de plonger dans les 253 jours d'audition du procès en tant que tel. L'avocat des recours collectifs a notamment expliqué que le juge de première instance n'avait pas rejeté à la légère les expertises de la psychiatre Dominique Bourget et de l'économiste James Heckman.

Me Johnston s'est surtout employé à réfuter l'argumentation jurisprudentielle de Me Pratte au sujet des « faiblesses » du jugement Riordan. Me Johnston a cité de la jurisprudence qui justifie le juge Riordan dans son interprétation de la Loi sur la protection du consommateur. Pour sa part, Me Pratte avait déploré que le juge Riordan admette que plusieurs personnes étaient au courant des dangers du tabagisme et exige quand même des réparations pour elles, transformant une obligation des cigarettiers de prévenir (des méfaits sanitaires du tabagisme) en obligation de convaincre. Lors de sa réplique finale, Me Pratte a de nouveau mis en lumière la tendance excessive à ses yeux du juge Riordan à s'appuyer sur un apparent gros bon sens plutôt que sur des articles de loi et la jurisprudence.

Quant à Me Potter, il a de nouveau voulu empêcher la presse d'appeler tigre un gros félin orange à rayures noires, après avoir entendu dire par les avocats des victimes du tabac que les cigarettiers canadiens avaient déjà reconnu en 2008 et 2010 leur implication dans la contrebande (du début des années 1990), et payé des amendes.

L'avocat de RBH a affirmé que sa compagnie ne s'était jamais reconnue coupable de contrebande mais de mauvais estampillage ou étiquetage (mislabelling).

Pour mémoire, voici comment le ministère québécois du Revenu présentait la chose en 2008:
les deux manufacturiers paieront des amendes totalisant trois cents millions de dollars parce qu'ils ont reconnu avoir aidé des personnes à vendre ou à posséder des produits du tabac fabriqués au Canada, de 1989 à 1994, qui n'étaient pas empaquetés et qui ne portaient pas l'estampille conforme à la Loi sur l'accise.
(L'auteur du blogue souligne.)

Les deux manufacturiers en question sont ITCL et RBH, et le délit n'a pas l'air d'un accident survenu à l'imprimerie.

JTIM a conclu une entente à l'amiable similaire en 2010.

lundi 22 juin 2015

L'industrie du tabac de nouveau devant un tribunal pour contester la LRCSS

Imperial Tobacco Canada (ITCL), Rothmans, Benson & Hedges (RBH) et JTI-Macdonald (JTIM) plaidaient jeudi dernier devant la Cour d'appel du Québec afin de faire déclarer invalide la Loi sur le recouvrement du coût des soins de santé et dommages-intérêts liés au tabac (LRCSS) de 2009, au motif qu'elle viole des droits protégés par la Charte des droits et libertés de la personne (une loi québécoise dont la mouture originale date de 1975 et qu'il ne faut pas confondre avec la Charte canadienne des droits et libertés, enchâssée dans constitution canadienne de 1982.)

Dans un jugement en première instance rendu en mars 2014, l'honorable Robert Mongeon de la Cour supérieure du Québec avait rejeté les prétentions de l'industrie. Le juge Mongeon a estimé que la Charte québécoise n'était pas davantage violée par la LRCSS que la Charte canadienne par une loi similaire de la Colombie-Britannique que la Cour suprême du Canada a jugé valide en 2011.

L'auteur du blogue n'était pas présent lors de l'audition de jeudi dernier devant la Cour d'appel du Québec à Montréal. Le récit vivant et détaillé qu'en fait la correspondante du Service d'information sur les procès du tabac, Cynthia Callard, pourrait cependant porter les lecteurs de longue date de Lumière sur les procès du tabac à croire que les procureurs des trois grands cigarettiers du marché canadien préfèrent, pour l'essentiel, se répéter que se contredire (voir notre relation du débat du début d'octobre 2013).

L'escalier sans fin
(oeuvre d'Escher)
Lorsqu'on apprend que Me Simon Potter (RBH), lors d'un point de presse, plutôt que Me François Grondin (JTIM), devant le tribunal, a servi la métaphore des « dés pipés » (par le législateur québécois en faveur du Procureur général du Québec dans son action en recouvrement du coût des soins de santé), on peut au moins noté que les avocats ont légèrement changé les partitions. Même sans cela cependant, le concert pourrait avoir davantage plu aux juges Manon Savard, Paul Vézina et Geneviève Marcotte, qu'au juge Robert Mongeon.

Reste qu'un élément nouveau s'est tout de même inséré le 1er juin dernier dans le contexte des plaidoiries de l'industrie: le jugement final qu'a alors rendu l'honorable J. Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec dans l'affaire opposant les trois mêmes cigarettiers à deux groupes de fumeurs et anciens fumeurs atteints de dépendance, ou d'emphysème ou d'un cancer au poumon ou à la gorge.

Tout en reconnaissant que plusieurs fumeurs avaient une part de responsabilité dans le mauvais sort qu'ils subissent, le juge Riordan a estimé que cela ne diminuait en rien les obligations qu'avaient les compagnies de tabac de bien informer le public, et il a imposé à ces dernières un dédommagement moral et des dommages punitifs. Le juge Riordan a aussi voulu voir dans la LRCSS une validation de son interprétation du droit en matière de recours collectifs et il a rejeté l'argument de l'industrie que le procès aurait dû faire défiler des fumeurs et anciens fumeurs à la barre des témoins afin de vérifier leurs fautes.

Une invalidation de la LRCSS par la Cour d'appel du Québec pourrait donc avoir un effet dans l'affaire « privée » dont les péripéties ont été racontées sur ce blogue.

vendredi 5 juin 2015

Un jugement qui fait des nuances tout en égratignant bien du monde

(édition complète)

Au fil des 1253 paragraphes de son jugement final rendu public le 1er juin, l'honorable J. Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec formule de nombreux jugements sur la preuve qui lui a été présentée par les parties, avant de déboucher sur la sentence que l'on connaît maintenant. (voir notre édition du 2 juin 2015 révisée)

Qui dit preuve dit témoignages et pièces au dossier.

Le verdict du juge Riordan, comme celui de nombreux magistrats au sortir d'un procès, se lit donc par moment comme un bulletin de résultats scolaires commentés. Certains témoins obtiennent des mentions honorables tandis que certains autres écopent de sévères critiques.

Les commentaires d'un juge sur la qualité d'un témoin de faits n'ont pas d'autre utilité que d'étayer le jugement aux yeux de ses lecteurs. Par contre, les commentaires sur les témoins-experts, dont l'expertise est susceptible d'être de nouveau sollicitée dans un autre procès, sont autant d'indications aux firmes d'avocats sur le potentiel de tel ou tel expert.

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De bons témoins, des moins bons, des divertissants

Jack Siemiatycki est détenteur d'un doctorat en épidémiologie et en statistique médicale de l'Université McGill et professeur d'épidémiologie à la Faculté de médecine de l'Université de Montréal. C'est à lui que la partie demanderesse au procès a demandé d'estimer le nombre de Québécois atteints d'emphysème ou d'un cancer du poumon ou de la gorge résultant d'une consommation de tabac.

Pour contrer le rapport d'expertise du professeur québécois, la défense des cigarettiers a fait venir des États-Unis et témoigner deux statisticiens et un épidémiologue (Laurentius Marais, Bertram Price, Kenneth Mundt).

Dans son jugement, le juge Riordan consacre une douzaine de pages à l'examen du rapport de l'expert des recours collectifs et de ses critiques.

Le tribunal ne se contente pas de reprocher à messieurs Marais, Price et Mundt de ne pas avoir proposé d'évaluation alternative et méthodologiquement à leur goût du nombre de victimes du tabac; il fait de l'épidémiologue Siemiatycki un expert modèle, parce qu'il n'a pas craint d'admettre les faiblesses qui pouvaient exister dans son rapport et a exprimé ouvertement de raisonnables convictions, tempérées par une inévitable dose d'incertitude.
[730] The Court found Dr. Siemiatycki to be a most credible and convincing witness, unafraid to admit weaknesses that might exist and forthright in stating reasonable convictions, tempered by a proper dose of inevitable incertitude. He fulfilled the expert's mission perfectly.
*
C'est peut-être aux experts en histoire mandatés par la défense de l'industrie que le magistrat réserve ses plus sévères critiques. Il leur reproche d'avoir omis de considérer l'effet des annonces de tabac sur les perceptions du danger de fumer qu'avaient le public, tout en prêtant un effet certain et rapide aux articles de journalistes contenus dans ces mêmes journaux et magazines où proliféraient les annonces. En parlant de « scalpel », Brian Riordan n'est pas loin d'accuser ces historiens d'avoir découpé la réalité historique avec un exacto pour mieux étayer leur opinion.
[93] As well, it seems inconsistent, to say the least, that these experts should be so chary to opine on the effect of newspaper and magazine ads on people's perception when they have absolutely no hesitation with respect to the effect of articles and editorial cartoons in the very same newspapers and magazines in which those ads appeared. They seem to have been tracing their opinions with a scalpel in order to justify sidestepping such an obviously important factor. In doing so, they not only deprive the Court of potentially valuable assistance in its quest to ascertain one of the key facts in the case, but they also seriously damage their credibility.
Le juge Riordan remarque que le rapport préliminaire confidentiel de l'historien David Flaherty à Imperial Tobacco en 1988 prévoyait d'inclure la publicité du tabac dans l'examen de ce que le public s'est fait raconter sur l'usage du tabac au fil des décennies. Le rapport d'expertise du professeur Flaherty qui a été produit pour le procès fait comme si la publicité n'existait pas.

Le juge souligne crûment la similitude de la méthodologie de Jacques Lacoursière et de David Flaherty, et rappelle la morgue affichée par ce dernier devant le travail de Lacoursière.
[81] At the request of JTM and RBH, Jacques Lacoursière produced an exhaustive report chronicling the evolution of public knowledge (la connaissance populaire) of Quebec residents of the risks associated with smoking, including the risk of dependence (Exhibit 30028.1). He analyzed the print and broadcast media and government publications in Quebec over the Class Period. This was essentially a duplication of the work of Professor Flaherty, although, having dismissed Professor Lacoursière as "an amateur historian", Professor Flaherty would presumably not agree that it was of the same level of scholarship
Si le troisième historien mandaté par la défense de l'industrie, Robert John Perrins, semble échapper aux remontrances du juge, c'est peut-être parce que ce dernier l'utilise pour éclairer le comportement de Jacques LaRivière, qui fut de 1979 à 1994 l'homme de confiance du Conseil canadien des fabricants de produits du tabac (CTMC) en matière de communications et de relations publiques.

Le professeur Perrins considère qu'après 1969, il fallait être un excentrique attardé (outlier) pour nier la relation entre le tabagisme et plusieurs maladies. Tout le monde savait que fumer rend malade. Tout le monde, donc les compagnies, estime le juge Riordan. Or, nier la relation tabagisme-maladie est justement ce que faisait un document du Tobacco Institute que M. LaRivière a envoyé en 1979 à l'éditorialiste en chef du Montreal Star pour « injecter un peu de pensée rationnelle dans le débat et remplacer le sensationnalisme par des faits » (pièces 475 et 475A au dossier de la preuve).
[259] In the opinion of Professor Perrins, one of the Companies' experts, only "outliers" were denying the relationship between smoking and disease after 1969. He defined outliers as persons who defend a position that the vast majority of the community rejected. The Tobacco Institute document that the CTMC turned to "to inject some rational thinking into the debate and to replace the emotionalism with fact" was published ten years after Dr. Perrins' outlier date. It contradicted what the Companies knew to be the truth and it was sent to a newspaper, as were other similar communications at the time.
**
S'agissant du phénomène de la dépendance au tabac, le juge Riordan ne se contente pas d'exprimer sa confiance en l'expertise du Dr Juan Negrete, un psychiatre québécois appelé à comparaître au tribunal par les recours collectifs; il souligne le complaisant amateurisme de la Dre Dominique Bourget, mandatée par JTI-Macdonald. Quant au psychologue John Davies appelé comme expert par Imperial, il apparaît sous la plume du juge comme un missionnaire porteur d'une Bonne nouvelle sur la façon de considérer la dépendance et un boutefeu qui n'apporte guère de lumière sur les questions à trancher par le tribunal.
[777] As pointed out earlier, one of them, Dr. Bourget, had little relevant experience in the field and had, for the most part, simply reviewed the literature, much of which was provided to her by ITL's lawyers. The other, Professor Davies, was on a mission to change the way the world thinks of addiction. The torch he was carrying, despite its strong incendiary effect, cast little light on the questions to be decided by the Court.
***
Ce n'est pas seulement après avoir entendu certains experts, mais aussi devant certains passages de documents versés au dossier de la preuve, que le juge Riordan succombe parfois à l'envie de faire sourire les lecteurs de son long opus.

Dans une toute autre section du jugement final, où il est question d'un échange « coloré » de lettres entre l'iconoclaste Patrick O'Neill-Dunne, qui était président de Rothmans of Pall Mall à la fin des années 1950, et d'autres cadres de l'industrie canadienne du tabac, Brian Riordan fait allusion au duel au pistolet qui aurait pu résulter d'une pareille correspondance.
[610] As alluded to in the letter, Rothmans' announcements raised the ire of a number of tobacco executives and led to a colourful exchange of correspondence between some of them and Mr. O'Neill-Dunne that, in earlier times, could likely have culminated in duelling pistols at dawn.
Pour autant, le juge Riordan n'oublie pas de signaler ce qui est à ses yeux l'essentiel: sous la gouverne d'O'Neill-Dunne, Rothmans a paru vouloir admettre en 1958 que ses produits posaient problème en matière de santé, mais une remarque en 1964 de celui qui était son successeur, Wilmat Tennyson, montre bien que la compagnie canadienne se sentait davantage redevable envers son personnel et ses actionnaires qu'envers les êtres humains qui risquaient de souffrir d'avoir consommé du tabac. Au paragraphe 629, qui contient la citation de M. Tennyson, le juge déclare avoir trouvé « démoralisant » l'aveu du chef d'entreprise devant un parterre de l'Advertising and Sales Association.

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Raisonnements et usage de la documentation

Dans son verdict, le juge Riordan donne souvent l'apparence d'appuyer ses conclusions à propos des faits sur le raisonnement plutôt que sur une pièce au dossier ou sur un témoignage, peut-être souvent parce qu'il serait difficile de faire un choix parmi lesdites pièces et lesdits témoignages, qui abondent, ou parce que ce serait trop fastidieux d'indiquer comment leur recoupement force telle ou telle conclusion.

Par ailleurs, à la manière des procureurs des recours collectifs qui ont souvent utilisé les témoins appelés à la barre par l'industrie pour les retourner contre la défense, Brian Riordan utilise parfois, pour contredire l'argumentation d'un des deux camps, un témoin issu du même camp, comme lorsqu'il cite le témoignage de Peter Gage pour souligner à quel point David Stewart, le patron de Macdonald Tobacco (aujourd'hui JTI-Macdonald), était au courant que le tabac est un produit nocif.

Dans d'autres sections, si le juge Riordan paraît admettre une certaine ligne de pensée, c'est pour mieux en prendre le contrepied dans un paragraphe ultérieur.

Voici un exemple.

Le Continuous Market Assessment (CMA) est un sondage téléphonique qu'Imperial Tobacco, durant plusieurs années, a fait faire chaque mois auprès des fumeurs dans 28 grandes villes canadiennes et qui contenait entre autres des questions sur la perception des dangers du tabagisme.

La partie demanderesse au procès a voulu convaincre le tribunal que ce sondage prouvait qu'Imperial était au courant de l'état d'ignorance des dangers du tabagisme qui subsistait chez une forte proportion de fumeurs dans les années 1970 et 1980, et n'a rien fait pour corriger la situation. Appelés à la barre par la défense de l'industrie, le politologue Raymond Duch et la sociologue Claire Durand ont sévèrement critiqué la méthodologie du CMA et conclu qu'on ne peut pas s'y fier pour mesurer l'état des connaissances populaires.

En considérant le témoignage devant lui en 2012 d'un ancien marketeur d'Imperial, Ed Ricard, le juge Riordan estime cependant que la compagnie, à l'époque du CMA, considérait comme valables les données qui en ressortaient et prenait des décisions sur cette base; et ses données révélaient chez les fumeurs la persistance d'un fort degré d'ignorance des méfaits sanitaires du tabac. Et Brian Riordan d'observer que la « connaissance populaire » de ces méfaits, telle que définie par le professeur d'histoire David Flaherty, un autre expert de la défense, n'a pas été au rendez-vous avant 1982.
[333] From the figures out of The Canadian Tobacco Market at a Glance reproduced inthe table above, ITL would have concluded that from 52% (in 1971) to 21% (in 1989) ofsmokers did not feel that smoking was dangerous for anyone. The CMAs over that periodreflect the same level of ignorance. They also show that it was not until 1982 that thepercentage of respondents who felt that smoking was dangerous for anyone surpassed75%. This is the level of awareness that ITL's expert, Professor Flaherty, opined isrequired for something to be "common knowledge".
[334] It is true that the technical credibility of that data might be suspect in the eyes of an expert 30, 40 or 50 years later, but we must view this through ITL's eyes at the time. Mr. Ricard was there, and he confirmed that ITL believed the data and relied on it for important business decisions.
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Pour rejeter la thèse des avocats des recours collectifs suivant laquelle le tabac n'a aucune utilité, le juge déclare s'appuyer sur le témoignage de leur expert en dépendance, le Dr Juan Negrete, dans son premier rapport d'expertise (2006), en page 3. La nicotine a certains aspects bénéfiques, reprend le juge, comme d'aider la concentration et la relaxation.
[225] Although the Companies now admit that cigarettes are dangerous, the proof does not unconditionally support their uselessness. Even the Plaintiffs' expert on dependence, Dr. Negrete, admits that nicotine has certain beneficial aspects, for example, in aiding concentration and relaxation. (See Exhibit 1470.1, at page 3) 
Quand l'auteur du blogue a lu cela dans le jugement, il n'a pu faire autrement que de se souvenir que le Dr Negrete, dans son témoignage oral devant le tribunal au printemps 2013, a longuement expliqué le phénomène de l'allostase: le cerveau des personnes toxicomanes fonctionne mieux imbibé de leur drogue habituelle qu'à jeun. Le deuxième rapport d'expertise (2009) de Juan Negrete montre que les personnes qui déclarent le plus systématiquement une sensation de détente éprouvée au moment où elles fument sont aussi les personnes chez qui on observe le plus grand nombre d'autres manifestations de la dépendance au tabac.

Alors, est-ce que le juge Riordan cite le psychiatre Negrete hors contexte ?

Voici ce que dit le Dr Negrete, à la page 3 de son premier rapport: 

Les effets psycho-physiologiques de la nicotine dépendent beaucoup de la dose absorbée et du degré d'accoutumance. du fumeur. Elle peut causer une sensation d'euphorie et stimulation psychologique, mais aussi une réduction de 1'anxiété avec sensation de détente, et un effet de sédation. Ces deniers effets sont assez prononcés chez les fumeurs dépendants, car ils deviennent stresses quand le taux de nicotine dans 1'organisme descend a un niveau insuffisant. Donc, chez le fumeur habituel, la prise de nicotine produit un état d'éveil, avec une certaine euphorie, une capacité de concentration accrue, de la détente et, surtout, la disparition de 1'envie de fumer. La sensation de détente que 1'individu éprouve en fumant est en grande partie le résultat d'avoir satisfait sa compulsion de fumer, un état qui le tenait tendu et distrait.

Chose certaine, Brian Riordan n'était pas d'humeur à faire de quartier en rédigeant ce segment de son jugement.

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pièce 473C citée
dans le jugement final

Dans d'autres passages, le juge Riordan montre qu'il n'a pas toujours besoin d'un expert pour tirer des conclusions de l'examen d'un ensemble de pièces au dossier.

C'est ainsi que le magistrat mentionne les limites du rapport d'expertise du professeur de marketing Richard Pollay, un des témoins-experts de la partie demanderesse au procès, lorsqu'il s'agit de prouver une violation de l'article 219 de la Loi sur la protection du consommateur (LPC), qui interdit à un fabricant de faire de fausses représentations au consommateur.

Rien n'empêche cependant un juge de regarder lui-même dans le dossier de la preuve les annonces de cigarettes à qui les consommateurs potentiels ont été exposés, afin de juger si elles étaient trompeuses, à tout le moins pour un consommateur inexpérimenté. C'est ce que Brian Riordan a fait et il a conclu que plusieurs annonces, comme celle qui est visible ci-dessus, donnaient une impression que fumer n'est pas mauvais pour la santé. Et il déclare que la LPC a été violée.

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Après avoir analysé la preuve, le juge Brian Riordan estime que le phénomène de la compensation, qui survient souvent quand un fumeur se met à consommer une marque de cigarette à teneur abaissée en goudron et en nicotine, est partiel et temporaire.

Le juge déclare que c'est ce que les cigarettiers croyaient et qu'ils ont mis au courant le gouvernement fédéral canadien.

Le juge refuse de blâmer le gouvernement d'avoir crû réduire les méfaits sanitaires en laissant les cigarettiers proposer aux personnes trop dépendantes de la cigarette des cigarettes alors perçues par tout le monde comme moins dangereuses.
[350] The arguments that compensation is generally partial and temporary, i.e., thatafter a while the switcher stops compensating, seem logical and the Court is convinced that the Companies believed that to be the case. Nevertheless, even with only partial andtemporary compensation, there is still a hidden delivery.
[351] Given all this, should compensation or its hidden delivery be considered a safetydefect in reduced tar and nicotine cigarettes and did ITL know, or was it presumed toknow, of that risk or danger? If so, it would have had a duty to warn consumers about it,unless another defence applies.
[352] ITL does not deny that it was aware from very early in the Class Period thatcompensation occurred. In fact, the proof shows that it was the Companies, eitherindividually or through the CTMC, that warned Health Canada of the likelihood of thisessentially from the beginning, as seen from the following paragraph in RBH's Notes:664. Defendants themselves advised the federal government that compensationwould occur and negate at least some of the potential benefit of lower tarcigarettes for some smokers. Indeed, on May 20, 1971 the CTMC met withmembers of Agriculture Canada and National Health and Welfare’sInterdepartmental Committee on Less Hazardous Smoking. At the meeting, inresponse to the Interdepartmental Committee’s request for reduced nicotine levels,the CTMC warned the Interdepartmental Committee of compensation issues,including a tendency among smokers to "change smoking patterns to obtain aminimum daily level of nicotine when they switched to low nicotine brands at thatthis could increase the total intake of tar and gases."
[353] In spite of its awareness, Health Canada embraced reduced tar and nicotine andput forth the message that, if you can't stop smoking, at least switch to a lower tar andnicotine cigarette.
[354] We are not saying that Canada was wrong in going in that direction. It reflectsthe knowledge and beliefs of the time, and its principal message: "STOP SMOKING", wasincontestably well founded. On the other hand, Health Canada certainly appears to havebeen occupying the field with respect to information about reduced-delivery products.
[355] Once they had warned Health Canada of the situation regarding compensation,it is difficult to fault the Companies for not intervening more aggressively on that subject.To do so would have undermined the government's initiatives and possibly causedconfusion in the mind of the consumer. Perhaps more importantly, at the time it wasgenuinely thought that reduced delivery products were less harmful to smokers, even withcompensation.
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Les groupes pro-santé publique se sont déclarés heureux du jugement final du 1er juin 2015. L'industrie a signalé qu'elle fera appel.


NOTE RÉDIGÉE EN OCTOBRE 2016:  
La version du jugement final maintenant en ligne sur le site de la Société québécoise d'initiative juridique (SOQUIJ) contient une version française qui commence immédiatement après la version originale anglaise. L'hyperlien donné en début de notre relation est toujours le bon. Une fois sur la bonne page de la SOQUIJ, on peut télécharger une version Word du jugement et voir que la version française commence à la 278e page du fichier.

mardi 2 juin 2015

TROIS COMPAGNIES DE TABAC SONT DÉCLARÉES FAUTIVES ENVERS DES FUMEURS ET SONT CONDAMNÉES À DE LOURDES PEINES

(édition révisée)

Dans l'affaire opposant les trois principaux cigarettiers du marché canadien à deux groupes québécois de fumeurs et anciens fumeurs atteints de dépendance, d'emphysème ou d'un cancer au poumon ou à la gorge, l'honorable J. Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec a rendu public son jugement final lundi après-midi.
J. Brian Riordan, J.C.S.

Le tribunal conclut que les compagnies Imperial Tobacco Canada ltd (ITCL), Rothmans, Benson & Hedges inc. (RBH) ainsi que JTI-Macdonald Corp. (JTIM) ont commis de graves fautes en vertu du Code civil du Québec, de la Loi sur la protection du consommateur et de la Charte des droits et libertés de la personne, notamment en manquant à leur devoir de ne pas causer de préjudice à autrui et au devoir d'un fabricant d'informer ses clients des risques et dangers de ses produits.

Le juge Riordan condamne les trois cigarettiers à verser un dédommagement compensatoire moral de 15,5 milliards $ aux fumeurs ou anciens fumeurs de cigarettes atteints d'emphysème ou d'un cancer au poumon ou à la gorge (recours Blais/CQTS). (Ces sommes comprend des intérêts courus depuis 1998.)

Le jugement ne prévoit aucun dédommagement moral pour les victimes de la dépendance (recours Létourneau) « puisque la preuve ne permet pas d'établir d'une façon suffisamment exacte le montant total des réclamations des membres ».

Le juge condamne les défenderesses à verser 131 millions $ en dommages punitifs aux membres du recours Létourneau. Cependant, puisque plus de 900 000 Québécois sont potentiellement concernés par le règlement de ce recours collectif, le juge Riordan refuse de procéder à la distribution d'un montant d'environ 130 $ à chacun, au motif que ce serait onéreux et impraticable, et il déclare qu'il statuera plus tard sur la manière de débourser la pénalité.

En tenant compte de la capacité de payer des compagnies et des 15,5 milliards déjà prévus comme dédommagement moral aux membres du recours Blais, le juge limite à 30 000 $ par compagnie le dommage punitif à leur être versé.

Le tribunal a aussi ordonné le dépôt dans un compte en fiducie d'un montant de 1 131 090 000 $ afin de pourvoir à l'exécution provisoire du jugement, qu'il y ait ou non des appels.


Des questions tranchées

Tel qu'il l'avait annoncé aux parties, le juge Riordan s'est notamment employé à répondre à une série de questions empruntées au jugement d'autorisation des recours collectifs et du procès qui fut prononcé en février 2005 par l'honorable Pierre Jasmin de la Cour supérieure du Québec.

Globalement, les réponses se présentent ainsi:
  • Oui,durant la période considérée de 1950 à 1998, les compagnies défenderesses ont fabriqué et mis en marché un produit nocif pour la santé des consommateurs.
  • Oui, les défenderesses avaient connaissance des risques et des dangers associés à la consommation de leurs produits, et dès le début de la période considérée.
  • Non, les défenderesses n'ont pas choisi d'utiliser du tabac avec un ratio élevé nicotine/goudron avec pour but d'augmenter la dépendance. Elles ont suivi la politique du gouvernement fédéral canadien qui voulait diminuer les dégâts du tabagisme chez les personnes incapables d'arrêter de fumer, en faisant abaisser la teneur en goudron de chaque cigarette sans diminuer d'autant la dose de nicotine recherchée par le fumeur pour satisfaire son manque.
  • Oui, les défenderesses ont banalisé les risques et dangers du tabagisme et omis de divulguer ce qu'elles savaient à ce sujet, durant l'ensemble de la période.
  • Non, les défenderesses n'ont pas mis sur pied des stratégies de marketing qui véhiculaient de fausses informations sur les caractéristiques des cigarettes. Par contre, la publicité induisait en erreur les consommateurs inexpérimentés en véhiculant généralement des images de personnes attirantes et d'apparence saine, tout en brodant sur les thèmes de l'indépendance, de l'élégance, de la romance, de l'aventure ou du sport.
  • Oui, les défenderesses ont conspiré dès 1962 pour empêcher que les utilisateurs de leurs produits soient informés des risques inhérents à leur consommation.
  • Oui, les défenderesses ont porté atteinte au droit à la vie, à la sécurité et à l'intégrité des membres des recours collectifs, et ce n'était pas par accident mais par un choix de faire passer le profit avant la santé.
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Le jugement de 276 pages, en comptant les annexes, est rédigé en anglais, mais le juge a ordonné une traduction française.

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NOTE RÉDIGÉE EN OCTOBRE 2016:  
La version du jugement final maintenant en ligne sur le site de la Société québécoise d'initiative juridique (SOQUIJ) contient une version française qui commence immédiatement après la version originale anglaise. L'hyperlien donné en début de notre relation est toujours le bon. Une fois sur la bonne page de la SOQUIJ, on peut télécharger une version Word du jugement et voir que la version française commence à la 278e page du fichier.

mardi 7 avril 2015

Le champ de bataille canadien en 2015 vu par British American Tobacco

Comme Cynthia Callard le notait lundi, dans une courte édition spéciale du blogue Eye on the trials, c'est parmi les renseignements régulièrement transmis par les multinationales du tabac à leurs actionnaires que le public a la meilleure chance d'accéder à l'information la plus à jour sur l'état d'avancement des poursuites intentées contre l'industrie du tabac par les gouvernements provinciaux canadiens.

L'extrême discrétion des gouvernements apporte un démenti cinglant à ceux qui pourraient imaginer que les poursuites pour récupérer le coût des dépenses publiques de santé liées au tabagisme visaient à se faire facilement du capital politique sur le dos des « gros méchants capitalisses » profiteurs de l'épidémie de tabagisme, ou autrement, à faire réfléchir ceux qui disent que les gouvernements profitent financièrement de la situation avec les taxes sur le tabac.
Imperial Tobacco Canada est
une filiale à 100 % de BAT

Dans les pages 194 à 196 du rapport annuel de British American Tobacco (BAT) de Londres, publié en mars dernier, on peut prendre connaissance des faits suivants:
  • Des ententes ont été conclues sur le calendrier des procédures dans les causes opposant l'industrie à la Nouvelle-Écosse, l'Île-du-Prince-Édouard (IPE), la Saskatchewan et le Manitoba. En vertu de ces ententes, BAT s'est engagé à produire avant la fin de février sa défense écrite face aux reproches formulées dans les requêtes originales de la Saskatchewan et de l'IPE, et à faire de même avant juillet 2015 dans l'affaire similaire qui l'oppose à la Nouvelle-Écosse. Les ententes prévoient que la production de documents (préalables à d'éventuels interrogatoires) commencera en janvier 2017 dans l'affaire du Manitoba, et en septembre 2017, dans les cas de la Saskatchewan, de la Nouvelle-Écosse et de l'IPE. 
  • Alors que la Cour suprême du Canada a statué à l'été 2011 que la Couronne fédérale ne peut pas être partie prenante aux causes qui opposent les gouvernements provinciaux à l'industrie du tabac, même si cette dernière a longtemps espérer refiler une partie de la facture éventuelle à un gouvernement dont elle prétend avoir suivi les conseils, le gouvernement fédéral canadien continue de batailler avec BAT et les autres compagnies pour se faire payer les frais de son implication, par la faute de l'industrie, dans toutes ces affaires. Il réclame 5 millions $ à Imperial Tobacco Canada, la filiale de BAT et le numéro 1 des ventes de cigarettes au Canada, et le même montant à l'ensemble des autres compagnies défenderesses. Compte tenu que le gouvernement fédéral a été obligé de se défendre durant plus de dix ans, ces sommes ne paraissent pas exagérées, c'est le moins qu'on puisse dire.
  • On apprend que le montant réclamé par le Nouveau-Brunswick est de 19 milliards $. Les autres provinces dont le montant de réclamation est connu sont le Québec (60 milliards $), l'Ontario (50 milliards $) et l'Alberta (10 milliards $).
  • Des auditions relatives à des requêtes préliminaires à un procès ont eu lieu en janvier, dans l'affaire albertaine, et étaient prévues en mars, dans l'affaire de la province de Terre-Neuve.
  • La cause du Nouveau-Brunswick semble la plus avancée et la seule où l'échange préliminaire de documents est terminé, au point où des interrogatoires préliminaires (à la comparution devant le juge) sont en cours. Même dans ce cas cependant, le rendez-vous devant un juge n'est pas encore fixé. 
Ce qui pourrait rassurer les actionnaires de BAT et chagriner les partisans de la santé publique ailleurs qu'au Canada, c'est qu'en dépit d'une progression si lente des litiges canadiens impliquant l'industrie du tabac, la compagnie, dans une présentation sur la dette des investisseurs diffusée en mars, décrit le Canada comme la juridiction « la plus active » en matière de litiges. Quant au procès en recours collectifs devant le juge J. Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec, dont les internautes ont pu suivre les péripéties sur ce blogue, BAT mentionne qu'un jugement final est attendu en 2015 et rappelle que ce jugement est sujet à appel.

On n'est pas près de voir l'argent sortir des coffres des cigarettiers, sinon pour verser des dividendes aux actionnaires...

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Pendant que l'industrie du tabac fait de son mieux devant la justice pour échapper aux conséquences de ses agissements, les législateurs semblent ces mois-ci en veine d'agir de manière préventive dans l'épidémie de tabagisme.

Depuis le début de l'année 2015, trois pays ont légiféré pour imposer un emballage uniforme et neutre aux produits du tabac, en conformité de la Convention-cadre de l'Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac, ratifié par 179 pays souverains et par l'Union européenne.

L'Australie, qui était passé aux actes en 2011, n'est plus seule.

La République d'Irlande, suivie par le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, et maintenant par la France, ont emboîté le pas.

Il n'est pas du tout évident que cette offensive législative rapporte des dividendes en termes de votes lors des prochaines élections législatives dans ces pays. Les gouvernements pourraient avoir fait d'autres calculs qu'électoraux et jugé, tout simplement, que la santé de la population allait à long terme profiter d'une telle législation.

Les cigarettiers et leurs groupes de façade ont lancé une contre-offensive médiatique et judiciaire.