lundi 1 décembre 2014

Une avocate de l'industrie du tabac prend l'ascenseur pour Ottawa

La nouvelle, qui avait été annoncée par le bureau du premier ministre fédéral canadien jeudi dernier, est depuis lundi matin annoncée dans des termes très similaires par la Cour suprême du Canada: Suzanne Côté vient d'être nommée juge au plus haut tribunal du royaume. Mme Côté est une avocate très impliquée dans la défense d'Imperial Tobacco Canada au procès intenté par des victimes du tabagisme contre cette compagnie et deux autres cigarettiers.

Puisque les juges à la Cour suprême du Canada restent en poste jusqu'à ce qu'ils atteignent l'âge de 75 ans ou jusqu'à leur mort, selon la première éventualité, l'Honorable Suzanne Côté a donc toutes les chances d'être encore une des Neuf sages d'Ottawa le jour où le jugement final de l'Honorable J. Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec dans l'affaire qui nous occupe sur ce blogue sera l'objet d'un ultime appel. Bien entendu, ce jugement n'est pas encore rendu; le procès n'est même pas fini.

Les deux autres juges québécois que Suzanne Côté ira rejoindre à Ottawa, Richard Wagner et Clément Gascon, avaient pour leur part été précédemment juges à la Cour d'appel du Québec.

Dans le régime constitutionnel canadien, rien n'empêche cependant le conseil des ministres de nommer qui il veut au poste de juge, quitte à faire prendre la voie rapide à quelqu'un sans devoir expliquer pourquoi on l'a choisi de préférence à d'autres personnes qui étaient peut-être aussi qualifiées ou plus qualifiées, et peut-être moins controversées (voir cet article paru dans le Globe and Mail du 5 décembre)

Ironiquement, Suzanne Côté était l'avocate qui, devant la Commission d'enquête sur le processus de nomination des juges, de juin à octobre 2010, avait représenté les intérêts du gouvernement du Québec, alors dirigé par l'Honorable Jean Charest. La commission était présidée et constituée par un ancien juge de la Cour suprême du Canada, Michel Bastarache.

Or, dans son rapport de janvier 2011, la commission Bastarache a déploré le manque de transparence du processus de nomination des juges.

Hélas, le mandat de la commission Bastarache ne concernait que les juges qui peuvent être nommés par les gouvernements provinciaux.

Les juges de la Cour supérieure du Québec, de la Cour d'appel du Québec et de la Cour suprême du Canada sont nommés par le gouvernement fédéral canadien, ce qui permet au Canada de ne pas se sentir concerné par les critiques qui ont été faites du processus de nomination pratiqué par le gouvernement du Québec, comme si ce processus était une originalité de la province francophone.

Pour mémoire, l'Honorable Jean Charest est aujourd'hui retourné à la pratique privée du droit dans le cabinet juridique McCarthy Tétrault, une grosse firme à laquelle appartiennent aussi les défenseurs du cigarettier Rothmans, Benson & Hedges, de même que le conjoint de Me Côté, Me Gérald R. Tremblay, ainsi qu'un autre ancien chef du Parti libéral du Québec, Me Daniel Johnson, et un ancien président de ce parti, Me Marc-André Blanchard (à ne pas confondre avec le juge du même nom). Nommé juge (à la Cour supérieure du Québec) en 2002, le juge Clément Gascon de la Cour suprême du Canada, quand il était avocat, était associé au cabinet juridique Heenan Blaikie, qui a accueilli après qu'ils aient quitté le 24 Sussex Drive les anciens premiers ministres fédéraux Pierre Elliott Trudeau (1984) et Jean Chrétien (2002), lesquels étaient des avocats de formation, de même que Michel Bastarache après son passage à la Cour suprême. Me Bastarache était lui-même associé aux oeuvres du Parti libéral du Canada avant sa nomination à la magistrature.

Ce ne sont que quelques illustrations du dicton « le monde est petit ». On pourrait en remplir plusieurs pages.

Quand bien même une personne serait le plus grand expert du droit qui soit et plus tard un juge d'une indépendance exemplaire, le processus de nomination des juges ne lui rend probablement pas service.

extrait du rapport de la commission Bastarache, janvier 2011
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Encore un petit bout dans la veine des rapports entre l'industrie du tabac et certaines « familles » politiques, ou entre ces dernières et certains cabinets juridiques. Comme l'a découvert un journaliste de La Presse, la fille de l'ancien chef du Parti libéral du Québec, Alexandra Dionne-Charest, est une lobbyiste auprès du gouvernement du Québec pour le compte de la Coalition nationale contre le tabac de contrebande. Cette coalition est surtout un groupe de façade de l'industrie pour répandre des légendes sur la contrebande et obtenir une réduction des taxes. Quant à Marie-Claude Johnson, fille de l'ancien premier ministre du Québec Pierre-Marc Johnson, elle fait depuis 2011 du lobbying auprès du gouvernement du Québec pour le compte de Rothmans, Benson & Hedges, là aussi en rapport avec la contrebande et les taxes. Mme Johnson a aussi été la colistière de Mélanie Joly, candidate à la mairie de Montréal en novembre 2013. Me Pierre-Marc Johnson a été à partir de 1996 associé au cabinet juridique Heenan Blaikie, jusqu'à sa dissolution en 2014. L'autre fille de Jean Charest, Amélie, qui est avocate, a déjà travaillé au cabinet Heenan Blaikie, dont nous parlions aussi plus haut à propos de MM. Pierre Elliott Trudeau, Jean Chrétien, Michel Bastarache et Clément Gascon. Avant d'organiser l'élection de Justin Trudeau à la tête du Parti libéral du Canada en 2013, puis de se lancer en politique municipale, Mélanie Joly, qui est aussi avocate de formation, était pour sa part passée par le cabinet juridique Stikeman Elliott, auquel a été longtemps associé Me Marc Lalonde, ancien ministre de gouvernements du Parti libéral du Canada dirigés par P. E. Trudeau et témoin en défense d'Imperial Tobacco Canada dans le procès relaté ici. Le monde est très petit.

Faut-il ajouter, au bénéfice de nos lecteurs européens, et même si cela n'a pas encore de rapport avec la nomination de juges, que Justin Trudeau est le fils de l'ancien premier ministre canadien?

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UNE BONNE NOUVELLE POUR LA PRESSE ET LES CHERCHEURS

Changement de sujet.

Mêmes adversaires, intérêts communs.

Dans un procès, celui dont les événements principaux sont relatés sur ce blogue, les trois principaux cigarettiers du marché canadien affrontent des groupes de personnes atteintes de dépendance ou d'emphysème ou d'un cancer du poumon ou d'un cancer de la gorge.

Dans un autre procès, les mêmes compagnies, et leurs maisons-mères au fil des dernières décennies, affrontent le gouvernement provincial du Québec, qui veut recouvrer d'elles ce que l'épidémie de tabagisme a fait dépenser et fera dépenser au régime d'assurance-maladie durant la période 1970-2030, et d'autres sommes, le tout avec intérêts.

Dans d'autres procès, la même industrie affronte les autres gouvernements provinciaux du Canada pour la même raison et avec des réclamations similaires.

Noël arrive.

Les avocats des recours collectifs, qui ont acquis à leur frais une longueur d'avance sur ceux des gouvernements des provinces canadiennes, se sont entendus avec ces derniers pour assurer un accès public immédiat à l'ensemble des documents versés au dossier de la preuve dans le procès devant le juge Riordan.

Bien entendu, les documents enregistrés en preuve sont conservés au greffe de la Cour supérieure du Québec, comme dans n'importe quel procès.

Mais d'avoir tout cela sur des fichiers électroniques, accessibles en ligne depuis Vancouver ou plus loin encore, et tout de suite, c'est autrement plus pratique. Et pas seulement pour les avocats impliqués dans les actuels procès du tabac.

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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès des victimes du tabagisme contre les trois principaux cigarettiers du marché canadien, IL FAUT 

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


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