mercredi 22 octobre 2014

244e jour - Les demandeurs n'ont pas prouvé que TOUS les fumeurs ont été trompés, clame JTI-Macdonald


extraits du dossier de presse
Mardi, Me Guy Pratte, le défenseur de Japan Tobacco International - Macdonald, a jeté sous les yeux du juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec un bel échantillon d'articles parus dans la presse québécoise au fil des années 1950 à 1990 qui font état de la nocivité du tabac. Ces articles figurent dans les rapports d'expertise des historiens Jacques Lacoursière et David Flaherty.

Il est de nouveau arrivé à l'avocat de JTI-M de laisser entendre que toute la population était au courant du problème il y a déjà longtemps, ce qui est un vieux refrain des défenseurs de l'industrie dans ce procès, mais il est aussi devenu de plus en plus évident que ceux-ci ont changé de cheval de bataille depuis le printemps dernier.

Désormais, Me Pratte, tout comme Me Potter plus tôt ce mois-ci, se sert à une autre fin argumentaire de cette « preuve » journalistique, de même que des revues systématiques de sondages de l'industrie ou du gouvernement qu'ont effectuées les politologues Christian Bourque et Raymond Duch.

À partir des travaux des historiens et des politologues, la défense affirme désormais, plus modestement, que « tout le monde n'ignorait pas » et proclame que les demandeurs au procès n'ont pas prouvé après deux ans et demi que « tout le monde ignorait » (les méfaits sanitaires du tabac).

À défaut de voir maintenant le tribunal devant une telle preuve, la défense réclame au juge Riordan de rejeter la requête collective des personnes atteintes d'emphysème ou d'un cancer ou de dépendance et qui réclament des dédommagements compensatoires à l'industrie en la blâmant d'être responsable de ces dégâts sanitaires.

Depuis le début du mois, la défense de l'industrie prétend, en gros, que le juge Riordan est plus que jamais devant l'évidence que la seule façon de respecter les règles de la preuve dictées par les lois en vigueur au Québec, ça aurait été de laisser les compagnies de tabac départager les brebis galeuses des bonnes brebis, ou les fumeurs qui méritent leur mauvais sort des autres qui pourraient théoriquement mériter une compensation. Autrement dit, la seule façon légale de procéder était d'éclater le procès en recours collectif en plusieurs procès individuels.

Comme Me Potter, mais parce que c'est un vieux truc de rhéteur et non par mimétisme, Me Pratte a cité en français l'article 2849 du Code civil du Québec au milieu d'une plaidoirie en anglais.

2849. Les présomptions qui ne sont pas établies par la loi sont laissées à l'appréciation du tribunal qui ne doit prendre en considération que celles qui sont graves, précises et concordantes.

1991, c. 64, a. 2849.

Aux yeux de l'avocat de JTI-M, la preuve n'a pas été faite non plus que son client a tenté sérieusement de contrecarrer le message antitabac que le gouvernement fédéral canadien livre constamment au public depuis 1964. La soi-disant preuve des demandeurs ne serait qu'un branlant échafaudage de plusieurs présomptions.

Me Pratte a entre autres reproché aux avocats des recours collectifs d'avoir tiré sur le messager (des nouvelles déplaisantes) en parlant du Dr Maurice Seevers, qui a rédigé un chapitre du rapport de 1964 du Surgeon General des États-Unis, où il distingue les concepts de dépendance et d'habituation au tabac, distinction dont le psychiatre québécois Juan Negrete a témoigné devant le juge Riordan qu'elle était caduque dès avant 1964. Peu importe qu'une partie de ses recherches du pharmacologue américain aient été financées par l'industrie du tabac, selon le rapport d'expertise de l'historien Robert Proctor, pourquoi est-ce que les demandeurs au procès ont été incapables de produire des critiques des vues de Seevers qui sont contemporaines de la publication du rapport du Surgeon General si lesdites vues n'étaient pas représentatives du consensus médical de l'époque ? Le Surgeon General a mis 24 ans à réviser son avis.


Le gouvernement

Dès lundi et de nouveau mardi, le défenseur de JTI-M s'est efforcé de montrer que son client n'en a jamais su plus long que le gouvernement sur les méfaits sanitaires du tabac et que ce dernier n'a jamais été dupé par l'industrie. Ce discours se voulait en partie une réplique au procureur des recours collectifs Philippe Trudel qui a affirmé en septembre que le gouvernement s'était fait « rouler dans la farine » en ce qui concerne le caractère soi-disant moins nocif des cigarettes à teneur abaissée en goudron.

Mardi, Me Pratte a voulu enfoncer le clou en citant un extrait du témoignage de Marc Lalonde en juin 2013. M. Lalonde fut le ministre fédéral de la Santé de 1972 à 1977, et il a déclaré devant le juge Riordan que le but qu'avait le gouvernement en publiant les teneurs en goudron et en nicotine des différentes marques de cigarettes était
« d'encourager les Canadiens, s'ils décidaient de continuer à fumer, eh bien, au moins de les encourager à choisir des cigarettes qui auraient le taux le plus faible possible en matière de nicotine et de goudron. Alors, en portant ça à leur connaissance, on espérait qu'ils se rendraient compte qu'ils avaient le choix et ils avaient entre les mains l'information nécessaire pour prendre...consommer des cigarettes qui, à notre avis, seraient moins dommageables à la santé que celles qui ont des taux de goudron et de nicotine plus élevés. »
Le juge Riordan se souviendra peut-être aussi que Me Trudel, lors du contre-interrogatoire de Marc Lalonde, lui avait fait dire que l'industrie n'avait jamais transmis au ministère d'études sur le phénomène de la compensation. Le témoin n'avait même pas l'air convaincu qu'un tel phénomène existe, contrairement à plusieurs cadres de l'industrie, dans leur correspondance interne.

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Me Pratte avait retrouvé mardi tout l'aplomb qu'on lui connait et dont il avait paru manquer légèrement et occasionnellement lundi après-midi. Votre serviteur oserait dire que l'avocat prenait plaisir à plaider et à répondre aux questions du juge.

Le juge Riordan a notamment demandé des éclaircissements concernant l'attribution des mises en garde sanitaires apposées sur les paquets de cigarettes. Me Pratte a aussitôt expliqué que le gouvernement fédéral, quand il laissait encore l'industrie s'auto-réglementer, avait consenti à ce que les cigarettiers attribuent à Santé Canada les mises en garde contre les dangers de l'usage du tabac. Sur les écrans de la salle d'audience, par les bons soins habituels de Me Patrick Plante, une lettre de décembre 1971 est apparue, adressée au président du Conseil canadien des fabricants de produits du tabac, Paul Paré, par le ministre fédéral de la Santé John Munro. (À cette date, le gouvernement Trudeau n'avait cependant pas encore renoncé à légiférer.)

À diverses reprises lundi et mardi, le procureur de JTI-Macdonald a soutenu qu'il n'y a pas de preuve que des mises en garde sanitaires différentes de celles qui ont été imprimés sur les paquets au Canada auraient eu plus d'effet. Avec les mises en garde illustrées actuelles, il reste encore beaucoup de fumeurs.

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Aujourd'hui, mercredi, Me Pratte va s'employer à montrer que le marketing de JTI-Macdonald, durant toute la période de 1950 à 1998, n'avait rien de répréhensible.