dimanche 11 mai 2014

231e jour - 45 minutes sans avancer

(CyC)

Au palais de justice de Montréal, le tribunal chargé d'instruire le procès en recours collectifs des trois principaux cigarettiers canadiens n'a siégé mercredi que 45 minutes.

Deux matières ont été abordées, et il n'y en a eu aucune au sujet de laquelle le juge J. Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec a semblé obtenir les réponses qu'il espérait.


Comment puis-je rendre justice en restant secret ?

Le premier sujet abordé était la proposition faite la semaine dernière par les deux parties à l'effet que la question de la confidentialité des états financiers des compagnies soit résolue à la fin du procès.

La situation patrimoniale des compagnies est un enjeu relatif aux dommages punitifs qui pourraient leur être imposés, d'où l'obligation qu'elles ont de fournir leurs états financiers récents. Ces états financiers ont été enregistrés au dossier du procès le mois dernier et gardés sous scellés durant le temps nécessaire pour permettre aux compagnies de convaincre le tribunal qu'ils devraient rester confidentiels à jamais. Un débat sur la confidentialité qui devait avoir lieu au début de mai n'a finalement jamais eu lieu.

Mercredi, le juge Riordan a fait part de ses incertitudes quant à cette approche. Le magistrat a dit que si la question de la confidentialité est encore ouverte au moment où il prendra une décision sur le fond de la question (Les compagnies doivent-elles ou non verser des dommages punitifs ?), il sera nécessaire pour lui de trancher la question de la confidentialité et d'exécuter sa décision sur le champ les renseignements qu'il considère appropriés. Le juge a alors demandé aux compagnies si elles renonceraient à leur droit d'appel d'une telle décision s'il suivait cette approche. La réponse négative n'a pas semblé le surprendre. Il a réagi sans enthousiasme aux diverses options qu'on lui a alors suggérées pour gérer le problème, et il a estimé qu'il lui faudrait marcher sur un fil de fer.


Imperial campe sur son refus

S'il y avait une grave question à l'ordre du jour de mercredi, c'était le débat attendu depuis quelques semaines concernant une suggestion du juge Riordan d'entendre le témoignage d'un petit échantillon de fumeurs et anciens fumeurs inscrits aux recours collectifs que la compagnie Imperial Tobacco Canada (et elle seule) voudrait faire comparaître, et que ces auditions aient lieu sans attendre que la Cour d'appel du Québec ait tranché la question de savoir si ces témoins de faits devraient être obligés ou non d'apporter leur dossier médical. (Il faut rappeler que la défense d'Imperial a déjà dit vouloir faire comparaître ces personnes, même si la Cour d'appel maintenait le refus de Brian Riordan de les obliger à produire un dossier médical.)

Me Suzanne Côté, qui représente les intérêts d'Imperial en cette matière, est arrivée devant le tribunal avec moult raisons pour justifier son sonore refus de cette suggestion. Sur un ton saccadé qui est sa marque de commerce et en agitant l'index de la main droite, l'avocate a rappelé au juge que c'était son droit de mener la défense de sa client de la façon qu'elle désirait (« C'est mon droit ! ») et qu'elle avait coopéré l'an dernier à la définition du plan acutel. Me Côté a parlé du besoin d'avoir accès aux dossiers médicaux pour sélectionner les témoins, pour choisir les bonnes questions et la séquence des questions à poser lors de l'interrogatoire.

Me Côté s'est dite confiante que la Cour d'appel acquiescera à sa demande (de casser le jugement de Brian Riordan). L'avocate, qui avait plaidé devant le tribunal d'appel en février, a même cité un commentaire formulé lors de l'audition, un commentaire du tribunal allant dans le sens de son avis que les dossiers médicaux donnent à la défense du cigarettier la possibilité de rafraîchir la mémoire des fumeurs interrogés et de mettre en lumière leur comportement.

Des solutions de rechange, comme d'interviewer un échantillon de membres des recours collectifs à l'occasion de dépositions sans la présence du juge, ont été examinées, mais n'ont pas semblé faire l'objet d'un accord des parties.

Le juge Riordan n'a pas insisté. S'il était désappointé d'une rigidité qui mène à des délais, il ne l'a montré que d'un manière détournée. Il a complimenté Me Craig Lockwood, le co-défendeur d'Imperial, pour sa capacité à suivre la discussion, qui avait lieu en français. «Your French is getting pretty good, Maitre Lockwood. By the time the trial finishes in 2020, you will be fully bilingual! » (Votre français devient pas mal bon, Me Lockwood. Vers la fin du procès en 2020, vous serez parfaitement bilingue.)


Trois jours d'audition en mai

À défaut d'une comparution de fumeurs à la barre des témoins, il ne reste donc en mai que deux jours d'audition et un témoin à entendre.

Mercredi de cette semaine (14 mai), un certain nombre de documents seront enregistrés comme pièces au dossier de la preuve en vertu de l'interprétation Riordan de l'article 2870 du Code civil du Québec. Le grand patron de JTI-Macdonald, Michel Poirier, reviendra devant le tribunal le vendredi 23 mai.


Des bruits en provenance d'un autre procès du tabac

Avec plus de temps à ma disposition que prévu, je suis allé profiter d'un petit déjeuner tardif à la cafétéria du 5e étage du palais de justice. La concentration que je mettais à remplir une grille de mots croisés a été perdue du fait de l'arrivée de personnes aux voix familières à la longue table à côté de la mienne.

Une douzaine d'hommes et deux ou trois femmes, notamment les juristes Silvana Conté, Allan Coleman et François Grondin s'installaient pour échanger leurs vues sur les instructions qu'ils venaient de recevoir de « Sanfaçon ». J'ai déduit qu'ils parlaient du juge Stéphane Sanfaçon qui instruit le procès intenté contre les cigarettiers par le gouvernement du Québec, qui veut récupérer le coût des soins de santé dus au tabagisme.

N'étant ni habile à écouter aux portes ni à l'aise dans ce rôle, j'ai déménagé vers une table plus distante. Si j'étais demeuré à ma place, peut-être que j'en aurais appris davantage à propos de ce qui se passe dans cet autre important procès.

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Ce texte est une adaptation française d'une relation en anglais par Cynthia Callard