jeudi 24 avril 2014

229e jour - Un autre expert dupé par des avocats du tabac et par lui-même ?

(PCr)

Au palais de justice de Montréal, au procès en responsabilité civile des trois principaux cigarettiers du marché canadien, les avocats des recours collectifs, au fil d'un contre-interrogatoire de plus en plus serré du professeur de marketing David Soberman, sont en train de montrer que des avocats du bureau londonien du cabinet juridique international Freshfields ont pris une part à la rédaction de son rapport et aux recherches préliminaires qui a l'air d'être nettement plus importante que ce que le souriant témoin-expert de la défense avait admis mardi.

Chose certaine, il devient de plus en plus difficile pour le juge J. Brian Riordan de savoir qui a écrit quoi dans le rapport d'expertise du professeur Soberman et selon quelle séquence. Ce serait peut-être sans conséquence si les conclusions de M. Soberman n'étaient pas si extraordinairement commodes pour l'industrie du tabac et si sévères pour un autre rapport d'expertise, versé à l'hiver 2013 au dossier de la preuve en demande, celui du professeur Richard Pollay.

Mardi et mercredi, David Soberman a dit qu'il ne mettait pas en doute la bonne foi des avocats qui l'ont « aidé », notamment en préparant des résumés de documents de marketing de RJR-Macdonald. Le professeur a aussi prononcé le mot « impartialité », ce qui a fait sourire. Le témoin-expert réussit peut-être l'exploit d'être encore naïf et d'être, de l'avis du juge Riordan, très intelligent. (Le juge l'a souligné plus d'une fois et de plus d'une façon, bien que parfois pour presser le vigilant défenseur de JTI-Macdonald, Me Doug Mitchell, de laisser répondre le témoin sans s'inquiéter.)

Du milieu de la matinée mardi jusqu'au milieu de la matinée, c'est un Philippe Trudel impatienté qui s'est efforcé de percer le mystère de la rédaction du rapport Soberman et le témoin-expert a tenu tête à l'avocat, avec l'air de prendre plaisir à la confrontation, car c'en était une. Bruce Johnston a alors pris la relève de son partenaire Trudel, et c'est comme si le ressort de M. Soberman s'était cassé.

Le professeur a cessé subitement de déambuler comme il le fait peut-être devant un tableau en classe; il sourit moins souvent; ses mains ont souvent trouvé refuge dans son dos; il regarde plus souvent par terre; ses réponses sont plus courtes; il a dit plus d'une fois « je ne sais pas »; il a plus d'une fois invoqué les limites de son mandat; il n'a plus l'air de trouver drôle son expérience judiciaire; il a réclamé une pause un moment donné. Le juge lui a accordé.

Bref, le duo d'avocats est en train d'user le témoin, en jouant la combinaison bad cop - bad cop au lieu du traditionnel good cop - bad cop.

Tout sera peut-être à recommencer ce matin, après une nuit de repos prise par M. Soberman. Me Johnston a cependant encore une bonne provision de questions.

Quand David Soberman a voulu à la fois souligner que le prolongement de son témoignage l'obligeait à reporter son vol de retour vers Toronto, un message sans doute envoyé au juge, et mentionner que Me Johnston ne devait pas s'en faire avec un inconvénient, le prolongement possible d'une comparution, qui fait partie des aléas de la vie d'un témoin, Me Johnston a fait état de son absence de malaise à cet égard. L'auteur du blogue n'a pas été la seule personne dans la salle à réprimer un éclat de rire.


Un marketing qui ne lave pas plus blanc

Du contre-interrogatoire, il ressort désormais qu'il suffit, entre autres, de changer un mot par ci par là dans le rapport de Richard Pollay pour que M. Soberman se réconcilie avec les vues de son distingué confrère de l'Université de la Colombie-Britannique. Dans le pire des cas, les désaccords scientifiques paraissent moins profonds ou moins nombreux que la semaine dernière.

De l'examen de documents internes effectué devant le tribunal depuis mardi, il appert que les conceptions que la notion de « marché mûr » que le professeur Soberman reprochait au professeur Pollay de ne pas comprendre n'avaient pas du tout pour les praticiens du marketing chez RJR-Macdonald les mêmes implications pratiques que pour M. Soberman.

Mercredi, Me Trudel a aussi fait dire à l'expert en marketing de la défense que l'étude des stratégies de mise en marché des concurrents faisait partie des tâches à ne pas négliger pour un marketeur vigilant. M. Soberman avait déclaré mardi qu'il avait lu le témoignage de Richard Pollay. Or, il y est notamment question d'un document de Rothmans, Benson & Hedges sur les stratégies d'Imperial et de Macdonald. M. Soberman n'a pas demandé aux jeunes avocats de Freshfields de le lui procurer. Un oubli malencontreux.
annonce d'un événement commandité
par le fabricant de la marque Export A

De même, l'expert n'a pas demandé à ses fournisseurs de documentation sur ce qui était advenu des analyses qui ont précédé et suivi la massive campagne de commandites Sports Extrêmes de RJR-Macdonald, à la fin des années 1990.

Me Johnston a fait confirmer à l'expert qu'il aurait pu interroger de nombreux acteurs du marketing chez JTI-Macdonald (jadis RJR-Macdonald) qui sont encore vivants, et qu'il ne l'a pas fait.

Me Johnston a aussi fait parler à l'expert du recrutement de fumeurs dans la population d'âge mineur et des vocables employés par les marketeurs, tels que starters, new smokers, first time smokers, younger smokers, etc.

De façon générale, le professeur Soberman a donné l'impression d'avoir été un peu négligent dans son travail d'expertise.

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Le juge Riordan a exprimé sa préoccupation devant le temps que la Cour d'appel du Québec met à rendre un jugement sur la requête en cassation présentée par Imperial Tobacco relativement à une obligation qui pourrait être faite à des fumeurs et non-fumeurs appelés à témoigner d'apporter leur dossier médical.

L'incertitude dans la décision de la Cour d'appel a pour conséquence de bousiller toute tentative de planifier le déroulement de la fin du procès.

L'honorable juge de la Cour supérieure a demandé à quiconque qui saurait dans quel sens a penché la Cour, grâce à des antennes auprès des juges de la Cour d'appel, de partager le renseignement avec toutes les parties au procès et avec lui.