lundi 3 février 2014

207e jour- Le retour à la barre de Lance Newman

(SGa)
Le témoin à la barre jeudi dernier est un spécialiste de la publicité. Lance Newman, actuellement directeur de la planification stratégique pour la région des Amériques chez Japan Tobacco International (JTI), a aussi oeuvré au sein de RJR-Macdonald de 1992 à 1999. Son passage chez ce cigarettier était la raison de sa présence au procès jeudi dernier. C'était un retour à la barre pour lui car il avait déjà comparu le 22 novembre dernier lors de la 186e journée d'audience.

Lors de cette journée, Lance Newman avait été mis devant plusieurs contradictions lors du contre-interrogatoire mené par Me Philippe Trudel. Maître Trudel l'avait notamment interrogé sur le non respect du Code de conduite volontaire, qui est redevenu la seule « loi de l'industrie », après le jugement de la Cour suprême du Canada contre la Loi réglementant les produits du tabac, en 1995. Jeudi dernier, Me André Lespérance est revenu brièvement sur ce sujet et d'autres.

Les jeunes et le tabagisme

Lors de la journée, Me Lespérance a voulu savoir si M. Newman était au courant (à l'époque où il était à l'emploi de RJR Macdonald) que les jeunes s'initiaient très tôt au tabagisme. Dans un « rapport duMaurier » présenté en preuve, il y est dit que les jeunes s'initiaient à la cigarette dès l'âge de 14 à 16 ans. Certains débutaient même dès l'âge de 10 ans. De plus, pour les jeunes dont les parents fumaient, il était très facile pour eux d'obtenir des cigarettes. M. Newman a répondu à cela qu'il avait entendu ce genre de choses lors de groupe focus mais ce n'était pas une pratique que son entreprise encourageait. «Nous étions une entreprise très conservatrice et nous ne fermions pas les yeux sur le tabagisme juvénile. Nos programmes de marketing étaient axés sur les fumeurs adultes et les jeunes fumeurs ne faisaient pas partie de nos pratiques d'affaires.» (traduction libre)

Me Lespérance a voulu en savoir plus sur la facilité pour les jeunes d'obtenir des cigarettes à cette époque.

Votre entreprise savait-elle qu'il était facile pour les jeunes de moins de 16 ans de se procurer des cigarettes dans les dépanneurs?, a demandé Me Lespérance. Lance Newman a répondu : «Les jeunes disposent de bien des ressources pour obtenir ce qu'ils veulent, cela n'est donc pas surprenant qu'ils réussissent à trouver un moyen pour l'obtenir. Comme entreprise, nous savions que des employés de dépanneurs vendaient des cigarettes aux jeunes. Mais savoir quels dépanneurs le faisaient, c'est très difficile à dire. Cependant, des propriétaires de ces commerces étaient plus vigilants que d'autres et refusaient de le faire.» (traduction libre)

Les jeunes comme groupe-cible

Plus tard, Me Lespérance a interrogé M. Newman à propos d'un document datant de 1996 (pièce 571B) dans lequel il est fait mention de la stratégie de positionnement de la marque Export A. En le lisant, on comprend clairement que l'entreprise ciblait les jeunes adultes âgés de 19 à 24 ans. Dans le document, il est mentionné que les jeunes de cet âge sont dans un processus de construction de leur identité et de l'image qu'ils veulent projeter. Bien qu'ils se croient eux-mêmes indépendants, l'appartenance à un groupe demeure importante. Ils voient le tabagisme comme un symbole qui les aident à renforcer leur maturité, leur indépendance et leur individualité.

Me Lespérance a voulu savoir si cette affirmation pouvait convenir également à des jeunes de 16 à 18 ans. Lance Newman, un peu embarrassé, l'a admis au conditionnel («cela peut être le cas») et du bout des lèvres. L'avocat Lespérance, par cette question, voulait sans doute vérifier si cette stratégie ne visait pas également un public plus jeune.

Un magazine comme outil de promotion Au milieu des années 1990, RJR Macdonald a utilisé un autre véhicule de promotion pour ses produits : le magazine. Appelé Compete! Extreme sports magazine, la publication a été imprimée en 200 000 copies et distribuée sous forme d'encart dans des magazines universitaires. Me Lespérance a voulu savoir si la publication avait aussi été distribué dans le réseau des Cégep (où l'on trouve des jeunes de 16 à 19 ans). M. Newman n'a pu répondre à la question, disant ne pas le savoir. Pour ce spécialiste du marketing, il n'y avait toutefois rien de controversé à distribuer ce magazine dans les écoles où de jeunes adultes étudient.

Cette campagne de promotion s'est matérialisée aussi sous la forme de partys, de concerts de musique et d'événement sportifs. Le tout était appelé Extreme Music et Extreme Sports series. Ce type de commandite a été par la suite interdit par la Loi (fédérale) sur le tabac de 1997.

La technique consistait à créer une image attrayante des cigarettes ExportA et faire disparaître les vieux préjugés sur la marque. Le témoignage de Lance Newman s'est terminé ainsi en fin de matinée.

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Une joute entre avocats

En après-midi, on a eu le droit à une joute entre avocats de la défense et avocats des recours collectifs. Me Simon Potter s'est opposé à la comparution prochaine de l'expert Paul Slovic, invité par la partie demanderesse à réfuter les arguments "pro-tabagisme" de Kip Viscusi (expert qui a comparu lors des 200e et 201e jour d'audience).

La partie défenderesse a voulu aussi attaquer la crédibilité du rapport du Dr David Burns en demandant la permission au juge de faire comparaître deux experts.

Le problème, c'est que le juge Riordan avait mentionné au mois de décembre dernier que la défense n'aurait le droit de faire comparaître qu'un seul témoin. Rappelons que le Dr Burns a été mandaté par les avocats des recours collectifs pour défendre la célèbre Monographie 13 qui avait été durement critiquée par le consultant Michael Dixon (expert qui a comparu trois jours en septembre dernier). Ce dernier avait soutenu que les cigarettes à basse teneur en goudron avaient permis une réduction du risque d'être atteint par une des maladies associées au tabagisme, en particulier le cancer du poumon.

Le juge a semblé excédé par cette demande de la défense. Les avocats des recours collectifs, Me Boivin et Me Lespérance, s'y sont objectés vivement. Mais, au bout du compte, le problème est demeuré non résolu.

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Les audiences reprendront le 17 février prochain avec la comparution de M. Sanford Barsky.