vendredi 13 décembre 2013

194e jour - Albert Liston, un témoin qui navigue à contre-courant

(SGa)

Alors que dehors, le froid était à fendre la pierre, la 2e journée de comparution d'Albert Liston a été plutôt chaude et fertile en rebondissements. Le témoin qui a eu un rôle névralgique à Santé Canada pendant plusieurs années (lire le blogue de la 193e journée pour plus de détails) a continué à nier l'évidence scientifique mondialement reconnue à l'effet que le tabac cause une dépendance et est responsable de plusieurs milliers de mortalités prématurées chaque année au pays. Les chiffres sur le nombre de mortalités annuelles (35 000 ou 40 000, selon le cas) sont exagérés, selon lui.

Déjà lors du 193e jour d'audience, Albert Liston a nié que le tabagisme puisse entraîner une accoutumance. La suite de son témoignage, en cette 194e journée, a confirmé à quel point M. Liston navigue à contre-courant et a pris des décisions, à cette époque, qui ont pu mettre en danger la santé des Canadiens.

À ce propos, profitons-en pour faire un petit rappel historique. Lors du scandale du sang contaminé, au début des années 1980, Albert Liston était alors sous-ministre adjoint chargé de la Direction générale de la protection de la santé du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social. Or, la gestion de cette crise qui a causé la mort de plusieurs milliers d'hémophiles et détérioré la santé de milliers d'autres avait fait l'objet à l'époque de plusieurs critiques.


Un témoignage truffé d'invraisemblances

Mais revenons à nos moutons. Lors de l'audition de jeudi, l'avocat Bruce Johnston du recours collectif a mené un contre-interrogatoire serré du témoin Liston, ce qui a permis de relever certaines contradictions et plusieurs invraisemblances.

Parmi ces invraisemblances, Me Johnston mentionne un document où M. Liston compare la combustion du tabac avec la combustion de certaines espèces végétales. Dans les deux cas, il y a présence de matières toxiques à de faibles niveaux, a relevé M. Liston, voulant ainsi par cette démonstration minimiser la toxicité de la fumée de tabac. Me Johnston a trouvé la comparaison plutôt boiteuse.

Albert Liston croit aussi que la fumée de cigarette n'est pas mortelle et cela malgré qu'il y ait un consensus scientifique bien établi à ce chapitre. « La toxicité se détermine en premier lieu par la dose, dit-il en substance. Si la dose est petite, ce n'est pas toxique. Si la dose est plus forte, cela peut être mortel dans certains cas. » (traduction de l'auteur du blogue)

Pour mieux illustrer son propos, M. Liston a fait aussi une analogie avec l'eau, un liquide essentiel à la vie. « Une consommation d'eau en trop grande quantité peut causer la noyade alors qu'un excès d'eau chronique peut résulter en une hausse de la pression sanguine. » Mais il y a un hic, c'est que la majorité des fumeurs ne se retrouvent pas dans cette situation. Ils sont exposés à de petites doses de fumée, à répétition et à chaque jour.

L'ancien sous-ministre adjoint de Santé Canada a surpris le public de la salle d'audience en n'associant pas le tabagisme au développement du cancer. Selon lui, il n'est pas prouvé que le tabagisme cause le cancer du poumon. À ce sujet, il a dit: « l'exemple classique, c'est de dire que la majorité des gens qui meurent ont les cheveux gris alors les cheveux gris ne causent pas la mort. Le lien n'est pas causal. » M. Liston a émis les mêmes doutes au sujet des morts prématurées causées par le tabagisme. Selon lui, les fumeurs meurent d'une variétés de maladies et on ne peut associer le tabagisme à une mortalité prématurée chez les fumeurs. 


Une publicité honnête?

Interrogé sur la publicité faite par les fabricants, Albert Liston a affirmé qu'elle était honnête et véridique. Et pourtant, dans le même souffle, il a admis que ceux-ci ne mettent pas toujours l'accent sur les risques associés au tabagisme.

Toujours sure le même sujet, Me Johnston lui a demandé s'il était au courant de la publicité (faite au milieu des années 1980) sur les cigarettes Tempo et Avanti qui ciblaient clairement les jeunes de moins de 18 ans en contravention avec le code volontaire de publicité du Conseil canadien des fabricants de produits du tabac (CTMC). Albert Liston a prétendu qu'il ne le savait pas, lui qui était pourtant à l'époque responsable de la règlementation des produits de tabac et de bien d'autres produits de consommation.

La publicité sur le tabac a-t-elle encouragé les gens à s'adonner à des pratiques non sécuritaires et dangereuses pour la santé, lui a demandé Me Johnston ? Pour l'ancien sous-ministre adjoint, la réponse a été non. « J'ai de la difficulté avec cette question car on peut fumer et cela ne vous tue pas, a-t-il dit en résumé. Le niveau de dangerosité se fait sentir sur plusieurs dizaines d'années, ce qui le rend difficile à évaluer et à quantifier. »

Par ses propos, Albert Liston a semblé donc plutôt favorable à la situation prévalant quand l'industrie s’auto-réglementait en matière de publicité. Pourtant, en 1986, le document A catalog of deception remis au ministère fédéral de la Santé par l'Association pour les droits des non-fumeurs démontrait bien les limites de l'auto-réglementation de l'industrie. En prenant les règlements du Code point par point, les auteurs avaient démontré comment il avait été facile (en donnant des exemples) pour les compagnies de se soustraire à leurs propres règlements. 


Imbroglio autour de Nancy Roberts

À la fin de l'audience est survenu un imbloglio au sujet de deux pièces au dossier de la preuve présentées par la partie demanderesse.

En novembre 1985, une femme au nom de Nancy Roberts a rédigé une lettre adressée au ministre de la Santé de l'époque, l'honorable Jake Epp. Elle y faisait part de sa forte désapprobation de la campagne de publicité conçue par RJR-Macdonald et visant à promouvoir les cigarettes Tempo auprès des jeunes de moins de 18 ans. Plus d'un mois plus tard, le ministre Epp lui répondait en mentionnant qu'il a écrit au cigarettier RJR-Macdonald pour lui demander de retirer cette publicité, affirmant qu'elle contrevenait à la règle 7 du code de publicité du CTMC (qui interdit les publicités qui ciblent les jeunes de moins de 18 ans).

L'avocate Nancy Roberts
Jusqu'ici, tout semblait dans la normalité des choses. Cependant, à la fin de l'audience, les avocats de la partie défenderesse sont intervenus pour demander que les avocats du recours collectif retirent la suggestion selon laquelle la personne qui avait rédigé la lettre, Nancy Roberts, était l'avocate d'Imperial Tobacco Canada dont il est souvent fait écho sur ce blogue.

Le juge Riordan a demandé à ce que les choses demeurent inchangées, et l'identité de l'auteure de la lettre reste un mystère.

Le procès reprend le lundi 16 décembre, en après-midi.