mardi 3 décembre 2013

187e jour - La défense d'Imperial ramène l'attention sur les recherches gouvernementales à la ferme de Delhi

(PCr)
Au Canada comme dans plusieurs pays, pendant longtemps et encore maintenant, les pouvoirs publics ont cru nécessaire d'aider l'agriculture à être plus efficace.

document du gouvernement
fédéral canadien retraçant
les efforts et succès
de ses chercheurs
Cette bienveillance s'est apparemment étendue à tous les secteurs agricoles sans beaucoup de discrimination. Votre serviteur n'a jamais lu ou entendu dire que le gouvernement d'Ottawa ou des gouvernements provinciaux canadiens soient allés jusqu'à se pencher, à un moment quelconque entre 1950 et 1998, sur les défis de la culture du cannabis. Mais la culture du tabac, oui.

Pour le juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec, qui préside au palais de justice de Montréal un procès en recours collectifs contre les trois principaux cigarettiers du marché canadien, les activités passées du ministère fédéral de l'Agriculture à la ferme expérimentale de Delhi, dans le sud de l'Ontario, ne sont plus une nouveauté depuis longtemps. Les témoignages de Gaétan Duplessis et de l'historien Robert J. Perrins, entre autres, avaient déjà ratissé ce champ.

Lundi, le juge a pris connaissance de détails additionnels, et son supplice va durer encore plusieurs jours, puisqu'au témoin du jour va succéder un autre retraité d'Agriculture Canada plus tard cette semaine, et ce ne sera pas le dernier.

Le témoin du jour s'appelle Charles Francis Marks, mieux connu sous le nom de Frank Marks dans son milieu de travail à l'époque. M. Marks a aujourd'hui 75 ans. De 1976 à 1981, il fut le directeur de la « station » de recherche agronomique de Delhi. Sa formation, en Nouvelle-Écosse, au Québec (McGill), en Ontario, et en Californie, jusqu'au doctorat (1967), ainsi que son expérience de travail en ont fait un botaniste spécialisé dans les maladies et les problèmes de croissance de diverses espèces végétales, en particulier les espèces de tabac. Après sa retraite en 2000, Frank Marks a encore travaillé comme consultant auprès des cultivateurs de légumes du sud de l'Ontario.

Pour l'interroger, Imperial Tobacco Canada a fait appel à Me Valerie Dyer, laquelle aime bien, comme plusieurs juristes, préparer des questions, parfois longues, qui se répondent assez facilement par un oui ou un non introductif, suivi d'explications quand le témoin le juge nécessaire.

Le témoin Marks a joué le jeu de Me Dyer en répondant franchement et simplement, mais a été plutôt avare d'explications ou d'anecdotes, dans bien des cas parce que le document qu'on lui mettait sous le nez parlait par lui-même.

Le grand nombre des questions de l'avocate et la masse de documents apparus sur les écrans de la salle d'audience et dont elle souhaite « enrichir » la preuve montrent cependant que la défense d'Imperial souhaite traiter du sujet en profondeur. À telle enseigne que l'instruction de la preuve en défense donne l'impression de s'enliser, si on peut utiliser cette métaphore très agricole.

La journée de lundi a donc été excitante comme la vue d'un champ dormant sous une épaisse couche de neige par un petit matin gris de décembre. Au milieu de la journée, après avoir contemplé sans joie des organigrammes avec la tête des chercheurs d'Agriculture Canada, le juge Riordan a commencé à s'interroger à haute voix sur la pertinence d'examiner certains détails.

Parmi les documents enregistrés en preuve qui ont été examinés ou réexaminés lors de l'interrogatoire de Frank Marks figure notamment la pièce 40346.246 au dossier qui fait état de la collaboration entre les chercheurs de Delhi et Santé Canada et évoque le soutien apporté par les grands cigarettiers canadiens.

Les pièces 20766 et 20803.1 permettent de voir qu'Agriculture Canada voulait aider les tabaculteurs à abaisser leur coût de production et à cultiver du tabac dont les effets pathogènes seraient réduits, réalisant ainsi le voeu de Santé Canada.

Dans son blogue Eye on the trials, l'espiègle Cynthia Callard fait remarquer que Me Dyer s'est abstenu (non sans raison) de remettre sous les yeux du tribunal la pièce 1564R au dossier, où un chercheur de l'industrie se moque des ambitions irréalistes du ministère de l'Agriculture.

On peut aussi regretter qu'aucun avocat de la Couronne fédérale ne soit présent dans la salle d'audiences, quand l'objectif des chercheurs gouvernementaux de réduire le ratio goudron nicotine dans les feuilles (et donc dans la fumée) de tabac est présenté implicitement comme un objectif d'augmenter la teneur en nicotine.

Certes, le juge s'est déjà fait expliquer, et même par des témoins de l'industrie, que les fabricants ajustent à leur guise les teneurs en goudron et en nicotine des cigarettes, sans égard à la teneur originale des feuilles de tabac, afin de livrer au consommateur un produit aux caractéristiques constantes.

Mais à force d'entendre parler des retombées des recherches à Delhi, le juge finira-t-il par attacher une importance plus grande que nécessaire aux faits examinés cette semaine ?