jeudi 21 novembre 2013

185e jour - 2013.11.20 - Le barrage d'allumettes de l’auto-réglementation

Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.

(PCr)
Jusqu'à ce qu'entre en vigueur au Canada en janvier 1989 la Loi réglementant les produits du tabac, et même jusqu'à ce que s'achève en juin 2007 la longue contestation judiciaire par les cigarettiers de cette loi et de la loi qui l'a remplacée, la Loi sur le tabac, les compagnies membres du Conseil canadien des fabricants de produits du tabac (CTMC) se disaient soumis à un code d’auto-réglementation (« the voluntary code ») ou y faisaient référence en prenant un ton solennel.

(La première version de ce code est entrée en vigueur en janvier 1972, en guise de manifestation de bonne volonté pour éviter l'adoption d'un projet de loi du ministre John Munro qui prévoyait notamment l'interdiction de toute publicité des produits du tabac. Le projet de loi est mort au feuilleton parlementaire à la fin de l'été 1972.)

Jusque dans les années 1990, l'Association pour les droits non-fumeurs et d'autres groupes préoccupés par la santé publique ont souvent fait valoir que ce code était un écran de fumée ou un barrage d'allumettes en face de la volonté de l'un ou l'autre des cigarettiers.

Cette semaine, par les bons soins des procureurs des recours collectifs André Lespérance et Bruce Johnston, le témoignage de Robin Robb, un ancien directeur du marketing chez RJR-Macdonald (aujourd'hui JTI-Macdonald), de 1978 à 1984, pourrait avoir contribué à implanter ou renforcer dans la tête du juge Brian Riordan le scepticisme face au sérieux de ce code. On verra si c'est vrai lors du jugement final.


Réécrire l'histoire

En 1984, le ministère fédéral de la Santé s'est plaint de ce que certaines affiches publicitaires sur les murs extérieurs de commerces étaient placées trop en vue de cours d'écoles, en regard du code d'honneur de l'industrie. La lettre en anglais parlait de « posters ».

En parallèle du code existaient des directives d'application. Le CTMC a donc pondu à l'automne 1984 une nouvelle définition pointue des mots poster et affiche, et procédé à une révision du code pour régulariser après coup les actions fautives, en éliminant la moindre mention des affiches.

Par-dessus le marché, le CTMC a antidaté la nouvelle version, laquelle est devenue la version officielle « telle qu'amendée le 1er janvier 1984 ». Si George Orwell voyait cela...

En haut, le code en vigueur en 1984.
En bas, le code assoupli à la fin de 1984 et antidaté.

Lire entre les lignes

Le témoignage de plus de deux jours et demi de Robin Robb a aussi permis de jeter davantage de lumière sur la règle numéro 2 du code.

Même si M. Robb n'était pas prêt à admettre mardi ou mercredi que cette règle était aisément contournée par les cigarettiers, il a en 1982, du temps où il était le directeur du marketing de RJR-Macdonald, plaidé devant ses collègues de l'entreprise la pertinence de dépenser davantage dans la pub associée à la commandite d'événements ou dans les présentoirs dans les points de vente de cigarettes, car de telles dépenses ne comptaient pas quand il s'agissait d'établir si le plafond de dépenses prévu par le code est atteint. (pièce 1641 au dossier)

Robin Robb a affirmé qu'il y avait une convention (non écrite) voulant que ces dépenses (aux points de vente et dans les commandites) ne soient pas incluses.

À l'époque où M. Robb en dirigeait le marketing, RJR-Mac croyait pouvoir utiliser le dessus des comptoirs des dépanneurs et autres points de vente pour déployer ses produits et en « provoquer la mise à l'essai » (induce trial) parmi les « jeunes adultes fumeurs débutants » (pièce 1640) ...comme si la plupart des fumeurs ne commençaient pas avant l'âge adulte, en particulier quand, avant 1994, les commerçants étaient légalement autorisés à vendre du tabac à des jeunes de 16 ans.

(Sur la valeur qu'a pour les cigarettiers l'espace de déploiement au point de vente, on pourra relire notre courte édition relative au 75e jour.)


Fermer les yeux

Dès 1972, le code d'honneur de l'industrie interdisait la publicité des cigarettes à la télévision ou auprès des personnes mineures. Théoriquement, RJR-Macdonald ne comptait donc pas là-dessus pour faire de ses Export A un produit tout ce qu'il y a plus normal dans la vie des adolescents, mais...

extraits du code de 1984

Un bon week-end, une publicité antitabac payée par le ministère fédéral de la Santé et destinée aux jeunes, a surgi au milieu d'une émission de la télévision anglaise de Radio-Canada (CBC) qui couvrait notamment le Championnat mondial de planche à voile Export A, à Vancouver.

Dans son rapport de l'événement au cigarettier, l'agence de publicité affirmait que l'annonce « visaient les adolescents afin de dissuader les débutants potentiels (dans l'usage du tabac) » et ajoutait que « la raison est évidemment que les émissions de sport attirent un large auditoire de jeunes mâles » (pièce 1642)

Devant des écrits aussi bavards, M. Robb a reconnu, lors du contre-interrogatoire par Me Johnston, que sa compagnie aurait préféré que cette pub antitabac n'ait jamais été diffusée. C'est comme si le témoin reconnaissait mercredi que la planche à voile peut attirer l'attention du public adolescent, ce dont il cherchait à faire douter mardi. 

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Lors d'un long complément d'interrogatoire principal par Me Guy Pratte, le défenseur de JTI-Macdonald, le marketeur Robin Robb a notamment témoigné que RJR-Macdonald a échoué dans sa tentative d'associer sa marque Export A aux événements commandités. De plus, le gouvernement fédéral canadien n'a jamais fourni à l'industrie de preuve que la promotion d'activités commanditées poussait des jeunes à commencer à fumer.

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Ce n'est qu'en milieu d'après-midi mercredi que le juge a pu donner son congé au témoin Robin Robb. Après une petite pause bien méritée, l'invité du jour, Lance Newman, a pu faire son entrée dans la salle d'audience, pour un début d'interrogatoire, et notamment pour un survol de son parcours professionnel.

L'édition de ce blogue relative à la 186e jour d'audition fera écho à l'ensemble du témoignage de M. Newman, qui s'est poursuivi durant toute la journée de jeudi, sans avoir connu de conclusion, mais pourrait avoir une suite.

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Petit rappel: Sauf pour les extraits des versions successives du code d'auto-réglementation du CTMC, les documents cités dans cette édition étaient rédigés en langue anglaise. La traduction est alors celle de votre serviteur. L'interrogatoire et les contre-interrogatoires ont eu également lieu en anglais.



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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectifs contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


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