dimanche 3 novembre 2013

177e et 178e jours (2) - Utiliser d'abord le tabac déjà séché de la mauvaise façon, même quand on sait qu'il contient davantage de nitrosamines

Cette édition traite aussi brièvement du calendrier des auditions à venir.

Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.

(PCr)
Deux collectifs de fumeurs et d'anciens fumeurs qui sont aujourd'hui victimes de dépendance au tabac, de certains cancers ou d'emphysème, attribuent leur mauvais sort au comportement irresponsable des trois principaux cigarettiers canadiens, durant la période de 1950 à 1998. En plus de réclamer des dédommagements compensatoires, les recours collectifs demandent des dommages punitifs à être versés dans un fonds de lutte contre le tabagisme.

À défaut de pouvoir sortir du procès avec une réputation javellisée, les compagnies poursuivies ont parfois tenté, avec l'air de ne pas y toucher, de faire valoir auprès du juge Brian Riordan que leur comportement se serait amélioré au 21e siècle. En cas de demi-succès, ce genre de stratégie peut cependant se retourner contre elles et renforcer alors l'impression qu'elles sont incorrigibles.

Dans notre édition relative au 176e jour du procès, il a été notamment question des séchoirs à tabac dans les fermes canadiennes, où l’industrie a fait remplacer au 21e siècle le procédé de séchage des feuilles.

Les feuilles étaient alors directement séchées avec les gaz d’échappement de réchauds. À la demande des cigarettiers, les tabaculteurs sont alors passés à un séchage indirect où l’air réchauffé qui touche les feuilles n’a pas été en contact avec la source première de chaleur (De même, quand on dit qu'une maison est chauffée au gaz ou au mazout, il y a un échange de chaleur mais pas de contact entre l'air pulsé et les gaz d'échappement.)

Il aurait fallu ajouter que le procédé du séchage indirect était déjà connu par l'industrie du tabac et utilisé en plusieurs endroits dans le monde. Aucune révolution technologique préalable n'était nécessaire.

Après l'avocat de la compagnie Rothmans, Benson & Hedges (RBH) lors de l'interrogatoire principal,  les avocats des recours collectifs, ont abordé le sujet du séchage lors du contre-interrogatoire de Steve Chapman, un cadre supérieur de RBH appelé à la barre des témoins.

C'était un sujet parmi plusieurs autres importants qu'ont abordés Me Trudel et Me Johnson, mais dans ce cas, le juge, intrigué, a lui-même pris le relais avec ses questions, juste avant de renvoyer le témoin Chapman chez lui.

Et ce que le juge Brian Riordan s'est fait confirmer tient en deux points.

Primo, l'industrie canadienne, après avoir compris que le procédé de séchage utilisé au Canada favorisait dans la feuille de tabac l'augmentation de la teneur en nitrosamines spécifiques au tabac et cancérogènes, a pris environ deux années pour commencer à faire changer ce procédé.

Secundo, RBH, selon M. Chapman, a aussi pris le temps d'utiliser pour la fabrication de ses cigarettes le tabac qu'elle avait en stock et qui avait été séché de la manière fautive. 

Peut-on appeler cela « agir avec diligence » (pour reprendre une expression courante chez les avocats) ?


Promotion des cigarettes « douces »: B&H pionnier

Depuis mars 2012, plusieurs témoins issus de l'industrie du tabac ont tenté de convaincre le juge Riordan que c'est le gouvernement d'Ottawa qui a le premier mis dans la tête des Canadiens que la basse teneur en goudron était un gage de risque sanitaire réduit.

C'est le 20 novembre 1968 que le ministre fédéral de la Santé (à cette époque John Munro) a publié les premiers tableaux de la teneur en goudron de différentes marques de cigarettes, tableaux repris par plusieurs journaux.

Le contre-interrogatoire de Steve Chapman a permis de reparler de la cigarette Viscount, mise en marché LA MÊME ANNÉE par Benson & Hedges Canada (une des deux compagnies qui ont fusionné en 1986 pour donner Rothmans, Benson & Hedges).

Comme le tribunal l'avait vu lors de la comparution de Ron Bulmer en octobre 2012, la marque Viscount a été une des premières marques de cigarettes vendues au Canada qui s’affichait comme une cigarette à basse teneur en goudron. Plus systématiquement encore, le fabricant qualifiait la Viscount de « cigarette la plus douce au Canada ».

L'examen des pièces 989.39 et 989.71 au dossier de la preuve a de nouveau permis de vérifier que d’un point de vue de marketing, Viscount était conçue comme une offre de solution de rechange à un renoncement au tabac chez les fumeurs soucieux de leur santé.

(Au milieu des années 1970, à l'époque dont a témoigné Ron Bulmer, la concurrence en matière de « douceur » s'était mise de la partie, notamment Imperial Tobacco avec sa Medalion et RJR-Macdonald avec sa Vantage.)

Pour le témoin Steve Chapman, la marque Viscount ne faisait que répondre à la demande des consommateurs, comme si le geste du ministre Munro pouvait faire surgir une demande ex nihilo, et comme si la compagnie Benson & Hedges avait improvisé sa réponse au marché dans la même année. 


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LE CALENDRIER DES AUDITIONS À VENIR


Les fidèles lecteurs de ce blogue ont peut-être souvenance d'un débat, au printemps dernier, concernant le nombre de jours d'audition dont les trois principaux cigarettiers canadiens croyaient avoir besoin pour présenter leur preuve en défense devant le juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec.

Dans sa décision interlocutoire du 15 mai 2013, le juge avait estimé que 175 jours devraient suffire aux cigarettiers pour livrer une solide défense, alors que ces derniers prétendaient jusqu'alors avoir besoin de 216 jours d'audition, après avoir originalement estimé ce nombre à 300.

(Déduction faite de trois demi-journées que la défense de JTI-Macdonald avait utilisées en septembre 2012 pour la comparution du témoin nonagénaire Peter Gage, les avocats des recours collectifs avaient pris 134 jours en 2012 et 2013 pour présenter leur preuve en demande.)

Pour satisfaire le juge Riordan, les trois compagnies de tabac ont présenté le 19 juin un nouveau calendrier censé être « plus économe des ressources de la justice », même s'il a fait commencer la vacance estivale le 20 juin plutôt que le 27, comme l'aurait souhaité le juge.

Au stade où nous sommes en ce début de novembre 2013, la question que le public de la salle d'audience peut se poser est la suivante: ce calendrier de juin dernier est-il économe des ressources de la justice ?


Des temps morts plus fréquents

Eh bien, depuis la reprise le 19 août dernier jusqu'à la fin d'octobre, les interrogatoires et contre-interrogatoires des témoins appelés par les cigarettiers ont à peine réussi à meubler 22 des 29 jours que la défense prévoyait à la fin de juin dernier exiger du juge, du personnel de la Cour et des avocats de la partie demanderesse, durant les mois d'août, de septembre et d'octobre.

S'est ajoutée à ces jours une journée en août, planifiée à cette fin, pour que les parties plaident en faveur ou en défaveur de citations à comparaître qui allaient être envoyées par la défense à des membres des recours collectifs accompagnées d'assignations à produire leur dossier médical.


Le passé garant de l'avenir ?

Or, à partir de maintenant et jusqu'en septembre 2014 inclusivement, 103 jours sont encore prévus à l'actuel calendrier de la preuve en défense. (Plusieurs jours ont sauté dans ce qui restaient à venir en novembre et décembre.)

Mais si seulement 22/29e de ces jours-là sont nécessaires, cela ferait 78 jours.

Si  les avocats des compagnies de tabac présentaient leur preuve au rythme où les avocats des recours collectifs ont présenté la leur, l'instruction pourrait se terminer en mai. Le juge Riordan pourrait alors entendre à l'automne les plaidoiries récapitulatives finales des deux parties, et se retirer avant Noël 2014 pour pondre son jugement final.


Le prix du temps qui coule

Hélas, le calendrier s'arrête plutôt à la mi-septembre, avec en juillet et au début d'août 2014 une pause, comme en 2012 et en 2013.

En septembre, tant Me Philippe Trudel (recours collectif des fumeurs dépendants du tabac) que Me André Lespérance (recours des fumeurs et anciens fumeurs atteints d'un cancer ou d'emphysème) ont soulevé les difficultés que l'étirement de la présentation de la preuve en défense leur a déjà causé et continuera de leur causer durant les prochains mois.

Il faut garder à l'esprit la façon dont fonctionnent les cabinets juridiques en charge de recours collectifs.

Les personnes inscrites à un recours collectif, et à plus forte raison celles qui ne sont pas inscrites mais qui auront tout de même droit à une indemnité si la cause du collectif l'emporte, ne paient pas un cent pour les honoraires de leurs avocats. Ces praticiens du droit prennent tout sur leur dos et ne toucheront le fruit de leur labeur que s'ils obtiennent un jugement favorable ou un règlement honorable et accepté par le juge.

Dans l'intervalle, les cabinets qui pilotent des recours collectifs doivent gagner des causes moins longues à gagner pour pourvoir à la subsistance de leurs avocats à l'oeuvre dans la longue action judiciaire contre les compagnies de tabac. À chaque fois que les Trudel, Johnston, Gagné, Lespérance, Boivin, Bélanger, ou leurs associés consacrent du temps de lecture, de recherche et de rédaction à préparer le contre-interrogatoire d'un témoin de la défense que la défense finira par ne pas faire venir, c'est une perte sèche.

Le juge Brian Riordan a souvent fait savoir qu'il comprenait la situation, sans élaborer. Les défendeurs des trois compagnies ne pourront pas jouer la surprise s'il décide à nouveau d'intervenir dans le calendrier.

En attendant, les défendeurs ne ménagent pas les promesses de ne pas saupoudrer sur une longue période un nombre de jours d'audition nécessaires qui n'a pas cessé de fondre.

Un nouveau calendrier est attendu le 17 novembre.

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Les lundi 4 et mardi 5 novembre, le tribunal entendra de nouveau le témoignage du chimiste Ray Howie, ancien directeur de la recherche chez RJR-Macdonald (aujourd'hui JTI-Macdonald).

Les mercredi 6 et jeudi 7 comparaîtra un nouveau venu, également appelé à la barre des témoins par la défense de JTI-Mac, Jeff Gentry.

Après cela, les auditions suivantes auront lieu dans la semaine du 18 novembre.


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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectifs contre les trois principaux cigarettiers du marché canadien, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
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