vendredi 22 novembre 2013

186e jour - Comment déboulonner un témoin qui avait l'air d'un expert

Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.

(AFl)
Ce n'est que tard en après-midi mercredi que le dernier témoin de faits présenté par JTI-Macdonald pour sa défense, Lance Newman, a été introduit auprès du juge Brian Riordan au palais de justice de Montréal. Pour compenser, la journée de jeudi, 186e journée au procès dont vous suivez ici les péripéties, a commencé plus tôt que d'habitude, et ne manquait pas de contenu.

La première partie de la journée de jeudi a pourtant eu des airs de déjà vu dans le procès. Il a été question, une fois de plus, de la montagne de données sur lesquels les compagnies de tabac s’appuient pour élaborer leurs campagnes de marketing. Lance Newman, actuellement directeur de la planification stratégique pour la région des Amériques chez Japan Tobacco International (JTI), est un spécialiste de la publicité.

(Bien que le siège social de JTI soit à Genève, M. Newman travaille à Toronto, où se trouve le siège social de JTI-Macdonald, appelée RJR-Macdonald jusqu'en 1999. L'homme de 57 ans a commencé de travailler pour cette dernière compagnie en 1992, après avoir grandi à Montréal, fait ses études universitaires en Ontario, et travaillé dans d'autres industries que le tabac.)


Un marché en perte de vitesse

La connaissance intime des clients (décrypter leurs habitudes, leurs goûts, leur personnalité... En un mot ce qui les définit comme consommateur mais aussi comme personne.) est l'outil de base de tout spécialiste du marketing.

Selon Lance Newman, « le produit est le reflet de l'individu », une vérité immuable, quelle qu'en soit la nature, comme l'a rappelé mercredi cet ancien cadre de chez Unilever qui se spécialisait jadis dans la mise en marché des dentifrices.

Pour connaître les fumeurs de la « famille » Export A, la marque de tabac phare de JTI au Canada, l’entreprise s’appuie sur des études menées par des firmes de marketing externes. En parallèle, et pour avoir une compréhension fine de ses parts de marché face aux marques concurrentes, elle peut compter sur les informations colligées par le Conseil canadien des fabricants de produits du tabac, Statistique Canada et bien sûr une kyrielle de consultants privés.

Or, au début des années 1990, les performances de Macdonald étaient plutôt mauvaises. Comme le montre cette preuve reflétant l’état du marché jusqu’à 1991, les résultats d’Export A sont en perte de vitesse par rapport aux grands compétiteurs que sont les Player's et les Du Maurier. Cet autre volumineux document (épluché jeudi si scrupuleusement par Maître Catherine McKenzie et son témoin que le juge Riordan a donné des signes clairs de lassitude) fait état du même constat  avec une perte importante de part de marché pour la famille Export A entre 1993 et 1995 (de 18,8% à 14%) (page 4).

Dès lors, le chemin de Macdonald était tout tracé : il faut regagner du terrain. En ciblant les non-fumeurs? Surtout pas, a rappelé Lance Newton sur tous les tons : il s’agit de personnes «hors marché» qui ne nous intéressent pas, pas plus que ne nous intéressent les personnes qui ont quitté le marché en arrêtant de fumer. En essayant d’augmenter la consommation journalière de ses consommateurs actuels? Certainement pas, a-t-il lancé en substance, ajoutant qu’une telle idée ne leur été même jamais venu à l’esprit… La «seule solution», aux dires de Lance Newman : aller chercher des fumeurs de marques compétitrices.

Scrutés à la loupe (comme en témoigne cette preuve les «switchers» sont donc la cible numéro 1 de Macdonald. Cette assertion constitue la ligne dure de la défense du cigarettier, comme l'a rappelé Maître McKenzie au juge. 


La guerre des «softs»

Pour tenter de concurrencer la cigarette Players Light, Macdonald a mis en marché fin 1993 l’Export A Smooth (Velouté). Une fausse bonne idée : un mauvais graphisme remplacé dès 1994, puis le lancement d’une campagne de publicité qui a suscité la controverse et l’incompréhension avec son slogan Either you like it or you don’t (Question de goût) en 1996 ont eu pour effet de précipiter l’échec du produit.  La marque est retirée du marché en 1997. Le problème, selon le témoin : l’image utilisée dans la campagne (des guitares) fait trop «jeune » par rapport à la cible de Macdonald (fumeurs de plus de 19 ans). Un faux pas reconnu par Lance Newman. Premier mea culpa de l’homme de marketing (auprès de sa compagnie, pas auprès des fumeurs). 

En parallèle, une campagne de repositionnement de la marque Export A est mise sur pied en 1996 : la campagne «EX ». Elle décline le produit (une cigarette) dans trois contextes graphiques différents avec trois slogans qui comprennent le mot «EX» : Extraterrestre, Exotique et  Expressive.

Cette autre campagne elle aussi tourne court. C'est un second fiasco médiatique pour Macdonald. La campagne EX, « portant très intéressante d’un point de vue créatif » a raté sa cible et les ventes n’augmentent pas. On l'interrompt donc.


Une question de code (encore)

En parallèle, à la fin de l’année 1995, un nouveau code de conduite volontaire est implanté chez le cigarettier. Il prévoit plusieurs dispositions comme : l’obligation de faire réviser toutes les campagnes de marketing  par une autorité indépendante, une distance minimale d’affichage par rapport aux écoles, l’obligation d’affichage d’un message de Santé Canada, le choix des médias pour les placements publicitaires, etc.

Y a-t-il eu des violations à  ce code? Une seule, selon le témoin, en lien avec la présence d’une affiche à  moins de 200 mètres de la porte arrière d’une école à Hull. Selon Lance Newman, non seulement la situation a-t-elle été corrigée immédiatement, mais en plus cet incident a eu pour effet de faire resserrer le code. Un nouveau plan pour le placement des affiches est même mis en place. Troisième ajustement de tir pour un spécialiste du marketing qui collectionne décidément les faux-pas - et qui est prompt à le reconnaître devant un juge. 


Le château de cartes s’écroule

En après-midi, lors du contre-interrogatoire, Maître Philippe Trudel a eu tôt fait de défaire une si belle image.

Tout d’abord, en faisant un petit détour par la séance de la veille où le témoin avait expliqué le BA-ba du marketing en termes de besoins (needs)» et d’envie (wants) que l’entreprise se doit de combler. Consommer de la nicotine fait-il partie des besoins ou des envies? Arrêter de fumer (en tant que perspective identifiée dans l’un des focus group présenté en preuve - page 8), est-il un besoin ou une envie? Telles ont été les premières flèches lancées par Maître Trudel.

Autre question cruciale à laquelle Maître Trudel s’est attaquée : pourquoi, selon JTI, les gens commencent-ils à fumer? La réponse est dans l'un des documents produit pour le compte de l'entreprise (page 15). On y donne quelques raisons fondamentales identifiées par les fumeurs eux-mêmes, comme la recherche de l’estime de soi ou l’envie de rébellion. Ces raisons pourraient-elles pousser un enfant à fumer?, a demandé l’avocat. Le témoin n’a pas aimé pas le terme… et a répondu sans vraiment répondre : « le choix de commencer à fumer est complètement indépendant de la publicité et des marques » (traduction libre). Une non-réponse que Maître Trudel a souligné par une boutade reproduite ici de mémoire : il y aurait donc un mur infranchissable entre la décision de fumer et la décision de choisir sa première cigarette... On laissera le lecteur juger.

Philippe Trudel a aussi pu mettre le témoin face à ses contradictions en présentant cette preuve datant de 1997 où il est indiqué noir sur blanc (page 23) que l'utilisateur du futur site Internet d’Export A devait avoir l’âge de «jouer à la Nintendo». Une attaque qu’a contournée maladroitement le témoin en disant qu’il s’agissait d’une expression désignant les adeptes d'informatique et qu'il ne fallait donc pas la prendre au sens littéral. 


Un code pas très solide

Mais là où Maître Trudel a enfoncé le clou, c’est en présentant au juge Riordan des documents démontrant les multiples infractions de la compagnie à son propre code de conduite, dont le témoin a dit n'avoir jamais entendu parler. 

Infractions dans l’esprit du code, d’abord, puis carrément dans la lettre.

-         Infractions dans l’esprit : avec des campagnes de commandites qui font clairement référence à un certain «style de vie» (lifestyle) pour représenter la marque, une stratégie interdite par le code de conduite de JTI. La réponse du témoin : cette restriction n’était valable que pour les campagnes de publicité, non pour les campagnes de commandites. La réflexion de l’avocat : l’esprit du code de l’entreprise n’est-il pas violé, quel que soit le support? 

-          Infractions dans la lettre : avec un long document de la Société canadienne du cancer recensant des dizaines de violations très claires audit code de conduite en 1996. Ces infractions concernent notamment  la nécessité de faire apparaître sur les publicités des avertissements de Santé Canada, ou encore sont en lien avec l’affiche extérieur près des écoles…. Le témoin n'a cette fois pas été prompt à reconnaître quoi que ce soit.

C’est sur cette série d’évidences (dans le vrai sens du terme) que l’audience de ce jeudi a pris fin.

*

Les auditions au procès en recours collectifs contre les principaux cigarettiers du marché canadien reprendront lundi 2 décembre avec le témoignage de Frank Marks, qui travaillait jadis à Agriculture Canada.

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jeudi 21 novembre 2013

185e jour - 2013.11.20 - Le barrage d'allumettes de l’auto-réglementation

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(PCr)
Jusqu'à ce qu'entre en vigueur au Canada en janvier 1989 la Loi réglementant les produits du tabac, et même jusqu'à ce que s'achève en juin 2007 la longue contestation judiciaire par les cigarettiers de cette loi et de la loi qui l'a remplacée, la Loi sur le tabac, les compagnies membres du Conseil canadien des fabricants de produits du tabac (CTMC) se disaient soumis à un code d’auto-réglementation (« the voluntary code ») ou y faisaient référence en prenant un ton solennel.

(La première version de ce code est entrée en vigueur en janvier 1972, en guise de manifestation de bonne volonté pour éviter l'adoption d'un projet de loi du ministre John Munro qui prévoyait notamment l'interdiction de toute publicité des produits du tabac. Le projet de loi est mort au feuilleton parlementaire à la fin de l'été 1972.)

Jusque dans les années 1990, l'Association pour les droits non-fumeurs et d'autres groupes préoccupés par la santé publique ont souvent fait valoir que ce code était un écran de fumée ou un barrage d'allumettes en face de la volonté de l'un ou l'autre des cigarettiers.

Cette semaine, par les bons soins des procureurs des recours collectifs André Lespérance et Bruce Johnston, le témoignage de Robin Robb, un ancien directeur du marketing chez RJR-Macdonald (aujourd'hui JTI-Macdonald), de 1978 à 1984, pourrait avoir contribué à implanter ou renforcer dans la tête du juge Brian Riordan le scepticisme face au sérieux de ce code. On verra si c'est vrai lors du jugement final.


Réécrire l'histoire

En 1984, le ministère fédéral de la Santé s'est plaint de ce que certaines affiches publicitaires sur les murs extérieurs de commerces étaient placées trop en vue de cours d'écoles, en regard du code d'honneur de l'industrie. La lettre en anglais parlait de « posters ».

En parallèle du code existaient des directives d'application. Le CTMC a donc pondu à l'automne 1984 une nouvelle définition pointue des mots poster et affiche, et procédé à une révision du code pour régulariser après coup les actions fautives, en éliminant la moindre mention des affiches.

Par-dessus le marché, le CTMC a antidaté la nouvelle version, laquelle est devenue la version officielle « telle qu'amendée le 1er janvier 1984 ». Si George Orwell voyait cela...

En haut, le code en vigueur en 1984.
En bas, le code assoupli à la fin de 1984 et antidaté.

Lire entre les lignes

Le témoignage de plus de deux jours et demi de Robin Robb a aussi permis de jeter davantage de lumière sur la règle numéro 2 du code.

Même si M. Robb n'était pas prêt à admettre mardi ou mercredi que cette règle était aisément contournée par les cigarettiers, il a en 1982, du temps où il était le directeur du marketing de RJR-Macdonald, plaidé devant ses collègues de l'entreprise la pertinence de dépenser davantage dans la pub associée à la commandite d'événements ou dans les présentoirs dans les points de vente de cigarettes, car de telles dépenses ne comptaient pas quand il s'agissait d'établir si le plafond de dépenses prévu par le code est atteint. (pièce 1641 au dossier)

Robin Robb a affirmé qu'il y avait une convention (non écrite) voulant que ces dépenses (aux points de vente et dans les commandites) ne soient pas incluses.

À l'époque où M. Robb en dirigeait le marketing, RJR-Mac croyait pouvoir utiliser le dessus des comptoirs des dépanneurs et autres points de vente pour déployer ses produits et en « provoquer la mise à l'essai » (induce trial) parmi les « jeunes adultes fumeurs débutants » (pièce 1640) ...comme si la plupart des fumeurs ne commençaient pas avant l'âge adulte, en particulier quand, avant 1994, les commerçants étaient légalement autorisés à vendre du tabac à des jeunes de 16 ans.

(Sur la valeur qu'a pour les cigarettiers l'espace de déploiement au point de vente, on pourra relire notre courte édition relative au 75e jour.)


Fermer les yeux

Dès 1972, le code d'honneur de l'industrie interdisait la publicité des cigarettes à la télévision ou auprès des personnes mineures. Théoriquement, RJR-Macdonald ne comptait donc pas là-dessus pour faire de ses Export A un produit tout ce qu'il y a plus normal dans la vie des adolescents, mais...

extraits du code de 1984

Un bon week-end, une publicité antitabac payée par le ministère fédéral de la Santé et destinée aux jeunes, a surgi au milieu d'une émission de la télévision anglaise de Radio-Canada (CBC) qui couvrait notamment le Championnat mondial de planche à voile Export A, à Vancouver.

Dans son rapport de l'événement au cigarettier, l'agence de publicité affirmait que l'annonce « visaient les adolescents afin de dissuader les débutants potentiels (dans l'usage du tabac) » et ajoutait que « la raison est évidemment que les émissions de sport attirent un large auditoire de jeunes mâles » (pièce 1642)

Devant des écrits aussi bavards, M. Robb a reconnu, lors du contre-interrogatoire par Me Johnston, que sa compagnie aurait préféré que cette pub antitabac n'ait jamais été diffusée. C'est comme si le témoin reconnaissait mercredi que la planche à voile peut attirer l'attention du public adolescent, ce dont il cherchait à faire douter mardi. 

*

Lors d'un long complément d'interrogatoire principal par Me Guy Pratte, le défenseur de JTI-Macdonald, le marketeur Robin Robb a notamment témoigné que RJR-Macdonald a échoué dans sa tentative d'associer sa marque Export A aux événements commandités. De plus, le gouvernement fédéral canadien n'a jamais fourni à l'industrie de preuve que la promotion d'activités commanditées poussait des jeunes à commencer à fumer.

**

Ce n'est qu'en milieu d'après-midi mercredi que le juge a pu donner son congé au témoin Robin Robb. Après une petite pause bien méritée, l'invité du jour, Lance Newman, a pu faire son entrée dans la salle d'audience, pour un début d'interrogatoire, et notamment pour un survol de son parcours professionnel.

L'édition de ce blogue relative à la 186e jour d'audition fera écho à l'ensemble du témoignage de M. Newman, qui s'est poursuivi durant toute la journée de jeudi, sans avoir connu de conclusion, mais pourrait avoir une suite.

***

Petit rappel: Sauf pour les extraits des versions successives du code d'auto-réglementation du CTMC, les documents cités dans cette édition étaient rédigés en langue anglaise. La traduction est alors celle de votre serviteur. L'interrogatoire et les contre-interrogatoires ont eu également lieu en anglais.



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mercredi 20 novembre 2013

184e jour - Des jeunes impossibles à recruter comme fumeurs parce qu'incapables dans se projeter dans le futur et aveugles ?

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(PCr)
annonce d'Export A de 1983
L'annonce d'Export A ci-contre exerce son pouvoir d'attraction sur les jeunes adultes de 18 à 35 ans davantage que sur les autres adultes. C'est ce qu'a reconnu mardi le témoin Robin Robb au procès des trois principaux cigarettiers canadiens au palais de justice de Montréal. Ce n'était pas vraiment difficile à admettre par un vétéran du marketing, surtout quand d'autres documents qui sont apparus à l'écran de la salle d'audience parlaient de la façon de s'y prendre pour attirer cette clientèle vers les produits de RJR-Macdonald (par exemple la pièce 1634 au dossier). Il faut associer une marque à des activités, à un « style de vie », et non pas parler du produit en tant que tel, surtout que le témoin a avoué, plus tard dans le contre-interrogatoire, qu'il a toujours su la cigarette néfaste pour la santé, avant et après son bref passage dans l'industrie du tabac.

Mais ce que le procureur des recours collectifs André Lespérance voulait savoir, c'est si ladite annonce (pièce 573 C), visible dans des magazines à large audience, ne racole pas aussi les jeunes hommes de 15 ou 17 ans, au moins autant que les jeunes adultes, notamment en titillant leur désir de paraître viril et indépendant.

Robin Robb a commencé par sous-entendre qu'il faudrait mieux s'y prendre autrement pour rejoindre une telle clientèle, puis, en substance, il a finalement répondu, penaud, que la planche à voile est une activité physiquement difficile pour des jeunes de 15 ans et au-delà de leur puissance d'imagination.

C'était l'un de ces moments où le juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec doit sûrement avoir besoin de sa forte capacité de paraître impassible pour ne pas se plaindre qu'on le prenne pour une cruche.

*

Lors de ce même contre-interrogatoire, commencé dès le milieu de la matinée, Me Lespérance est aussi parvenu à faire dire à M. Robb que du temps où il était le directeur du marketing de RJR-Macdonald, de 1978 à 1984, le code d'autoréglémentation de l'industrie canadienne du tabac n'interdisait pas grand chose comme campagne publicitaire susceptible d'atteindre les élèves du secondaire. RJR-Mac se permettait de commanditer un événement télédiffusé avec des annonces d'Export A visibles sur les lieux de l'événement. Un cigarettier pouvait aussi sans ennui faire installer une annonce à l'extérieur d'un point de vente situé à 200 mètres d'une école et tournée dans la direction de l'école.

Il a été longuement question d'un échange de vues entre l'industrie, représentée dans ce cas par le Conseil canadien des fabricants de produits du tabac (CTMC) et par les marketeurs de RJR-Mac, et la ministre fédérale de la Santé de 1977 à 1979 et de 1980 à 1984, Monique Bégin.

L'affaire avait été déclenchée par une plainte concernant la proximité d'une annonce par rapport à une école.

Mme Bégin voulait que l'industrie applique vraiment son code d'autoréglementation, le précise et même le durcisse un peu (elle voulait 500 mètres au lieu de 200). Quand M. Robb a quitté la compagnie, la même année où Mme Bégin a cessé d'être ministre, la correspondance se poursuivait sans qu'on ait satisfait le gouvernement.

Il a aussi été question d'un échange de vues entre le CTMC et le prédécesseur de Monique Bégin, Marc Lalonde, ainsi que de la réponse plus ou moins insolente que RJR-Macdonald a suggéré à l'Association canadienne de ski de donner au ministre d'État au Sport amateur de 1984 à 1988, Otto Jelinek.

Le ministre Lalonde estimait qu'il y avait une incompatibilité qu'il fallait reconnaître entre la promotion d'un événement sportif et le déploiement d'annonces de cigarettes (pièce 1558). L'industrie n'a pas satisfait le ministre. Le ministre Jelinek trouvait que l'Association canadienne du ski, généreusement subventionnée, ne devait pas accepter des commandites de l'industrie du tabac. Le témoin Robb n'avait pas de souvenance de cette affaire mais continue de penser aujourd'hui que les commandites étaient légitimes puisque fumer est un choix permis par la loi.

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Le contre-interrogatoire de Robin Robb se poursuit aujourd'hui.

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mardi 19 novembre 2013

183e jour - L'ère des cigarettes légères ou comment faire davantage de profits

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(SGa)
L'homme de 67 ans comparu lundi devant le juge Brian Riordan est d'allure très élégante, avec son complet noir assorti de rayures blanches. Robin Robb, d'origine irlandaise, est un as du marketing. Il a été directeur du marketing pour RJR Macdonald de 1978 à 1984 et sa biographie illustre sa grande expertise dans le domaine.

Avant son arrivée au Canada en 1975, M. Robb a travaillé quelques années pour une agence de publicité à Dublin (Irlande). Au début des années 1970, il est devenu directeur du marketing pour Northern Foods, un grand joueur dans l'industrie agroalimentaire du Royaume-Uni. Il travaille à ce moment en Irlande du Nord. En 1975, ça brasse pas mal dans cette province du Royaume Uni. Il décide alors d'immigrer au Canada. À son arrivée, il est embauché par Pepsi Cola où il est responsable du marketing et entre autres de la campagne de marketing intitulé le Défi Pepsi. Il restera trois ans au sein de cette enteprise.

Lorsque M. Robb arrive à RJR Macdonald, en 1978, les ventes de cigarettes connaissent un certain ralentissement. La marque phare de RJR, Export A (80% des ventes de l'entreprise), ne connaît plus autant de succès. Les recherches sur les effets néfastes de l'usage de la cigarette pour la santé commencent sans doute à faire leur effet. RJR Macdonald, comme d'autres cigarettiers, doit s'ajuster à cette nouvelle réalité. Leur réponse: développer de nouveaux produits, plus au goût du jour et attirer de nouveaux clients, en particulier, les jeunes.

Rapidement, à la demande de ses patrons, M. Robb met sur pied un département de recherche en marketing et embauche du personnel. Durant les années qui suivent, l'entreprise mettra en marché une gamme de cigarettes légères Export A light et les cigarettes Vantage au goût « savoureux » et moins fortes. Les cigarettes légères, à cette époque, connaissent un grand succès.


Robin Robb, un témoin de faits important?

Mais on peut se demander pourquoi la partie défenderesse invite-t-elle M. Robb à comparaître alors qu'il n'a été responsable du marketing que durant six ans ?

Une hypothèse vient à l'esprit de l'auteur de ce blogue : Guy Pratte, le procureur de RJR Macdonald, cherche à démontrer au juge que l'entreprise avait à cœur la santé des fumeurs en adaptant ses produits en y réduisant le taux de goudron. Car lors de la sortie de ses cigarettes, dans le milieu des années 1970, les fumeurs ont pu penser (aidé en cela par la publicité des cigarettiers) que la consommation de ses produits représentait un risque moindre pour leur santé.

Or, RJR Macdonald savait sans doute que cela n'était que de la poudre aux yeux. D'ailleurs, lors de la 182e journée d'audience, le chimiste Jeffery Gentry l'a clairement affirmé. La compagnie ne met pas en marché des produits moins risqués, a-t-il dit, (en parlant des cigarettes légères) mais des produits moins risqués « que ceux des années 50 ». Bref, pas moins risqués « tout court ». La recherche sur les risques pour la santé associés à ce type de cigarettes lui a ensuite donné raison.

La présentation de nombreux documents lors de l'audience démontre aussi que la mise en marché de cigarettes légères a été un bon coup de marketing pour RJR et qu'elle a relancé en partie ses ventes de cigarettes. Ainsi, de 1976 à 1980, les cigarettes légères connaissait une hausse importante de leurs ventes, tel que le démontre un document de l'entreprise datant de 1981. La part de marché des Player's Light, mise en marché par le concurrent Imperial Tobacco,  passait de 1,1 à 8,7% (ce qui en faisait la troisième marque la plus populaire) alors que celle d'Export A Light passait de 0,4 à 2% et celles de Vantage de 0,4 à 1% Pendant ce temps, la marque Export A déclinait. Sa part de marché chutait de 15,5 % en 1976 à 11,2% en 1980.


Accroître ses parts de marché, un enjeu important

Dans un autre document présenté lors de l'audition, RJR Macdonald ne s'en cache pas: elle souhaitait, à cette époque, passer du troisième cigarettier en importance au Canada au deuxième. Pour se faire, la recherche en marketing lui en a sûrement été bien utile. Une des choses qui l'intéressait était d'inciter les jeunes à commencer à fumer. (C'était à une époque antérieure à la mise en marché, par d'autres compagnies que celles aujourd'hui en procès, des cigarillos à saveur, très populaires auprès des jeunes actuellement)

Ainsi, la commercialisation des cigarettes légères était clairement destinée à attirer les jeunes de 18 à 24 ans. Dans un document produit par RJR, datant de 1982, on confirme cet attrait des jeunes pour les cigarettes légères telles qu'Export A Light et Vantage. On y cherche même à accroître cet intérêt.

Se faisait-il, à cette époque, de la recherche sur les jeunes de moins de 18 ans qui est une clientèle potentielle de nouveaux fumeurs? La réponse est non, selon M. Robb. Bien qu'il n'y ait pas eu de recherche, selon le témoin, on s'intéressait tout de même à la chose. « Selon toute logique, nous nous disions que cette clientèle n'atteignait pas l'âge de 18 ans sans que plusieurs d'entre eux n'aient démontré un intérêt pour la cigarette ». (traduction libre). On peut penser aussi qu'il aurait été très politiquement incorrect pour M. Robb de dire que RJR-Macdonald étudiait cette clientèle.

Toujours dans le souci d'accroître les parts de marché de RJR (ou d'en éviter une érosion plus grande), le repositionnement de la gamme des cigarettes Export A a fait aussi partie du travail de M. Robb. Avec ses cigarettes, on a cherché à cibler davantage les hommes de 18 à 34 ans, cols bleus, sportifs et travailleurs. Les publicités présentées par maître Pratte ont bien illustré ce repositionnement.


Le marketing des cigarettes Vantage

En après-midi, l'avocat Guy Pratte s'est intéressé au marketing entourant les cigarettes Vantage. On y a vu plusieurs publicités sur ces cigarettes qui cherchaient clairement à présenter ce produit différemment. On misait sur sa saveur riche en tabac et son goût moins accentué. On tentait aussi d'y intéresser une clientèle jeune. Or, selon les statistiques présentées, ce produit ne semble pas avoir réussi à se démarquer au Québec.


L'interrogatoire de Robin Robb se poursuit aujourd'hui (mardi).


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vendredi 8 novembre 2013

182e jour - Des mots bien pesés tout au long de la journée

(AFl)

Pour la dernière journée de témoignage du conseiller scientifique de R.J. Reynolds Tobacco, Jeffery Scott Gentry, Maître Philippe Trudel à fait ressortir le poids des mots. Le chimiste, lui, s'est plutôt caché derrière les siens.


Réduire les risques liés au goudron, oui mais…

Réduire le risque est, selon le chimiste Jeffery Gentry, au cœur des préoccupations de son employeur : les risques liés aux composés cancérigènes comme les nitrosamines spécifiques du tabac (ou TSNA pour Tobacco specific nitrosamines), le benzène, ou encore le goudron, qui a été le premier sujet de discussion de la matinée avec la question des cigarettes à faible teneur mises en marché par le cigarettier. 

Or, comme l'a dit le témoin d'entrée de jeu, avec ces cigarettes, la compagnie ne met pas en marché des produits moins risqués, mais des produits moins risqués « que ceux des années 50 ». Bref, pas moins risqués « tout court ». Le ton est donné.

Selon Jeffery Gentry , « réduire le goudron, c'est réduire le risque » (traduction libre), une affirmation qu'il a martelée à de nombreuses reprises pour répondre aux questions de l'avocat du recours collectif. « Alors pourquoi ne pas en avoir informé le public ? » La réponse : R.J. Reynolds Tobacco avait choisi de ne pas débattre de ces questions avec le public car, selon elle, ces questions étaient « controversées » et relevaient des autorités de santé et non de celles de l'entreprise.


Controverse? Quelle controverse?

La définition du mot « controverse » semble être différente selon à qui l'on s'adresse. Ainsi, dans la pièce 40369 datant de 1999, les TSNA sont considérées comme controversées par le cigarettier. En effet, et c’est le témoin qui l’écrit lui-même à l’époque, « on n’a pas encore établi la preuve scientifique pour conclure que de réduire les nitrosamines (...) allaient réduire les risques associés à la fumée. » (traduction libre)

Bref, pour R.J. Reynolds Tobacco, on considère qu'un composant est sujet à controverse non pas quand il peut causer le cancer, mais quand on ne connait pas scientifiquement le mécanisme précis par lequel il cause la maladie - même quand on reconnait par ailleurs que le produit est cancérigène.

Ici encore, le choix des mots compte...

Pourtant, la suite de la discussion d'aujourd'hui a prouvé que ces fameuses TSNA ne devait pas être si controversées que cela - dans le sens de M. Gentry - dans la mesure où l'entreprise a travaillé fort pour en réduire la teneur dans ses produits. Selon le témoin, R.J. Reynolds Tobacco a commencé à s'intéresser de près à ces composés dans les années 1970. En 1998, elle est fière de présenter  une nouvelle méthode qui permet de réduire de 55% leur formation lors de la combustion des feuilles de tabac ('étape du séchage).

Ce nouveau procédé a l'avantage, selon, Jeffrey Gentry, d'être reproductible partout, à la différence des techniques de réduction des TSNA précédentes qui ne concernaient que l'entreposage des feuilles de tabac (conditionnement) et qui étaient difficilement reproductibles d'une plantation à l'autre.

(Incidemment, il semblerait que cette découverte soit plutôt le fait de la petite entreprise Star Scientific inc., d'ailleurs en procès aux États-Unis contre R.J. Reynolds concernant le brevet de ladite invention.)


Une question d'équilibre

Comme l'a rappelé à plusieurs reprises le témoin, tous ces efforts de R.J. Reynolds Tobacco pour réduire la quantité de TSNA ou de goudron dans les produits sont guidés par la philosophie de gérance de l'entreprise (stewardship philosophy) qui consiste à ne rien ajouter dans les produits qui pourrait augmenter le risque pour la santé du consommateur.

Selon cette philosophie, le moindre élément dans le processus de fabrication du tabac qui pourrait augmenter le risque serait automatiquement rejeté et le produit résultant ne serait pas mis en marché. Soit. Cela a l’air très simple, mais la réalité est un peu plus complexe, comme l’a expliqué le témoin : tout est une question d’équilibre. Par exemple, si un changement dans la production entraînait l’augmentation d’un composé néfaste mais la réduction d’un autre, alors cela pourrait passer. Ou alors, si l’augmentation de ce composé était extrêmement faible et entrait dans un taux acceptable... Bref, une question d'équilibre que le scientifique a eu l'air de trouver bien compliquée à expliquer.

Ainsi, à la question de Maître Trudel : « Si le procédé de fabrication faisait augmenter la quantité de TSNA, est-ce que vous mettriez ce produit sur le marché? », la réponse a été assez vague : « En général, non ». « Alors quelles seraient les exceptions? » À cette question pourtant évidente, le témoin ne s’est pas prononcé formellement, alléguant, une fois de plus, qu'il n'était pas toxicologue.


Le scientifique et la science

Jeffery Scott Gentry est pourtant un féru des sciences. Docteur en chimie, il est le vice-président exécutif et conseiller scientifique du deuxième plus grand producteur de cigarettes américain. Même s'il n'est pas toxicologue, il travaille sans doute de près avec des équipes qui connaissent le sujet. Pendant l'audience, il a en tout cas su répondre très précisément à plusieurs questions posées par Philippe Trudel (ex : la différence entre un composé initiateur ou promoteur du cancer, ce qu'est un élément co-cancérigène, etc..) mais il a refusé de se prononcer sur d'autres questions qu'on aurait cru à la portée d'une personne si bien placée dans une compagnie de tabac, comme par exemple : à quel niveau le phénol devient-il un promoteur de cancer? quels sont les composés présents dans le tabac qui peuvent être co-cancérigènes?

Ce qu'a bien expliqué le témoin, en revanche, c'est qu'on ne pouvait pas se positionner sur une seule étude : pour se prononcer sur un composé, il faut mener des batteries de tests. Résultat : plusieurs documents déposés aujourd'hui n'ont pas éveillé grand commentaire chez un chimiste alléguant en substance qu'on ne pouvait pas faire parler les chiffres. Par exemple, ici Jeffery Gentry a refusé de qualifier de plus ou moins risqués les différents types de tabac à la seule vue de leur teneur en goudron. 

La question des causes génétiques du cancer qui feraient que certaines personnes seraient plus enclines à développer des maladies a aussi été abordée. Décidément, tout cela est bien complexe et, pour le scientifique, la question du lien entre cigarette et problème de santé est de toute évidence très « controversée». D'ailleurs, la complexité du tabac d'un point de vue toxicologique a été soulignée par le témoin à de nombreuses reprises, pour expliquer le fait qu'il y avait, selon lui, un nombre très important d'éléments inconnus dans le tableau. 

Cependant, quand Maître Trudel lui a demandé qui était les preneurs de décision en matière de santé chez R.J. Reynolds Tobacco, la réponse a été claire : ce sont les scientifiques. Et les avocats là dedans? Ils sont présents et participent aux discussions. En examinant la pièce 727 (1987) - en particulier le paragraphe reproduit ci après - le témoin a admis qu.il avait entendu parler comme tout le monde dans l'entreprise des problèmes judiciaires liés à la question des risques mais que cela n'avait jamais eu d'impact sur son travail. 

Citation, page 1, 3ème paragraphe du document.
« RJR had held a press conference on the same subject earlier in the day, at which RJR executives had carefully avoided making these same admissions. Indeed, tobacco company corporate officers, their in-house counsel and their outside counsel never use the words "risks of smoking" without preceding the word "risks" with "claimed" or "alleged". They have been equally circumspect about never stating that product changes would lead to health improvements »
RJR a tenu une conférence de presse sur le même sujet plus tôt dans la journée, durant laquelle les cadres de RJR ont soigneusement évité de faire ces mêmes admissions. En effet, les dirigeants de la compagnie de tabac, leurs conseillers juridiques internes et leurs avocats externes n'utilisent jamais les mots "risques du tabagisme" sans précéder le mot "risques" du mot "prétendus" ou "allégués". Ils ont également été soucieux de ne jamais déclarer que les changements au produit mèneraient à des améliorations de la salubrité. »)
 ***

À la fin de la journée, le juge Riordan a remercié le témoin.

Les audiences reprendront le lundi 18 novembre.


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jeudi 7 novembre 2013

181e jour - L'employé qui disait bravo à son patron pour sa performance devant des députés au Congrès

Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.

(PCr)
Le 15 avril 1994, le témoin du jour au procès des cigarettiers canadiens devant la Cour supérieure du Québec, l'actuel conseiller scientifique en chef de R. J. Reynolds Tobacco, le chimiste de formation Jeff Gentry, qui n'était alors qu'un cadre subalterne dans l'entreprise, a envoyé une courte lettre de félicitation (pièce 1623) à celui qui était alors le président du conseil d'administration et chef de la direction, James Johnston.

C'était pour le féliciter d'avoir si magistralement défendu la vérité scientifique et l'intérêt de la compagnie.

Où cela ?

Devant  une sous-commission du Congrès à Washington, où les hauts dirigeants des sept principales compagnies de tabac aux États-Unis étaient comparus la veille.

Le 14 avril 1994 au Capitole.
Interrogés par le député Ron Wyden et sous serment, cinq d'entre eux avaient déclaré qu'ils croyaient que la nicotine n'est pas dépendogène, un des sept avait dit qu'il ne croyait pas que la nicotine est dépendogène, et un autre, le patron de R. J. Reynolds Tobacco, le plus pointilleux, avait dit que la cigarette et la nicotine ne satisfont pas les critères classiques de la dépendance (vidéo de 59 secondes sur YouTube).

Aucun n'a admis quelque chose approchant ce que le directeur national de la santé publique (Surgeon General) des États-Unis avait affirmé dans son rapport de mai 1988: « les cigarettes sont des dispositifs hautement efficaces d'administration de nicotine et sont aussi dépendogènes que des drogues telles que l'héroïne ou la cocaïne. »

Le moins qu'on puisse dire, c'est que M. Gentry n'était pas ce genre d'employé à crier que le roi est nu, comme le crie le petit garçon dans le conte d'Andersen.

En contre-interrogatoire par Me Pierre Boivin mercredi après-midi, Jeff Gentry a déclaré qu'il ne savait pas quand la compagnie a changé de point de vue. C'est quand même étonnant de la part d'un homme qui, en appui à son employeur, a déjà enregistré une déposition dans une vingtaine de procès et comparu devant un juge une douzaine de fois. (Jusqu'à présent, le seul témoin qui batte cette marque est le chimiste transfuge de l'industrie William Farone, appelé à la barre des témoins en mars dernier.)

L'aveu d'ignorance du témoin Gentry offrait un contraste frappant avec le ronron de l'interrogatoire du matin et certaines affirmations du témoin que les avocats des recours collectifs ont catégorisées comme du simple ouï-dire.

Depuis quelques semaines, avec les témoins Graham Read et Steve Chapman puis maintenant avec Jeff Gentry, le juge a laissé faire. Souvent, il complète cependant son rejet de l'objection des recours collectifs d'une remarque sur l'incertaine valeur probante de certaines parties de témoignages. C'est une remarque qui fait imaginer que dans son jugement final, on lira peut-être, peut-être, qu'il a écouté ces messieurs de l'industrie mais ne les a pas crus.


Nitrosamines et séchoirs à tabac: la chronologie se précise

Dans son édition du 23 octobre, ce blogue faisait état du changement graduel du procédé de séchage des feuilles de tabac chez les tabaculteurs canadiens, dans les années 2000.

Notre édition parue le 3 novembre, qui rapportait des éléments du témoignage de Steve Chapman de Rothmans, Benson & Hedges (RBH), et celle du 5 novembre, à propos du témoignage du retraité de RJR-Macdonald Raymond Howie, ont permis de comprendre que RBH a écoulé dans sa production de cigarettes son stock de tabac séché aux gaz d'échappement de moteurs au gaz propane, tabac qu'elle savait plus riche en nitrosamines cancérogènes, avant d'utiliser du tabac séché par un procédé utilisant un échangeur de chaleur, un procédé où l'air n'entre pas en contact avec les gaz d'échappement.

Il restait à savoir pourquoi et quand le gaz naturel est arrivé dans le portrait. C'est ce que l'interrogatoire du scientifique en chef de R. J. Reynolds Tobacco, Jeff Gentry, par l'avocat de JTI-Macdonald, Guy Pratte, a permis de comprendre mercredi matin.

M. Gentry a expliqué qu'antérieurement au séchage au gaz, on séchait le tabac en brûlant du charbon, du fioul pour diesel ou du kérosène. Mais comme la fumée issue de ces combustibles aurait donné un goût exécrable au tabac, on l'évacuait par des cheminées et on chauffait les feuilles indirectement avec la chaleur dégagée. C'est dans les années 1970 que les tabaculteurs ont cherché à diminuer leur coût énergétique en passant au gaz naturel et en envoyant les gaz d'échappement chauds directement sur les feuilles.

Jeff Gentry a souligné que l'industrie du tabac ne savait pas alors que le séchage direct accroissait la teneur en nitrosamines dans le tabac, par l'effet des oxydes d'azote contenus dans le gaz d'échappement.

(Cependant, la présence naturelle de nitrosamines dans le tabac et la fumée, indépendamment du procédé de séchage, était connue par les scientifiques dès le début des années 1960, un fait que d'autres témoignagnes ont établi. Les nitrosamines sont des substances cancérogènes.)


Incorporation d'additifs: la cour est déjà pleine

Une partie substantielle de l'interrogatoire a servi à montrer que l'ajout d'un glucide, par exemple du sorbitol, dans les mélanges de tabac, avec pour but de les garder humides ou pour une autre raison, n'augmente que marginalement la quantité de benzopyrène dans la fumée qui se dégage lors de la combustion de la cigarette. (Le benzopyrène est une substance cancérogène.)

M. Gentry s'était savamment préparé pour expliquer cela au juge Riordan et il a probablement réussi.

L'auteur du blogue n'est pas parvenu à comprendre cette sorte d'acharnement thérapeutique de la défense de l'industrie qui pourrait aussi avoir pour effet de renforcer chez le juge l'impression justifiée que le problème est dans le tabac lui-même, dès le départ.

= = =

Des nouvelles de la Cour d'appel

Le juge Morissette de la Cour d'appel du Québec a accordé à Imperial Tobacco Canada la permission demandée d'en appeler, devant une formation de trois juges de cette Cour, de la décision rendue le 13 septembre dernier par le juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec.

L'appel concerne un jugement interlocutoire qui annulait les assignations à comparaître avec un dossier médical qu'Imperial voulait envoyer à un certain nombre de fumeurs ou anciens fumeurs inscrits aux recours collectifs. La Cour d'appel entendra les parties le 28 février prochain.




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mercredi 6 novembre 2013

180e jour - Le grand manitou des sciences chez R. J. Reynolds Tobacco s'amène au procès de Montréal

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(PCr)
Au procès en responsabilité civile des trois principaux cigarettiers du marché canadien, la compagnie JTI-Macdonald continue la présentation de sa défense.

La journée de mardi, complètement libérée par le passage plus bref que prévu du témoin de lundi, a pu servir à faire commencer plus tôt que planifié l'interrogatoire d'un nouveau venu au procès, Jeffery Scott Gentry, qui était heureusement disponible pour ce commencement hâtif hier après-midi.

Au début de l’interrogatoire d’un nouveau venu, il est de coutume de faire comprendre au tribunal qui est le témoin. Ce n’est pas le moment de la fausse modestie.

Par les premières questions qu’il a posées à M. Gentry, le défenseur de JTI-Mac Guy Pratte a clairement cherché à en donner l’image de ce que les Québécois appelaient une bolle dans les années 1970 et qu’ils ont aussi appelé un nerd par la suite. Un nerd ou une bolle dans sa variété ambitieuse et sans état d’âme apparent, quand on parle du témoin Jeff Gentry. (biographie dans la pièce 40353 au dossier)

On a compris que le mince bonhomme de 56 ans, à l'aise devant un tribunal comme il le serait sans doute à une réunion de travail avec quelques proches collègues, était un étudiant zélé en chimie (docteur en 1986) devenu depuis lors le vice-président exécutif et conseiller scientifique en chef du deuxième plus grand cigarettier au pays de l’oncle Sam, la compagnie R. J. Reynolds Tobacco, de Winston-Salem en Caroline du Nord.

annonce de 1930 faisant valoir
que fumer aide à rester mince
Aux États-Unis, la compagnie fondée en 1875 s’est illustrée dans l'offre de marques de cigarettes telles que Camel, Kool, Salem, Winston, Lucky Strike, Tareyton, Vantage, etc. Elle est aujourd'hui également très active dans la vente de produits de tabac sans combustion, qu'on peut priser, suçoter ou chiquer, ainsi que présente depuis peu dans l'univers de la cigarette électronique, c'est-à-dire de la cigarette sans tabac et sans combustion mais avec nicotine.

Aujourd’hui, R. J. Reynolds est contrôlée ultimement par British American Tobacco de Londres, et ses avoirs à l’extérieur des États-Unis sont passés sous le contrôle de Japan Tobacco de Tokyo et sont regroupés sous le nom de Japan Tobacco International (siège social à Genève).

De 1974 à 1999, R. J. Reynolds Tobacco possédait au Canada 100 % de Macdonald Tobacco, qui devint donc RJR-Macdonald, et s’appelle maintenant JTI-Macdonald.

*

Du témoignage de Jeff Gentry, le juge Riordan pourra peut-être retenir que R. J. Reynolds a fait travailler une foule de chercheurs et de techniciens depuis une soixantaine d'années à mettre au point des cigarettes moins nocives pour la santé, soit par l'approche d'une réduction sélective de certaines composantes toxiques de la fumée, soit par l'approche générale de réduire le « goudron », c'est-à-dire l'ensemble de la cochonnerie sous forme de particules fines. 200 personnes travaillent aujourd'hui dans les laboratoires de RJR sous les ordres de M. Gentry. Sur ce lot, il s'en trouve qui publient occasionnellement des découvertes dans des vrais revues scientifiques.

Si le schéma classique se reproduit, le témoin sera probablement obligé, lors du contre-interrogatoire par les recours collectifs, de dire qu'aucun des « produits à risque réduit » de RJR n'a fait l'objet d'un effort de mise en marché au Canada, si même ils y ont été mis en marché.

Le juge Riordan n'a pas attendu que le témoignage soit bien avancé pour demander ce qu'il pourrait faire de détails sur les efforts de RJR Tobacco, notamment au 21e siècle.

Comme à Imperial Tobacco Canada avec Graham Read, ou à Rothmans, Benson & Hedges avec Steve Chapman, le juge Riordan a donné la permission à la défense de JTI-Macdonald d'utiliser un témoin de faits comme une sorte de grand expert général.

De son côté, le procureur des recours collectifs Philippe Trudel, avant que la première moitié de l'interrogatoire soit terminée, a formulé solennellement les « admissions » suivantes:
  • que tous les résultats des recherches réalisées par R. J. Reynolds étaient à la disposition de RJR-Macdonald;
  • que toutes les connaissances scientifiques amassées par RJR étaient à la disposition de RJR-Macdonald; et
  • que RJR-Macdonald a utilisé des rapports de recherche provenant de R. J. Reynolds.

Pour autant, Me Guy Pratte ne semble pas du genre à changer ses plans sans mûres réflexions. L'avocat a pris note avec le sourire de la déclaration de la partie adverse, il a écouté le juge Riordan présenter la déclaration de Me Trudel comme une occasion de raccourcir la tâche de la défense de JTI-Mac, mais il continué son interrogatoire.

À l'avant-poste et à la gauche du juge, Me Pratte était flanqué de Me Patrick Plante, l'avocat qui a sans doute le record d'assiduité aux auditions du procès avec Me Gabrielle Gagné, et l'un de ces efficaces navigateurs au sein d'un dossier de la preuve extrêmement volumineux et accessible en version électronique. Plante est l'un de ces avocats discrets et encore jeunes dont nous avons évoqué le travail essentiel au service du juge en parlant la semaine dernière de son collègue Bouchard de RBH ou en parlant l'an passé de Me Gabrielle Gagné (des recours collectifs) ou de Me Nathalie Grand'Pierre (Imperial).

*

Entre autres, M. Gentry a brillamment résumé comment est fabriqué le tabac reconstitué et expliqué en peu de mots bien choisis comment l'usage de recon pouvait permettre de diminuer la teneur en nicotine ou en différentes substances dans le mélange des cigarettes. (Cela peut permettre aussi de faire le contraire...)

On ne peut que déplorer que dans un procès si moderne par bien des aspects, où il est déjà arrivé qu'on visionne des films d'animation en preuve, on n'en visionne pas sur des procédés industriels. Les internautes ont plus de chances que le juge. (extrait d'un reportage sur le canal D où la fabrication du recon est illustrée)
(Attention. Le contexte de la vidéo est américain, les chiffres ne sont pas forcément transposables au Canada, ni la variété des additifs mentionnés. Le lien n'est inséré ici que pour les images du procédé et ce bout de film ne serait sûrement pas utilisable dans une cour de justice, même aux États-Unis.)

Le témoignage de Jeff Gentry se poursuit aujourd'hui.

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mardi 5 novembre 2013

179e jour - Un chimiste de Macdonald Tobacco soumis à un barrage de questions

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(SGa)
Lundi, au procès en responsabilité civile des trois principaux cigarettiers, le témoin Raymond Howie n'a pas chômé. Il a dû répondre à des centaines de questions provenant autant de la défense que de la poursuite.

Rappelons que Raymond Howie, qui est chimiste de formation, a commencé à travailler dans l'industrie du tabac en 1967, au Royaume-Uni. Il est entré en 1974 chez le cigarettier RJR-Macdonald, à Montréal, comme gérant des services d'analyse (chimique). En 1989, M. Howie est devenu chef du département de la recherche et du développement chez RJR-Macdonald. Neuf ans plus tard, en 1998, il est promu chef de la recherche à la maison-mère de RJR-Macdonald, RJR Tobacco International, à Genève. Il a pris sa retraite en 2001, à 54 ans.

Il s'agissait de sa cinquième comparution devant le tribunal. Il avait déjà été appelé à témoigner lors de la 59e journée, 60e, 61e et 62e. Lors de ses audiences, M. Howie avait beaucoup été questionné sur les recherches qu'ils faisaient ou dirigeaient dans les labos du cigarettier. On lui avait aussi demandé de commenter les résultats de certaines études.

M. Howie a été invité à nouveau à comparaître lors de cette 179e journée pour qu'il poursuive son témoignage et qu'il fasse part au tribunal de certains nouveaux faits. Parmi ces faits nouveaux, en voici un croustillant. Allons à la source.


L'impact des petits trous

En 1983, une étude réalisée à la maison-mère RJR de Caroline du Nord montrait que les petits trous que RJR-Macdonald fait dans certaines de ses cigarettes vendues au Canada étaient en bonne partie bouchés par les lèvres des fumeurs, ce qui diminuait alors la dilution de la fumée et augmentait l'inhalation de goudron et de nicotine au-delà de ce qui est indiqué sur les paquets. Cette étude mentionnait qu'environ 75% des perforations étaient obstruées par les lèvres des fumeurs. Chez RJR-Mac, on décida de ne rien faire, à moins que la question vienne un jour sur le tapis, auquel cas la compagnie canadienne plaiderait l'ignorance.

Or, lors de la 61e journée d'audience, M. Howie avait prétendu que cette étude souffrait de graves lacunes méthodologiques. Il concluait alors que c'était seulement entre 40 et 50 % des perforations qui étaient bouchées, pas 75 %. Hier, M. Howie a encore revu à la baisse le pourcentage des perforations bouchées par les lèvres des fumeurs. Il parle maintenant de 5 à 10% !


De la recherche, quelle recherche?

En matinée de cette journée d'audience, M. Howie a beaucoup été questionné par l'avocat de JTI-Macdonald, Me Kevin LaRoche, sur la recherche qui s'effectuait chez RJR-Macdonald. S'il faut en croire ses réponses, son employeur s'intéressait peu aux comportements des fumeurs et aux mécanismes qui permettent d'accroître leur dépendance à la cigarette.

Ainsi, son employeur n'aurait jamais fait de recherche pour savoir ce qui motive les gens à commencer à fumer. Pas de recherche non plus pour savoir quelles sont les motivations des fumeurs à vouloir à mettre fin à cette habitude.

Autre chose plutôt surprenante. À la question: Y a-t-il déjà eu des recherches visant à développer une cigarette permettant de délivrer une plus grande quantité de nicotine aux fumeurs, M. Howie a répondu non. Selon lui, son employeur n'a pas cherché non plus à savoir quelle quantité de nicotine était absorbée par les fumeurs. Pourtant, une étude, réalisée par Santé Canada, présentée hier, affirmait que le niveau de nicotine présent dans le tabac des cigarettes avait augmenté de 53% entre 1968 et 1995. Cette hausse importante serait-elle survenue par magie?

La même étude révélait également que la quantité de tabac servant à la fabrication des cigarettes avait diminué de 14 % durant la même période. Selon M. Howie, cela serait dû à une combinaison de facteurs: meilleure méthode de remplissage des cigarettes, réduction de leur circonférence et de leur longueur. Avec cette réduction de tabac dans chaque cigarette et l'augmentation en parallèle de la nicotine, il semble que RJR-Macdonald savait comment réduire ses coûts tout en accroissant la dépendance des fumeurs à ses produits.


Une dépendance? Quelle dépendance?

Cette question de la dépendance à la cigarette est d'ailleurs venue sur le tapis lors de l'audience. Bien que la dépendance à la cigarette soit établie scientifiquement depuis des années, M. Howie nie qu'il y en ait une! Selon le chimiste, les statistiques sont là pour le démontrer. Dans les années 1960, environ 60% de la population fumait. Trente plus tard, dans les années 1990, ce pourcentage avait chuté à 18%. Un grand nombre de ces gens ont cessé de fumer sans difficultés, affirme M. Howie qui s'inclut dans cette catégorie, lui qui a cessé de fumer il y a huit ans.


Un contre-interrogatoire serré

En après-midi, l'avocat de la poursuite, André Lespérance, a soumis M. Howie à un interrogatoire serré. Parmi ses questions, l'avocat a voulu savoir si le tabagisme représentait un risque de maladies. Dans sa réponse, M. Howie a fait preuve d'une grande prudence et d'un flou artistique. Il a mentionné que des études épidémiologiques faites à grande échelle montrent qu'il y a des probabilités que le tabagisme soit la cause de maladies mais il n'a pas voulu préciser si ce risque était faible, moyen ou élevé. « Cela dépend de ce qu'on entend par risques faibles, moyens ou élevés », a-t-il dit. M. Howie a aussi ajouté qu'à sa connaissance, RJR-Macdonald n'a jamais tenté de savoir combien de gens développaient des maladies associées à l'exposition de la fumée de tabac.

Un peu plus tard, maître Lespérance a posé plusieurs questions sur les additifs ajoutés au tabac lors du processus de fabrication des cigarettes. Entre autres choses, il a voulu savoir, document à l'appui, pourquoi RJR avait caché au public la présence de fréon dans le tabac. Dans ce document il est dit: « si on accepte la position selon laquelle le fréon n'est pas un additif mais plutôt un résidu présent à un niveau extrêmement faible, je crois qu'il est préférable de ne pas en parler du tout » (traduction libre).

M. Howie a minimisé cet apparent camouflage. Sa réponse semble démontrer cependant que le fréon était bel et bien un additif. Selon lui, on l'utilisait pour accroître la densité du tabac dans les cigarettes. « Le produit est toutefois sans aucun danger puisqu'il est très volatil et n'apparaît même pas dans la fumée de cigarette », a-t-il dit (traduction libre).

Les questions de maître Lespérance ont porté aussi sur d'autres additifs. Par exemple, le sorbitol et la glycérine. Selon une étude, ces produits étaient suspectés de dégager des agents toxiques lors de la combustion du tabac. M. Howie a réfuté cette affirmation. « Ces deux agents chimiques étaient inoffensifs puisqu'ils était ajoutés à de très faibles quantités dans le tabac », a-t-il dit (traduction libre).

La formation de benzopyrène, un produit cancérigène, lors de la combustion du sorbitol, n'inquiète pas non plus outre mesure M. Howie. « Le toxicologue Suber a déjà mentionné que l'usage de sorbitol n'entraînait aucun effet indésirable sur la santé des fumeurs », dit-il (traduction libre).

Quand on sait que 4 000 sous-produits identifiés résultent de la combustion du tabac, il doit bien y en avoir quelques uns qui sont toxiques.

*

Lors de la comparution du témoin Steve Chapman en octobre, il avait été question du séchage des feuilles de tabac directement avec les gaz d'échappement de moteurs à combustion.

Mais combustion de quoi ? Réponse : combustion de gaz propane. Ce petit complément d'information provient de ce que le sujet a de nouveau été abordé, vers la fin du contre-interrogatoire de Raymond Howie par les recours collectifs.

M. Howie devait comparaître devant le tribunal durant deux jours. Tout a été bouclé en une journée.


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lundi 4 novembre 2013

Appels au sujet de l'examen de dossiers médicaux individuels durant le procès: jamais trois sans quatre

(PCr)
En ce lendemain d'élections municipales dans tout le Québec, par un jour frais et ensoleillé d'automne à Montréal, tandis que JTI-Macdonald reprenait, avec un interrogatoire du chimiste Ray Howie, la présentation de sa preuve en défense devant un juge de la Cour supérieure, une bataille parallèle se déroulait devant un juge de la Cour d'appel du Québec, au sujet des assignations à produire un dossier médical qu'Imperial Tobacco Canada voudrait délivrer à un certain nombre de fumeurs et anciens fumeurs qui sont inscrits aux recours collectifs contre l'industrie.

L'édition de ce blogue relative au 160e jour, en août, a raconté la substance du débat en première instance devant le juge Brian Riordan.

Dans son jugement du 13 septembre dernier relatif à ce débat, l'honorable Riordan a rejeté pour une quatrième fois l'idée d'autoriser l'examen des biographies médicales individuelles lors du procès, et il a donc annulé les assignations à produire (subpoena duces tecum) le dossier médical qu'Imperial s'apprêtait à envoyer à des membres des collectifs. En revanche, le magistrat a autorisé la compagnie à convoquer quand même ces personnes à la barre des témoins, si elle le veut.

Serez-vous étonné d'apprendre que la compagnie de tabac a demandé à la Cour d'appel du Québec de réunir une formation de trois juges de ce tribunal pour entendre un appel de cette décision?

L'audition sur la permission d'aller en appel était présidée par l'honorable Yves-Marie Morissette et a eu lieu ce matin.

*

D'entrée de jeu, le juge Morissette a dit qu'à la lecture de certains passages du jugement contesté, il avait eu parfois l'impression que le juge Riordan souhaitait connaître l'avis de la Cour d'appel sur le fond du litige, c'est-à-dire sur sa façon d'instruire cet élément de la preuve.

Le juge d'appel a ensuite résumé la décision de première instance contestée et a terminé en se demandant à haute voix si une deuxième formation de trois juges de la Cour d'appel pourrait faire mieux que la première formation, dont l'arrêt d'octobre 2012 avait été rédigé par le juge Richard Wagner avant sa nomination à la Cour suprême du Canada.

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Pour le compte d'Imperial, Me Suzanne Côté a fait valoir que dans le fond, sa compagnie avait besoin de procéder à des interrogatoires de membres des recours collectifs, avec dossiers médicaux sous la main, afin de pouvoir prouver qu'il n'y a pas suffisamment de similarités entre les biographies des fumeurs pour qu'un tribunal puisse instruire une affaire en recours collectif et décider de dommages compensatoires ou punitifs.

L'avocate a aussi avancé que les précédents arrêts de la Cour d'appel en rapport avec cette question, y compris l'arrêt rédigé par le juge Wagner, ne créaient pas une situation d'affaire jugée puisque les auditions relatives à ces arrêts avaient eu lieu avant que le procès commence.

Me Côté a souligné que des experts médicaux de la partie demanderesse, le pneumologue Alain Desjardins et l'oto-rhino-laryngologiste Louis Guertin, avaient reconnu l'hiver dernier en interrogatoire qu'il fallait une connaissance complète de la situation individuelle d'un patient pour produire un diagnostic de cancer du poumon ou des voies aéro-digestives supérieures. Pour l'avocate, il s'agit là d'une admission capitale.

Bien que ce n'est pas la première fois qu'Imperial conteste un jugement de première instance relatif à la comparution de membres des recours collectifs, et qu'un homme de la rue pourrait avoir l'impression que c'est la compagnie qui provoque des débats sur la question, Me Côté a dit qu'elle aurait aimé que le débat qui a eu lieu en août devant le juge Riordan et qui a donné lieu à une décision de ce dernier en septembre ait lieu après que l'industrie ait pu faire entendre ses experts médicaux. Bref, c'était trop tôt. Les experts sont attendus l'hiver prochain.

L'avocate d'Imperial n'a pas voulu préjuger de la valeur probante qu'auraient eu ces expertises à venir aux yeux du juge Riordan mais elle a dit croire à la pertinence d'une telle séquence d'événements. Une intervention de la Cour d'appel serait donc justifiée, pour toutes ces raisons.

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En défense du jugement de Brian Riordan, les avocats des recours collectifs Marc Beauchemin et Gordon Kugler ont pris la parole.

Me Beauchemin a commencé par souligner que nul n'est autorisé à demander inlassablement la même chose à une cour de justice sans donner l'impression d'abuser du système. L'avocat du cabinet De Grandpré Chait a souligné que le juge Riordan n'a pas demandé à la Cour d'appel de réviser ses jugements mais qu'elle l'a fait trois fois sur trois en sa faveur.

Me Beauchemin a ensuite analysé un cas qui fait jurisprudence où la Cour d'appel a émis l'opinion qu'un recours collectif ne doit pas être traité comme un faisceau de causes individuelles. L'avocat a souligné que les cigarettiers eux-mêmes, dans leur preuve en défense, ont eu recours à des experts, des experts en histoire, qui théorisent sur la « connaissance populaire » et généralisent à tout le monde une connaissance des méfaits sanitaires du tabac qui n'était pourtant pas partagée par de nombreux fumeurs.

Selon Marc Beauchemin, les distinctions entre les individus qui fonderaient l'attribution d'un dédommagement plus ou moins élevé doivent se faire et peuvent se faire au moment de la présentation des réclamations individuelles, une fois le jugement final rendu en faveur des recours collectifs, mais n'ont pas d'utilité pour déterminer le tort ou non des cigarettiers.

L'avocat des recours collectifs a répété de plusieurs façons que la Cour d'appel faisait face à la quatrième version d'une invitation à se pencher sur une chose déjà jugée par elle. Me Beauchemin a déploré que les membres des recours collectifs subissent la menace constante d'une remise en cause de leurs droits (à un recours collectif) (à un procès des cigarettiers plutôt que le leur).

Marc Beauchemin a affirmé au juge Morissette que le calendrier de la preuve en défense des cigarettiers fond comme peau de chagrin ces mois-ci et que l'audition d'un appel n'accélérera rien.

Me Gordon Kugler a enchaîné en faisant valoir au juge Morissette que s'il convoquait une formation de trois de ses collègues pour entendre un appel, Imperial n'avait aucune chance de gagner cette manche.

Le doyen dans le camp des avocats des recours collectifs a déclaré qu'un jugement supplémentaire n'aboutirait jamais à la conclusion que l'examen des dossiers médicaux individuels lors de l'instruction d'un recours collectif est nécessaire. Le mieux que peuvent espérer les cigarettiers est une porte entrouverte avec la mention que de tels dossiers pourraient être utiles.

Me Kugler a aussi cité certains articles du Code de procédure civile, notamment des articles de la séquence 1027 à 1032, où le législateur décrit le contenu et l'effet d'un jugement dans une action en recours collectif.

Pour les juristes dans la salle, ce pouvait être une toute autre histoire, mais pour l'auteur de ce blogue, il a été très instructif de lire ce bout du code, en particulier l'article 1031.
1031. Le tribunal ordonne le recouvrement collectif si la preuve permet d'établir d'une façon suffisamment exacte le montant total des réclamations des membres; il détermine alors le montant dû par le débiteur même si l'identité de chacun des membres ou le montant exact de leur réclamation n'est pas établi.
Comme Me Beauchemin, Me Kugler a répété de diverses manières que l'affaire devant le juge Morissette est une chose jugée. Le juge a confessé qu'il penchait en faveur de l'acceptation de la requête d'Imperial Tobacco en début de séance mais que les avocats l'avaient fait douter et qu'il allait avoir besoin de réflexion avant de trancher.

L'honorable Morissette a annoncé qu'il allait prévenir dès mercredi s'il fallait attendre de sa part un rejet écrit de la requête ou s'il fallait au contraire que les avocats des deux parties planifient avec lui une nouvelle audition devant trois de ses collègues de la Cour d'appel.

DERNIÈRE NOUVELLE DATÉE DU MERCREDI 6 NOVEMBRE: le juge Morissette a accordé à Imperial la permission demandée d'en appeler de la décision du 13 septembre 2013 du juge Brian Riordan. Une formation de trois juges d'appel entendra les parties le 28 février 2014.