mercredi 16 octobre 2013

174e jour - Vous l'avez fait revenir juste pour ça ?

Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.

(PCr)
Le juge Brian Riordan n'a pas pu retenir une brève mais vive manifestation de désappointement quand l'avocate d'Imperial Tobacco Canada Nancy Roberts a eu terminé au bout d'à peine 30 minutes l'interrogatoire de l'ingénieur en procédés Wolfgang Karl Hirtle.

L'invité du jour et relativement jeune retraité de cette compagnie avait déjà témoigné en décembre devant le tribunal et il n'habite pas plus loin qu'en lointaine banlieue de Montréal, mais le juge s'est demandé à voix haute si la défense avait besoin de faire de nouveau comparaître M. Hirtle et ne pouvait pas obtenir autrement la substance de son témoignage additionnel ou révisé.

Car il se trouve que le témoin a eu un scrupule.

Me Roberts: Pourquoi êtes-vous de retour ici aujourd'hui ?
Wolfgang Hirtle: Vous m'avez téléphoné il y a quelques mois concernant une question dont vous vouliez parler avec moi. Je vous ai dit qu'une partie du témoignage que j'avais donné n'était pas exact. J'avais commencé à me souvenir de davantage. J'ai commis l'erreur de vous dire que je reviendrais si vous le vouliez.  (traduction de l'auteur du blogue)

Ça aurait pu être touchant si les questions de Me Roberts à son témoin n'avaient pas été si directives que le juge a trouvé nécessaire au bout d'une quinzaine de minutes de dire que cette façon, qu'il autorisait quand même, pouvait affaiblir la valeur probante d'un tel témoignage.  (Valeur probante est ici le mot de code pour dire crédibilité et l'avocate semble avoir compris qu'elle marchait sur des oeufs.)

M. Hirtle a aussi déclaré qu'il était nerveux, ce qu'on comprendrait facilement. Cependant, par rapport à bien des hommes qui se tortillent les jambes derrière le muret qui sert de lutrin, et ne confessent jamais leur nervosité, ce témoin avait l'air plutôt calme.

(Le juge ne peut pas voir les jambes croisées. Par contre, il voit les témoins de face, ce qui est impossible au public de la salle d'audience.)

Contrairement à la totalité des témoins masculins dans le procès de l'industrie canadienne du tabac, qui sont comparus en portant un veston ou une cravate, sinon les deux dans la très écrasante majorité des cas, le témoin Hirtle s'est de nouveau amené à la barre des témoins en simple chemise à manches longues et avec des jeans noirs, lesquels ressemblent à s'y méprendre à ceux qu'il portait en décembre lors de cet interrogatoire par les avocats des recours collectifs  Gabrielle Gagné et André Lespérance.

Décontraction vestimentaire exceptionnelle de la part d'un témoin ou mise en scène de la candeur ? Difficile au public de la salle d'audience de trancher.

Et qu'est-ce qui tracassait Wolfgang Hirtle dans son témoignage de décembre ?

Essentiellement le fait qu'il puisse avoir donné l'impression que le tabac reconstitué (recon) fabriqué à l'usine Ajax, qu'Imperial possédait à Montréal, contenait des débris d'un tabac haché fin et en vrac qui est destiné à aboutir dans des blagues de tabac et qui contient, ô horreur, des additifs.

Si Me Roberts avait dit au téléphone à l'ingénieur le nombre de fois depuis le début de ce procès où les avocats des recours collectifs ont fait verser dans le dossier de la preuve des documents qui prouvent la présence d'additifs dans les cigarettes qu'ont vendues Imperial et d'autres compagnies, le pauvre M. Hirtle ne serait pas fait de remords avec son absence de certitude de décembre.

Mardi, le témoin a été catégorique: les poussières des cigarettes usinées et du tabac en vrac ne sont pas mélangées. M. Hirtle a plutôt insisté pour faire comprendre que les résidus provenant de la séparation mécanique des feuilles de tabac et de leur tige étaient broyées avant d'aboutir dans le recon, car les fumeurs remarquent et se plaignent d'un mélange contenant des tiges apparentes. Des brins de tabac qui proviennent de l'incorporation du tabac dans les cigarettes lors de l'usinage sont traités séparément, et de même pour les poussières de tabac qui proviennent du nettoyage des machines où on aromatise certains mélanges.

En 2012, l'ancien chef de la direction d'Imperial Jean-Louis Mercier s'était vanté que sous son règne la compagnie avait réduit ses coûts de production en récupérant tous les résidus qui risquaient d'être perdu lors de la fabrication des produits du tabac. Il n'avait pas cru bon d'augmenter son mérite en faisant valoir toutes les précautions prises pour ne surtout pas mélanger le merveilleux tabac de Virginie pur légitimement arrosé d'humectants et d'agents de préservation, et le maudit tabac destiné aux pipes ou aux cigarettes roulés à la main et arrosé d'humectants, d'agents de préservation ET d'additifs qui ne sont ni des humectants ni des agents de préservation.

Ces substances sont d'ailleurs encore un tel inavouable secret de fabrication que des documents examinés lundi par le tribunal ne seront enregistrés au dossier de la preuve qu'assorti de la mention CONFIDENTIEL, et sont disparus des écrans de la salle d'audience sitôt après y être apparus. Les avocats de la concurrence, qui ont accès à ces vieux documents, sont tenus de ne pas partager avec leurs clients la connaissance moins imparfaite que cela leur donne des « recettes de cuisine » d'Imperial. La confidentialité vise sans doute à empêcher les deux journalistes de la salle de révéler au crime organisé lecteur de blogues des données qui pourraient éventuellement servir à produire des cigarettes de contrefaçon. (Ne riez pas.)

La seule pièce que Me Roberts a fait verser au dossier de la preuve en défense est elle-même expurgée d'un petit bout, ce qui n'empêche heureusement pas d'en comprendre la teneur. (pièce 20305 qui concerne l'élimination/récupération des résidus)

*

Le contre-interrogatoire de Wolfgang Hirtle n'a pas prolongé de beaucoup son passage à la barre des témoins.

De nouveau, la partie demanderesse au procès a cependant profité d'un « revenant » pour compléter sa preuve. Les avocats André Lespérance et Bruce Johnston ont de nouveau jeté sous les yeux du juge et du témoin des documents qui montrent que la mémoire de ce dernier pouvait avoir encore besoin de rafraîchissement.

Dans un communiqué de presse émis en 1994 par le Conseil canadien des fabricants de produits du tabac (pièce 40017), on pouvait relire que « deux fabricants, RJR-Macdonald inc et Imperial Tobacco, utilisent de petites quantités de tabac reconstitué, une méthode de recouvrement et de réutilisation de petits morceaux de tabac issus des premiers stades de traitement et de manufacture des cigarettes et du tabac haché fin ».  Le tabac haché fin aussi ! ... à mettre dans votre pipe.

Les avocats des recours collectifs ont aussi montré de nouveaux documents qui décrivent comment est fabriqué le recon et qui réfèrent à « toutes les poussières » (all dust) des usines sans mentionner l'exclusion des poussières issues de la confection du tabac haché fin aromatisé. Ces pièces ont été enregistrées sous les numéros 1606 et 1607, et sont, ...confidentielles, à la demande de la défense.

De son côté, M. Hirtle a eu les papiers sous les yeux et n'a pas modifié son témoignage. Il a dit qu'Imperial ne prendrait pas le « risque » de mélanger tout cela. Me Lespérance a essayé en vain de faire préciser à l'ingénieur de quel risque il s'agissait.

Après une demi-heure dans la salle d'audience, le témoin a obtenu son congé du juge Riordan. Les parties ont alors discuté de divers problèmes de gestion du procès. Nous reviendrons sur certains aspects de ces discussions.

La journée d'audition a duré moins d'une demi-journée.

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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectifs contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.