lundi 30 septembre 2013

170e jour - 19 septembre - Fin du témoignage de Michael Dixon

Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.

(PCr)
Au procès intenté contre les trois principaux cigarettiers canadiens par des fumeurs ou anciens fumeurs qui leur reprochent notamment leurs cachotteries et discours trompeurs, le témoignage de Michael Dixon, qui s'est terminé le jeudi 19 septembre dernier, a permis d'illustrer à quel point les thèses défendues devant la justice par certains experts de l'industrie du tabac, à force d'être recyclées dans plusieurs procès, retardent parfois, non seulement par rapport au consensus des scientifiques indépendants, mais par rapport aux admissions de dirigeants de cette industrie.

L'ancien chercheur de British American Tobacco (BAT) en Angleterre et expert en physiologie respiratoire mandaté par la défense d'Imperial Tobacco Canada (ITCL) a soutenu que les cigarettes à basse teneur en goudron avaient permis une réduction du risque d'être atteint par une des maladies associées au tabagisme, en particulier le cancer du poumon. M. Dixon a même avancé qu'une trentaine d'études épidémiologiques le montraient.

Le procureur des recours collectifs Bruce W. Johnston a profité du contre-interrogatoire de l'expert pour étaler la contradiction entre ce dernier et l'actuelle présidente et chef de la direction d'ITCL, Marie Polet.

Marie Polet, la patronne actuelle
d'Imperial Tobacco Canada
Lors de son témoignage du 5 juin 2012 (pages 56 et 57) devant le juge Brian Riordan, la patronne de la filiale canadienne de BAT, qui travaillait pour la multinationale à la même époque que M. Dixon, a affirmé ne pas être au courant d'études épidémiologiques montrant une réduction du risque de maladies chez les fumeurs de cigarette à basse teneur en goudron. Mme Polet a justifié ainsi le mutisme de la compagnie canadienne en matière de réduction du risque.

Me Bruce Johnston: ... Sur la question particulière de savoir si des cigarettes à basse teneur en goudron sont plus sûres (pour la santé que les autres cigarettes), qui la Cour devrait-elle croire: vous ou madame Polet ?
Michael Dixon: Ce n'est pas à moi de répondre à cela. ... C'est à monsieur le juge de répondre à la question.
(traduction de l'auteur du blogue)

Il faut peut-être faire mention d'une qualité remarquable de Michael Dixon comme témoin: jamais il n'a paru près de perdre son calme.


L'art de choisir ses sources

Dès avant cet échange, l'ensemble du contre-interrogatoire, mené successivement par Me Pierre Boivin et par Me Johnston, avait peut-être préparé le terrain pour que le juge Riordan, quand il rédigera son jugement final, n'ait pas de difficulté excessive à trancher entre la version Dixon et la version Polet.

Plus tôt, Me Boivin avait fait reconnaître par le témoin-expert le sérieux de plusieurs chercheurs dont les études n'ont pas eu l'honneur d'aboutir dans les références de son rapport d'expertise de janvier 2011 (pièce 20256.1), comme si leur conclusion sur l'absence d'effet bénéfique des cigarettes à basse teneur en goudron ne faisait pas l'affaire (voir les études parues en 2005 et en 2004, contenues dans les pièces 1592 et 1593)

M. Dixon semble avoir plus volontiers consulté des articles (exemple de la pièce 1599) signés par le statisticien de formation Peter N. Lee, un consultant dont British American Tobacco a été un client très régulier (voir la pièce 1598r qui montre que BAT a financé une centaine d'études du bonhomme). Lee a excellé à manier le déni savant, quand il s'agissait entre autres de contrer les prises de position de l'Organisation mondiale de la santé, concernant notamment la nocivité de la fumée secondaire.

Me Johnston a aussi jeté sous les yeux du témoin-expert et du juge des documents qui montrent la différence remarquable entre les vues exprimées par Peter Lee en privé, y compris à son admirateur Michael Dixon, et celles qu'ils exprimaient publiquement. (pièces 1273 et 15C)

(Le tribunal s'est aussi vu rappeler qu'au printemps 2012, le nom de Peter Lee était apparu dans une liste de lectures rassurantes que l'ancien chef des affaires publiques d'Imperial Michel Descôteaux avait suggérées à une personne préoccupée par les méfaits sanitaires du tabagisme.)


Un excès d'aplomb ?

Lors d'un complément d'interrogatoire principal par l'avocate d'Imperial Tobacco Deborah Glendinning, le témoin Michael Dixon a pu s'en prendre de nouveau à la méthodologie de diverses recherches aux conclusions déplaisantes pour son client. Il a fait cela sans prendre le ton indigné qu'ont eu d'autres experts de la défense qu'on a vu témoigner devant le juge Riordan.

Il est également possible qu'il ait été un peu trop sûr de lui.

Me Glendinning a cité un texte de l'Association pour les droits des non-fumeurs où il était fait mention que l'Enquête de surveillance de l'usage du tabac au Canada (ESUTC-CTUMS) de Santé Canada en 2001 rapportait le fait suivant : 16,7 % des fumeurs considéraient alors les cigarettes « douces » et « légères » comme moins nocives  pour la santé.

L'avocate a ensuite demandé à son expert s'il estimait qu'un tel pourcentage représente un nombre substantiel et Michael Dixon a répondu: « Non, certainement pas. 16 % n'est pas un nombre substantiel ».

L'ahurissement s'est lu sur plus d'un visage. 16,7% des fumeurs canadiens, cela fait des millions de personnes...

Avant de donner son congé au témoin-expert en « compensation », le juge Riordan l'a brièvement interrogé.

Michael Dixon a reconnu facilement que même avec une compensation qui ne serait pas totale, et donc une diminution de leur exposition aux substances toxiques contenues dans la fumée du tabac, les fumeurs de cigarettes à basse teneur en goudron n'éliminent certainement pas le risque du tabagisme pour leur santé.

***

Le procès reprend le lundi 7 octobre. Un ancien as du marketing d'Imperial Tobacco, Anthony Kalhok, fera de nouveau une apparition devant la Cour. Ce sera maintenant comme témoin de la défense.

D'ici cette reprise de l'instruction, une édition spéciale de ce blogue portera sur les autres procès du tabac qui ont lieu à Montréal.

|-|-|-|-|-|-|

Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectifs contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.

jeudi 19 septembre 2013

169e jour - L'illusionniste

Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.

(PCr)
Au procès intenté contre les trois principaux cigarettiers du marché canadien par deux groupes de fumeurs ou anciens fumeurs qui leur reprochent leurs pratiques commerciales, les conclusions du témoin-expert de la défense Michael Dixon sont apparues plus clairement que jamais.

Selon lui, non seulement les fumeurs de cigarettes à basse teneur en goudron et en nicotine qui fumaient des cigarettes « régulières » auparavant ne compensent que partiellement quelque chose, mais ce quelque-chose, c'est plutôt le goudron que la nicotine.

Le physiologiste de formation et ancien employé de longue date de l'industrie ne semble pas se soucier de citer à l'appui de sa thèse des analyses fondées sur l'observation de minuscules échantillons de fumeurs, de retenir seulement ce qui fait son affaire dans diverses publications, au point de parfois en diffuser une vision déformée, et d'être finalement à contre-courant des conclusions des autorités de santé publique au Royaume-Uni, aux États-Unis et à l'échelle internationale.

Plusieurs fois lors du contre-interrogatoire commencé mercredi après-midi, le procureur des recours collectifs Pierre Boivin a fait dire à l'expert Dixon qu'il n'était pas d'accord avec telle ou telle conclusion d'une autorité scientifique ou d'un chercheur particulier, de sorte que le témoin a eu l'air du soldat qui croit qu'il est le seul à marcher au bon pas dans la parade.

S'il s'agissait pour la défense des cigarettiers, qui a fait appel au témoignage de M. Dixon, de contrer une preuve que les produits du tabac engendrent une dépendance, cela ne changerait rien que ce soit à cause de la nicotine ou du goudron. Le témoignage de Michael Dixon, sur ce plan, serait donc inutile.

En revanche, l'exposé de l'expert Dixon aura été utile aux cigarettiers s'il est arrivé à semer le doute dans l'esprit du juge Riordan, en suggérant que peut-être les compagnies canadiennes étaient de bonne foi en offrant des produits à teneur réduite en goudron qu'elles croyaient moins dommageables pour la santé.

Selon toutes vraisemblances, Me Boivin, relayé ensuite par son coéquipier Bruce Johnston, va donc continuer aujourd'hui de profiter de la comparution de Michael Dixon pour mettre de nouveau en évidence des preuves que la compensation annulait tous les bénéfices potentiels des cigarettes à basse teneur en goudron, ou que les compagnies comptaient depuis longtemps sur ce phénomène.

Mais en quoi le témoignage de Michael Dixon a-t-il le potentiel de semer le doute ?

Surtout par ce qu'il laisse dans l'ombre, surtout par ce qu'il ne dit pas.

Le marché de la cigarette ne se compose pas seulement de fumeurs qui ont commencé à fumer des cigarettes « régulières » dans les années 1960 et ont opté dans les années 1970 ou 1980 pour des cigarettes soi-disant légères ou douces qui avaient une teneur réduite en goudron, ou qui passaient pour telles.

Au Québec, comme les marketeurs appelés à la barre des témoins depuis 18 mois ont été forcés de l'admettre, il y a aussi de jeunes personnes qui ont commencé à fumer durant la même période et qui n'ont jamais fumé autre chose que des cigarettes à basse teneur en goudron. Peut-être ces nouveaux fumeurs s'estimaient-ils ainsi plus à l'abri des maladies que les fumeurs des générations précédentes.

En somme, la principale « compensation » dont ont profité les cigarettiers, c'est celle des nouveaux fumeurs qui remplaçaient les décrocheurs, en partie parce que l'industrie offrait un visage rassurant.

Le beau parleur Michael Dixon, lors de l'interrogatoire de la matinée par Me Deborah Glendinning d'Imperial Tobacco, nous a fait oublier l'éléphant dans la pièce en passant du temps à parler de l'impact de la fumée sur la gorge, à parler de l'inhalation plus profonde des « compensateurs », à parler des perforations dans les cigarettes à basse teneur en goudron et nicotine qui aident à diluer la fumée avec un certain volume d'air, à parler de ces fumeurs qui bouchent consciemment ou non lesdites perforations, à parler.

Reste à voir si le témoin a trop parlé.

Lors du procès que le ministère de la Justice des États-Unis a mené contre les cigarettiers au tournant du 21e siècle, c'est aussi bien ses omissions que ses déclarations qui ont fait tiquer.

Dans son blogue Eye on the trial, notre consoeur Cynthia Callard rappelle comment la juge Gladys Kessler, dans son verdict de 2006, a varlopé l'expert en compensation de l'industrie.
Pour réfuter le témoignage des Drs Benowitz, Burns, Henningfield et Farone, concernant la compensation chez le fumeur, les défendeurs se sont appuyés sur un scientifique de l'industrie du tabac, Michael Dixon, Ph. D., un employé de BATCo, pour témoigner en tant qu'expert en comportement des fumeurs. Le Dr Dixon a témoigné que la compensation n'est pas complète parce que les fumeurs compensent pour le goudron et non la nicotine. Le Dr Dixon n'est ni un docteur en médecine ni un épidémiologue; il possède un doctorat en physiologie respiratoire. Le Dr Dixon a admis que nulle part dans son témoignage écrit il n'a fait mention du sujet de la dépendance à la nicotine. Il n'a pas publié le moindre article au sujet de la dépendance à la nicotine, et il n'y a rien dans le dossier qui suggère qu'il a publié le moindre article sur la question dans une revue (scientifique) avec révision par des pairs. Sans la moindre expertise en dépendance à la nicotine, le témoignage du Dr Dixon sur la question de savoir si la dépendance à la nicotine mène les fumeurs à compenser n'est pas crédible, particulièrement quand on le compare à la preuve totalement contraire des experts du gouvernement Benowitz, Burns et Henningfield, lesquels ont une énorme expertise dans le domaine de la dépendance à la nicotine, du tabagisme et de la santé, ont écrit sur ces sujets de nombreux articles révisés par des pairs, et ont participé au rigoureux processus de rédaction de différents rapports du Surgeon General sur le tabagisme et la santé.
Le rapport d'expertise de Michael Dixon pondu pour la présente cause ne contient toujours pas d'explication sur les mécanismes d'action de la nicotine ou de mention d'une dépendance à cette drogue, comme si c'était arbitraire qu'on la distingue du goudron. Par ailleurs, en contre-interrogatoire, Me Boivin lui a fait répéter qu'il n'est ni médecin, ni épidémiologue.

Le contre-interrogatoire se poursuit aujourd'hui.

|-|-|-|-|

Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectifs contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.

mercredi 18 septembre 2013

168e jour - Combat d'arrière-garde de l'industrie sur la compensation

Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.

(PCr)
L'industrie du tabac savait que les fumeurs de cigarettes à basse teneur en nicotine compensaient ce manque potentiel de leur drogue favorite en fumant autrement leur cigarette ou en fumant davantage de cigarettes, en s'en rendant plus ou moins bien compte.

Si des cigarettiers osaient encore prétendre qu'ils ne connaissaient pas le phénomène de la compensation, le témoin-expert de la défense qui est comparu mardi au procès en responsabilité civile des trois principaux cigarettiers canadiens, le physiologiste anglais Michael Dixon, est venu établir en long et en large qu'ils auraient dû le savoir parce que tout un lot de publications scientifiques, dont plusieurs signées par des savants faisant carrière dans l'industrie du tabac, établissaient qu'il y a un phénomène de compensation.

Cependant, s'il faut en croire M. Dixon, qui a passé un quart de siècle à l'emploi de British American Tobacco ou de Rothmans, puis comme consultant de l'industrie du tabac, cette dernière avait et a encore toutes les raisons de croire que ladite compensation est partielle, et que les adeptes des cigarettes à basse teneur en goudron et en nicotine absorbent une dose en fin de compte réduite de matières toxiques, et réduisent donc leur risque d'être malades.

(La conséquence logique et pratique d'une telle croyance, c'est que l'industrie avait donc raison de développer et d'offrir de tels produits. Curieusement, le marketeur Wayne Knox, comparu l'hiver dernier, est l'un des rares témoins sinon le seul à avoir déclaré clairement qu'il croyait à cela; les autres cadres de l'industrie, mal à l'aise, s'empressaient plutôt d'insister sur la responsabilité de Santé Canada, même si l'industrie américaine vendait déjà des produits à teneur réduite en goudron avant que les autorités canadiennes songent à cette option.)


La monographie 13

En soutenant la thèse de l'utilité des produits à basse teneur en goudron et nicotine, comme il l'a fait en défense des cigarettiers dans plusieurs procès à l'étranger durant la dernière décennie, l'expert en compensation de l'industrie va à l'encontre de ce qui est devenu en 2001 le consensus scientifique dans le monde, avec la publication de la « monographie 13 » par le National Cancer Institute des États-Unis. (Exhibit 40346.221).

(À partir de 1991, le ministère américain de la Santé et ses instituts de recherche ont publié de volumineuses monographies au sujet de la lutte contre le tababisme et du contrôle du tabac. La 13e monographie de la série, parue en 2001, traite des Risques associés à l'usage de cigarettes avec une basse teneur en goudron et en nicotine telle que mesurée par des machines à fumer. (traduction de l'auteur du blogue))

Les auteurs-clefs de cette monographie, les médecins et professeurs de médecine californiens David Burns et Neal Benowitz, concluent à l'absence de preuve que les cigarettes à basse teneur en goudron a eu la moindre retombée positive en termes de santé de la population.

Interrogé par Me Deborah Glendinning devant le juge Brian Riordan, l'expert Dixon s'est employé à montrer les faiblesses de la méthodologie du Dr Burns et surtout du Dr Benowitz, auteurs de chapitres particuliers dans la monographie.  Le physiologiste mandaté par l'industrie préfère surtout s'appuyer sur des analyses et études souvent plus anciennes qui ont l'étrange particularité d'avoir toutes été rédigées par des savants salariés ou contractuels de l'industrie, comme Geoffrey Kabat, Peter Lee et Gerhard Scherer (pièce 20010).


Souplesse, ennui, crédibilité

Bien qu'il ait autorisé Michael Dixon à utiliser de grands cartons plastifiés pour donner ses explications, une licence dont le physiologiste de 62 ans est le premier expert dans tout le procès à profiter, le juge Riordan semble préférer ne regarder que son écran d'ordinateur ou le moniteur à sa disposition à sa gauche. Le magistrat donne l'impression de s'ennuyer.

Quand il a vu arriver une ixième explication du phénomène de la compensation, le juge s'est empressé de dire qu'il retirait sa menace de se cogner la tête sur le pupitre si on lui imposait encore ce genre de témoignage. Cela dit sur un ton à demi-plaisant, avec le sourire, mais des sourcils qui laissaient poindre l'insatisfaction.

Dans ce procès, aux commandes des interrogatoires pour le compte d'Imperial, c'est, le plus souvent, tantôt Me Glendinning, tantôt Me Suzanne Côté. Souvent, le public de la salle d'audience pourrait avoir l'impression que les deux avocates ne se communiquent rien au sujet de l'humeur et des souhaits oraux du juge, et profitent de leur alternance au poste de navigation, à l'avant, pour oublier les promesses faites par l'une ou l'autre à la partie demanderesse ou au juge. Par exemple au sujet de la transmission de documents.

*

Entre autres explications, l'expert Dixon a fait valoir que l'impact sensoriel de la bouffée de fumée dans la gorge du fumeur est enregistrée par le cerveau bien avant que la nicotine absorbée par le sang au niveau des alvéoles pulmonaires ne parviennent aux récepteurs du cerveau.

Ce serait la recherche d'une sensation dans la gorge qui influence le plus le choix d'une marque de cigarettes particulière par le fumeur et sa façon de fumer, bien plus que la teneur en nicotine mesurée par des machines. M. Dixon considère cependant les nombres fournis par les machines à fumer comme des indications utiles, parce qu'à défaut de dire ce qui est finalement absorbé, elles permettent de comparer les marques, de les hiérarchiser.


Un tir dans toutes les directions

Au-delà de quelques démonstrations de connaissance pointue, le rapport d'expertise de Michael Dixon en entier (pièce 20256.1) et ses explications orales pourraient cependant apparaître au juge comme une tentative surhumaine et obsolète pour maintenir de fausses controverses sur le respirateur artificiel. À propos des méfaits de la fumée secondaire, par exemple.

M. Dixon s'est aussi notamment attardé aux imprécisions bénignes du rapport d'expertise du chimiste André Castonguay, professeur de la Faculté de pharmacie de l'Université Laval. (pièce 1385)

On peut se souvenir que le chimiste Castonguay, l'oto-rhino-laryngologiste Guertin et le pneumologue Desjardins, qui témoignaient pour les recours collectifs, s'étaient fait demander, de diverses façons, s'ils appartenaient à « la religion antitabac ».

Me Glendinning a plus difficilement supporté que l'avocat Pierre Boivin des recours collectifs pose, lors de l'interrogatoire de qualification, des questions au témoin Dixon sur ses finances personnelles, pour voir si son intérêt pécuniaire ne pourrait pas nuire à son objectivité. (curriculum vitae du témoin: pièce 20256.2)

Moins chatouilleux que l'avocate d'Imperial, Michael Dixon a paru trouver naturel de reconnaître qu'il possédait des actions de British American Tobacco. C'est de toutes façons un sort qu'il partage sans doute avec de nombreux travailleurs québécois qui cotisent à un régime de retraite ou à un fonds commun de placements, mais qui ne regardent pas toujours où le fiduciaire place l'argent...

La journée de mardi s'est terminée sans que l'interrogatoire soit complété et avec des avocats des recours collectifs brûlants de hâte de commencer le contre-interrogatoire mercredi.


|-|-|-|-|

Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectifs contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.

mardi 17 septembre 2013

166e et 167e jours - Quand Agriculture Canada cherchait à améliorer le rendement de la tabaculture

(PCr)
La journée d'audition du jeudi 12 septembre, qui était la 166e au procès intenté aux trois principaux cigarettiers du marché canadien par deux collectifs québécois de victimes alléguées du tabac, a vu se prolonger, durant une première partie de la matinée, le contre-interrogatoire de l'ancien grand patron de la recherche chez British American Tobacco, Graham Read, par le procureur des recours collectifs André Lespérance. Nous reviendrons sur certains aspects de ce témoignage lors d'une prochaine édition.

La prolongation du contre-interrogatoire du témoin Read jeudi a un peu retardé l'entrée en scène du témoin Gaétan Duplessis, dont l'interrogatoire s'est poursuivi lundi (167e jour). Cet interrogatoire a été également un peu plus long que prévu. En bout de ligne, le contre-interrogatoire n'a pas pu se terminer. M. Duplessis devra donc revenir devant la Cour, à un moment encore à déterminer.


Des chimistes, vous le saviez, et voici un agronome

Sorti du Collège Macdonald de l'Université McGill avec un baccalauréat puis une maîtrise en agriculture, Gaétan Duplessis est entré chez Imperial Tobacco Canada (ITCL) en 1981. L'agronome a pris sa retraite en 2010, alors qu'il était devenu en 2005 le chef de la division de la recherche et du développement, ce qui en faisait alors le patron de tous les chercheurs de la firme.

Le travail de M. Duplessis chez le cigarettier de la rue St-Antoine à Montréal l'a souvent mis en relation avec les chercheurs du ministère fédéral de l'Agriculture employés à la ferme expérimentale de Delhi, en Ontario.

Ce n'est pas la première fois qu'il est question à ce procès des activités de recherche d'Agriculture Canada. Nombreux sont les témoins issus de l'industrie qui ont fait des détours pour placer au moins une allusion à « Delhi » dans leurs propos.

Une bonne partie du témoignage de l'historien-expert Robert John Perrins, en août dernier (158e jour), portait sur la recherche agronomique fédérale. Me Guy Pratte, défenseur du cigarettier JTI-Macdonald, avait profité de l'occasion pour faire enregistrer plusieurs pièces au dossier de la preuve.

Avec le dissert Gaétan Duplessis à la barre des témoins, l'avocate Suzanne Côté d'ITCL en a profité pour faire verser deux douzaines de documents additionnels au dossier de la défense. (pièces 20231 à 20255)

Comme lors de la comparution de Graham Read la semaine dernière, le juge Brian Riordan a bougonné un peu par moment, parce qu'on lui sert certaines explications pour une ixième fois, par la bouche de témoins différents. Mais il a laissé faire. (Les juges, c'est comme ça, dirait Brassens.)


Le gouvernement fédéral, côté jardin

Les interrogatoires des dernières semaines et les pièces examinées (numéro 20235 et les suivantes) font émerger certaines évidences, que les avocats des recours collectifs ne cherchent d'ailleurs pas nécessairement à contredire, puisque cela ne gène pas directement leur preuve de la culpabilité de l'industrie du tabac.

La réputation du gouvernement du Canada n'en ressort pas blanche comme neige, même si les idéologues libertaires n'y trouveront pas la preuve rêvée que celui-ci est encore plus coupable que les entreprises privées aujourd'hui en procès.

1  Bien que depuis 2006, la compagnie Imperial Tobacco importe la totalité des cigarettes qu'elle vend sur le marché canadien, les feuilles de tabac cultivé au Canada qui aboutissent dans les cigarettes de Rothmans, Benson & Hedges ou de JTI-Macdonald proviennent maintenant presque toutes de souches de tabac développées par les agronomes du gouvernement fédéral, des variétés de tabac qui portent des noms comme Delgold, Delfield, Delliot, Candel, etc  (Del pour Delhi, évidemment).

Le gouvernement d'Ottawa a financé ces recherches durant des décennies. Le témoin Duplessis a expliqué que les rendements par unité de surface de ces souches de tabac sont supérieurs à ceux des variétés de tabac d'origine virginienne qu'utilisait l'industrie il y a 50 ans. Les plants de tabac poussent plus haut et ont davantage de feuilles.
extrait d'un document examiné lundi
qui montre la progression de la
teneur en nicotine des feuilles de tabac
2  Le tabac développé à Delhi a aussi une plus haute teneur en nicotine, et ce n'est pas accidentel. L'ancien chef de la R & D d'Imperial Tobacco a aussi prétendu que cela explique l'élévation, au fil des décennies, du ratio nicotine goudron des cigarettes canadiennes. M. Duplessis a même affirmé qu'Imperial avait durant un temps importé du tabac d'ailleurs pour « diluer » le mélange.

3  Quand le gouvernement, peut-être en manque de fonds, a coupé les budgets pour financer les recherches de Delhi, ce sont l'industrie cigarettière et les tabaculteurs qui se sont mis à les financer. Furent mis sur pied l'Ontario Tobacco Research Advisory Committeee (ON-TRAC), auquel succéda le Canadian Tobacco Research Foundation.

page couverture d'un rapport
de 1996 d'Agriculture Canada portant
la mention « pas pour publication »
Agriculture Canada a signé des contrats avec l'industrie: l'État fournissait les chercheurs, l'industrie gardait pour elle les résultats et pouvait les breveter. De son côté, le ministère de l'Agriculture préférait rester discret sur ses recherches.

Une partie des recherches a porté sur du tabac génétiquement modifié. La peur qu'inspirent au public les sigles OMG ou OGM est si grande que, comme le remarque Cynthia Callard dans son blogue Eye on the trials, la multinationale British American Tobacco, maison-mère d'ITCL, prend soin d'en désapprouver l'usage dans ses produits.


Un calendrier troué

Alors que le tribunal devait entendre des témoins la semaine prochaine, il n'y aura finalement pas d'audition. Depuis le début de mai déjà, le calendrier proposé par l'industrie se révèle gonflé de noms de personnes dont la défense s'avère ne pas avoir besoin aussi longtemps qu'annoncé, ou pas besoin du tout.

C'est ainsi que seulement 30 des 45 jours d'audition demandés pour cette période ont servi. Cela oblige tout de même les avocats de l'autre partie, ceux des recours collectifs, à réserver ces périodes pour le présent procès et à être moins disponibles pour d'autres causes qui pourraient être plus immédiatement payantes.

Lundi, le juge Riordan a suggéré aux avocats des cigarettiers de prévoir un « plan B », par exemple en préparant les témoins à parfois comparaître plus tôt que ce qui est prévu. Ces dernières semaines, le juge a également souvent demandé aux avocats du tabac ce que tel ou tel retour sur certains détails amenaient de pertinent à la preuve.

*

Le juge Riordan a rendu le 13 septembre dernier sa décision relative aux débats sur la pertinence d'examiner au tribunal les dossiers médicaux d'un certain nombre de membres des recours collectifs. Pour la quatrième fois, le juge a rejeté cette idée et il a donc annulé les assignations à produire de tels documents (les subpoena duces tecum) qu'Imperial s'apprêtait à envoyer. En revanche, il autorise Imperial à convoquer des membres des recours collectifs quand même, si elle le veut (son jugement)


|-|-|-|-|

Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectifs contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.

mercredi 11 septembre 2013

165e jour - Une industrie soucieuse de son image dans les médias

Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.


(RPa)
Après deux jours de procès ayant toutes les allures d'un sage ballet entre Graham A. Read, ancien responsable des activités de recherche et développement chez Bristish American Tobacco (BAT) et l'avocate d'Imperial Tobacco, lundi et mardi, le ton a radicalement changé mercredi.

Les procureurs des deux groupes de personnes atteintes de maladies reliées au  tabac et qui tiennent les trois principaux cigarettiers canadiens responsables de leur malheur sont vigoureusement montés au créneau.

Ainsi le procès présidé par le juge Brian Riordan et mettant en cause les sociétés JTI-Macdonald, Imperial Tobacco Canada et Rothmans, Benson & Hedges a aussitôt pris une autre tournure. Notons que BAT possède et contrôle Imperial Tobacco Canada.

Cette 165e journée a eu deux grands mérites.

Le premier: celui d'illustrer à quel point les cigarettiers suivaient de très près ce qui s'écrivaient et étaient diffusés dans les médias et ne se gênaient pas pour signifier leur mécontentement au plus haut niveau en mettant de l'avant des arguments qui, à au moins une occasion, tenait du ridicule.

Illustration: en juin 1994, The Daily Telegraph, de Londres, publiait un article indiquant que la dépendance aux produits du tabac était due à la présence de la nicotine. Frustrée par cette assertion, la chercheuse Sharon Boyse de BAT a adressé une lettre à l'éditeur de ce réputé journal faisant valoir que les tomates, les aubergines et les pelures de patates contenaient aussi de la nicotine. Cela dit, Mme Boyse demandait ensuite à l'éditeur si ceux qui mangent de la ratatouille deviennent dépendants physiquement de la même façon que les usagers d'héroïne. Hum!

Interrogé à ce sujet, le témoin Read n'a pas semblé savoir exactement ce qu'il convenait de répliquer. Vraisemblablement venant à sa rescousse, le juge a signifié à Me André Lespérance qu'il était temps de passer à un autre point.

La dernière partie du message de Mme Boyse  était en fait une allusion directe à une prise de position du Surgeon General des Etats-Unis, en 1988, voulant que la cigarette cause une dépendance chez les fumeurs une dépendance aussi forte que l'héroïne.

Le second mérite de la journée a été de démontrer que malgré les controverses entourant le tabac, les cigarettiers voyaient à ce que leurs produits continuent, le plus possible, de jouir de la faveur populaire. Ils veillaient au grain. Des documents étaient préparés et remis aux divers responsables des relations avec les médias afin que ceux-ci soient en mesure de véhiculer des informations susceptibles de faire taire les moindres inquiétudes quant à l'effet négatif des produits du tabac sur la santé humaine.

Ces documents «d'information» étaient parfois préparés par des avocats. Quand ce n'était pas le cas, ils leur étaient soumis pour révision avant toute utilisation. On n'est jamais assez prudent. Des recours pourraient être intentés.

Un constat s'impose ici: les chercheurs pourtant davantage au fait des avancées scientifiques ne se retrouvaient donc pas au premier rang pour communiquer ce sur quoi  ils planchaient. Où ils en étaient.

Il faut dire que les cigarettiers avaient subi toute une raclée due à des propos tenus par un éminent chercheur de chez BAT, Sydney Green. Le témoin Graham l'a bien connu. Il avait travaillé à ses côtés, sous ses ordres. Interrogé à son sujet, il n'a pas voulu parler de ses qualités de chercheur. Il s'est limité à dire qu'il connaissait ses idées, sa façon de voir. On peut comprendre.

Dans une émission télé d'affaires publiques de la BBC diffusée en Angleterre le 14 avril 1980, sous le titre «Une industrie à l'agonie» (A Dying Industry) un interviewer demande à Monsieur Green:: «L'usage de la cigarette est-il dommageable?»

Le chercheur qui ne travaillait plus à ce moment-là chez British American Tobacco a répondu: «Je suis sûr et certain que la cigarette non seulement peut être dommageable, mais elle l'est.»

Il ajouta du même souffle: «Je suis pas mal certain qu'il s'agit d'un facteur majeur du cancer du poumon dans notre société.  Je crois que si nous arrivions à faire diminuer le nombre de fumeurs nous obtiendrions du même coup une diminution des cas de cancer du poumon.» Ces propos de M. Green ont été diffusés un peu partout dans le monde auprès des dirigeants des compagnies de tabac, entre autres. Ils ont été invités à préparer du matériel visant à gérer la crise au mieux.

A la fin de son témoignage, qui n'était pas tout à fait terminé mercredi et se poursuit jeudi, M. Graham pourra retourner chez lui en Angleterre.


Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectifs contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.

164e jour - Le Grand Jos connaissant

(PCr)
D'une part, il y a cette réalité d'aujourd'hui: quand un journaliste internaute se rend sur les pages en ligne de la multinationale British American Tobacco (BAT), qui possède et contrôle Imperial Tobacco Canada, le leader du marché canadien, il y trouve des admissions que le tabagisme est une cause de cancer et que le tabac rend dépendant.

Les avocats savent cela aussi et il est maintenant certain que le juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec a pris connaissance de la position actuelle de BAT.

D'autre part, il y a Graham A. Read, 64 ans, le témoin du jour au procès de Montréal intenté aux trois principaux cigarettiers du marché canadien par deux groupes de personnes atteintes d'une maladie grave ou dépendantes au tabac et qui se disent victimes des pratiques des cigarettiers.

Avec ce témoin, l'avocate d'Imperial a eu cet échange lundi matin.

Me Deborah Glendinning: ... Alors vous avez eu, M. Read, au-dessus de... je dirais, 33 ans d'expérience à travailler à diverses fonctions, grimpant jusqu'à l'ultime sommet des activités de recherche et de développement chez BAT: vous a-t-on demandé, au fil de ces années, d'acquérir une compréhension de l'évolution historique et du travail que BAT a accomplis en rapport avec ses fonctions de recherche et développement ?
Graham Read: On ne m'a pas demandé de le faire mais je l'ai fait...

Moyennant quoi, le témoin a été autorisé durant le reste des journées de lundi et de mardi à se prononcer sur tout et à citer des études que personne ne voyait sur un écran ou en papier dans la salle d'audience. Autorisé à contredire des experts reconnus par le tribunal, alors qu'il est censé n'être qu'un témoin de faits.

M. Read a aussi été autorisé à contredire d'autres témoins de faits entendus au tribunal, à partir d'un résumé oral et très personnel de l'avocate qui l'interrogeait. Autorisé même à produire un document qui est un résumé schématique et coloré de sa vision des événements, cela quand des experts au procès se sont fait interdire l'usage de Power Point.

Les objections des avocats des recours collectifs ont pratiquement toutes heurté un mur.

Tiendrait-on alors enfin l'homme qui pourra dire sans entrave au juge depuis quand la compagnie admet publiquement que le tabac cause des maladies et crée la dépendance ? Et pourquoi elle a changé d'idée ?

Alors là, les choses sont beaucoup moins claires, ou alors extrêmement claires.

Lors d'une commission parlementaire à Londres en 2000, le chef de la direction de BAT à l'époque, Martin Broughton, a admis qu'il existait une relation de cause à effet entre le tabagisme et des cancers.

Or, la période durant laquelle les compagnies intimées dans le présent procès se voit reprocher de ne pas toujours avoir reconnu ce fait va de 1950 à 1998, si bien qu'on se demande comment les aveux tardifs de BAT aident la cause d'Imperial au Canada.

Les audiences publiques de 2000 avaient été précédés à l'automne 1999 de la soumission de mémoires par les organisations intéressées à le faire, ce qui fut le cas de BAT. Graham Read avait participé de près à la rédaction.

Par ailleurs, le témoin a fait valoir que le rapport du Surgeon General des États-Unis en 1988, qui affirmait que le tabac cause une dépendance et une dépendance comparable à celle causée par la cocaïne ou l'héroïne, avait été reçu avec scepticisme dans l'industrie, sinon par les fumeurs eux-mêmes.

Entre 1988 et la franchise actuelle du site internautique de BAT, il n'a pas eu moyen de savoir ce qui avait provoqué une évolution.

Très souvent, même quand les questions de Me Glendinning étaient très évidemment formulées pour attirer une réponse commençant par un oui ou par non, suivie ou non d'une explication, Graham Read escamotait cette étape si naturelle et commençait une réponse détaillée.

Ce procédé est fort brillant comme moyen de suspendre un auditoire à ses lèvres, attendant un oui ou un non rassurant par sa simplicité.

Cela fait cependant penser au chef de la direction de R. J. Reynolds Tobacco devant un comité du Congrès américain en 1994, quand un député avait demandé si la nicotine crée la dépendance, oui ou non. Le député avait interrompu le fin finaud témoin et vérifié sur le champ s'il fallait considérer sa réponse amputée et savante comme un non.

Il n'y avait pas ce genre de député dans la salle d'audience lundi et hier, mais des avocats de la partie demanderesse forcés d'attendre le moment où ils pourront contre-interroger le témoin.

Le contre-interrogatoire commence ce matin.

mardi 10 septembre 2013

163e jour - Le Monsieur Science du quartier-général

Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.

(PCr)
Dans l'industrie du tabac, il y a trois catégories de responsables de recherches scientifiques : ceux dont l'industrie aime appeler le témoignage; les substituts à ces derniers quand ils ont la déloyauté de mourir; et ceux que les cigarettiers préféreraient tenir loin des tribunaux, parce que leur témoignage accable l'industrie.

Si William Farone (125e et 126e jours) ou Jeffrey Wigand (92e jour, 93e jour et 127e jour) font partie de la troisième catégorie, et Andrew Porter (33e, 34e, 35e, 46e, 161e et 162e jours) de la deuxième, Graham Read, lui, fait partie de la première classe.

Biochimiste formé en Angleterre à l'Université de Hull et à l'Université de Leeds, Graham Read a été mêlé depuis 1976 aux recherches scientifiques de British American Tobacco (BAT), groupe multinational auquel appartenait et appartient encore Imperial Tobacco Canada (ITCL), de même que des fabricants de cigarettes en Australie, au Royaume-Uni, en Allemagne, au Brésil et au Mexique. BAT est aussi le principal actionnaire de R. J. Reynolds aux États-Unis.

Avant de prendre sa retraite en 2010, M. Read était passé de l'examen de microbes dans des vases de Petri à l'étude du comportement des fumeurs, et il a été durant plusieurs années le grand stratège mondial de la recherche chez BAT et un membre du conseil d'administration de la compagnie à Londres. Il a encore parfois servi de consultant depuis lors.

Bien qu'il ne possède pas de doctorat, ce qui a dispensé lundi le public de la salle d'audience 17.09 du palais de justice de Montréal d'entendre le mot « docteur » à tous bouts de champs, Graham Read répond avec aisance à toutes les questions où il est utile de vulgariser le sujet. Il explique volontiers et habilement la différence entre une substance qui provoque une mutation du code génétique d'un organisme, inscrit dans sa molécule d'acide désoxyribo-nucléique (ADN), et une substance qui favorise la multiplication des cellules défectueuses.

C'est à peine une métaphore de dire que le témoin Read joue bien son rôle. En fait, cela fait plusieurs fois qu'il fait entendre sa voix ronronnante et son bel accent de financier anglais devant des tribunaux d'Amérique du Nord, et son témoignage présente une grande constance, sous tous les climats.

Fondamentalement, Graham Read raconte les efforts du groupe BAT pour découvrir la chose qui dans la fumée du tabac cause des maladies, en particulier le cancer, afin de mettre au point des cigarettes moins dangereuses pour la santé. Des cigarettes qui, de son propre aveu, n'ont jamais abouti aux lèvres des fumeurs, mais c'était, a-t-il avancé lundi, à cause des pouvoirs publics qui n'ont pas voulu les autoriser.

Read, parfois à titre d'expert, a témoigné des recherches de BAT dans le procès intenté par l'État du Minnesota contre les cigarettiers (conclu par une entente à l'amiable en 1998), dans le procès mené par le Procureur général des États-Unis contre les mêmes compagnies et conclu par le verdict dévastateur de la juge Gladys Kessler en 2006, de même que dans des recours privés (celui des sidérurgistes et celui de la compagnie d'assurance Blue Cross).

La collection Legacy Tobacco documents de l'Université de Californie à San Francisco contient des milliers de documents dont Graham Read est le signataire ou un destinataire, à moins que son nom soit simplement mentionné par des correspondants.

Dans l'action en recouvrement des dépenses relatives aux soins de santé que le Procureur général du Québec a lancé contre l'industrie du tabac en juin 2012, action judiciaire où le procès devant la Cour supérieure du Québec est commencé mais extrêmement peu fréquenté par le public, et où aucun témoin n'a jusqu'à présent comparu devant le juge Stéphane Sanfaçon, BAT a fait produire à Graham Read, le printemps dernier, un affidavit dont le but était de mettre son ancien employeur hors de cause.

Cela n'a pas impressionné le juge Sanfaçon, qui a maintenu la multinationale au rang des compagnies intimées dans le procès. (jugement Sanfaçon du 4 juillet 2013.)

*

La journée d'audition de lundi a continué de montrer les signes d'une évolution et parfois d'un renversement des attitudes des parties.

Avec la nouvelle et forte propension de la partie défenderesse à utiliser des témoins de faits comme témoins de l'histoire d'une compagnie avant leur entrée en fonction, déjà évidente lors de la comparution récente du chimiste Andrew Porter, les avocats des recours collectifs ont multiplié les objections.

Lundi, Me Philippe Trudel a formulé la quasi-totalité des objections en français, sans se soucier de l'unilinguisme anglais présumé des avocates d'ITCL Deborah Glendinning et Nancy Roberts, pilote et navigatrice de l'interrogatoire de M. Read.

Le juge Riordan n'a pas pipé mot mais semble ne pas présumer d'un progrès suffisant des aptitudes des deux avocates torontoises, puisqu'il a souvent discrètement fourni les éléments d'une traduction lors de ses interventions.

Le juge a aussi parfois posé des questions au témoin sur les sources de ses connaissances, mais rejeté la quasi-totalité des objections, comme s'il voulait désarmer par avance une critique qui le présenterait comme ayant été moins libéral avec les compagnies qu'avec les recours collectifs, et même si le témoin parlait parfois de documents que la partie demanderesse au procès n'a jamais vus.

C'est ainsi qu'est passé comme une lettre à la poste un mémoire présenté par BAT en octobre 1999 à la Chambre des communes. Mais attention, pas la Chambre des communes à Ottawa, celle de Londres. (pièce 20230 au dossier de la preuve) Le document fait notamment valoir la collaboration de l'industrie avec les pouvoirs publics.

Il n'est pas déraisonnable de penser qu'il y a quelques mois, les avocats du tabac auraient invoqué, au choix, pour refuser l'admission de pareil document en preuve, son caractère étranger, la date postérieure à la période couverte par les recours collectifs (1950-1998) ou le principe de l'immunité appliquée aux témoins accueillis par des commissions parlementaires.

Cette nouvelle approche est cependant une boîte de Pandore, et les avocats des recours collectifs voudront peut-être montré au juge Riordan ce que les commissaires parlementaires britanniques ont retenu des propos de BAT.

À plusieurs moments, des pièces ont été versées au dossier de la preuve en défense en invoquant le jugement interlocutoire du 2 mai 2012 ou l'interprétation du juge Riordan de l'article 2870 du Code de procédure civile. À ce jeu, la partie demanderesse bougonne pour la forme mais gagne peu à peu l'assurance que les compagnies ne tenteront plus de contester le bien-fondé des décisions de Brian Riordan si jamais elles allaient un jour en appel d'un jugement final défavorable.

Le témoignage de Graham Read a aussi permis à Me Glendinning de faire expliquer la nature des rapports entre BAT à Londres et ITCL à Montréal, en matière de recherche scientifique. (voir notamment la pièce 20212 au dossier de la preuve)

Le témoignage de M. Read se poursuit aujourd'hui et devrait se terminer mercredi.


|-|-|-|

Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectifs contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.