mercredi 26 juin 2013

156e jour - Dernier jour d'audition avant de renvoyer chacun à son étude ou à des vacances

Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces à conviction, voyez les instructions à la fin du présent message.

édition relative à la journée du 20 juin 2013

Au procès intenté contre les trois principaux cigarettiers canadiens par deux collectifs de personnes qui se disent victimes de leurs pratiques, le juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec a entendu le jeudi 20 juin un dernier témoin avant les vacances judiciaires estivales.

Les parties ont aussi un peu discuté du nouveau calendrier, raccourci, de production de la preuve en défense, planifié par Imperial Tobacco Canada, Rothmans, Benson & Hedges, et JTI-Macdonald. Il a aussi été question de nouveau de la délimitation des groupes qui exercent des recours collectifs.


RETOUR ET ADIEUX DU PROFESSEUR FLAHERTY

David Flaherty est un professeur d'histoire à la retraite de l'Université de Western Ontario qui figure au nombre des témoins-experts de la défense de l'industrie du tabac dans ce procès. Le bonhomme a grandi à Lachine, sur l'île de Montréal, mais a fait carrière aux États-Unis, en Ontario et en Colombie-Britannique.

Il y a vingt-cinq ans, plus précisément le 6 septembre 1988, l'historien Flaherty remettait à l'industrie un rapport de recherche préliminaire sur la « connaissance » qu'avait le public canadien des méfaits sanitaires du tabac. (pièce 1561 au dossier)

Ordinairement, un universitaire des 20e et 21e siècles vit sous la règle non-écrite du « publish or perish » (publier ou périr), mais ce rapport de 1988 devait être gardé secret parce que les avocats comptaient s'en servir dans une défense éventuelle devant un tribunal.

De fait, dans le curriculum vitae du professeur Flaherty, il n'est fait aucune mention de ses recherches sur ce sujet. Le catalogue des publications de l'universitaire canadien est plus riche en monographies sur l'histoire coloniale des États-Unis ou sur des questions de droit à la vie privée.

Après 1998, le rapport secret, comme des millions d'autres documents internes de l'industrie, a été rendu public en vertu d'une entente à l'amiable entre des cigarettiers et les 50 États de l'Union américaine qui les poursuivaient en justice.

Puisque le document était déjà accessible en ligne aux internautes avant même le début du présent procès, le juge Riordan a décidé qu'il pouvait lui aussi le lire et a autorisé son versement dans le dossier de la preuve. La Cour suprême du Canada a ce mois-ci communiqué son intention de ne pas réviser le jugement interlocutoire de Brian Riordan. Alors voilà, l'affaire est close et le document est public.

Quelles ressemblances et dissemblances y a-t-il entre le rapport secret de 1988 et le rapport que l'expert Flaherty a remis en 2010 aux parties dans le présent procès ? Quelle influence les compagnies de tabac ont-elles eu ?

Voilà en partie ce que le procureur des recours collectifs Bruce Johnston a cherché à savoir en poursuivant et terminant son contre-interrogatoire de David Flaherty commencé en mai dernier.


Inconsistances et curiosités

Me Johnston a exprimé une frustration que la partie demanderesse n'ait pas eu accès avant le matin même à la totalité du matériel brut de recherche utilisé par l'expert, soit près de 12 000 documents enregistrés sur un cédérom et colligés par le professeur Flaherty ou d'autres historiens sous contrat avec l'industrie. Ce dernier a révélé qu'il n'y avait pas d'index des documents en question. Incroyable, mais vrai.

Le rapport d'expertise de 2010 conclut que « les Canadiens, incluant les Québécois, étaient les plus avertis de l'Anglophonie et de la Francophonie mondiales » (pièces au dossier 2006320063.120063.220063.320063.420063.520063.620063.720063.820063.920063.1020063.11)

Le rapport préliminaire de 1988, rédigé après seulement quatre mois de recherches, arrivait aux mêmes conclusions, dans des termes très similaires, que la recherche menée épisodiquement durant les 23 années suivantes. Il ne faut cependant pas tirer de conclusions. C'est simplement parce que M. Flaherty était un type brillant (« I think I was a pretty smart fellow back then...»).

L'expert en histoire a cherché à faire comprendre qu'il n'avait pas mis non plus d’œillères en faisant sa recherche, mais il a reconnu implicitement qu'elle était incomplète parce qu'elle ne prenait pas en compte la documentation interne des cigarettiers qui aurait pourtant été disponible, et qui l'est encore pour de futurs historiens. M. Flaherty a répété qu'il avait négocié le mandat et que ce n'était pas les compagnies qui lui avaient dicté ses décisions.

Dans son rapport préliminaire de 1988, l'historien Flaherty faisait notamment référence à ce qu'il avait lu sur la connaissance commune des méfaits du tabagisme dans les transcriptions du célèbre procès de Rose Cipollone contre le groupe Liggett abouti en appel devant la Cour suprême des États-Unis en 1992. Or, si le professeur Flaherty a déclaré, lors un témoignage antérieur devant le juge Riordan, qu'il n'avait jamais lu de transcriptions de procès de cigarettiers, c'est que sa langue a fourché.

Me Johnston a fait remarquer à l'expert que son rapport de 1988 contenait la remarque que les mises en garde publiques à propos des méfaits du tabagisme étaient « contrebalancées par des efforts pour discréditer les études modernes ».

Devant le juge Riordan, M. Flaherty a déclaré qu'il n'avait jamais cru ce qu'il avait alors écrit, et que ses phrases n'ont absolument rien à voir avec ce qu'il pensait à l'époque. Le témoin a dit qu'il aurait dû écrire que les mises en garde ont été efficaces « même s'il y a eu un effort pour les contrebalancer ». L'expert a comparé ces efforts de l'industrie du tabac à une goutte d'eau dans une piscine.

Quand Me Johnston a fait examiner au témoin l'avant-propos du livre The Cigarette Papers, où un ancien Surgeon General déplore que l'industrie ait caché de nombreux renseignements sur les méfaits du tabac qui auraient pu sauver des vies s'ils avaient divulgués, l'historien s'est retranché dans un argument d'autorité et a pris un ton outré: « si j'avais pensé que c'était pertinent, je l'aurais mis » dans le rapport.

On avait compris de la théorie de la connaissance populaire des experts en histoire Lacoursière et Flaherty qu'un article paraissant dans un journal ou un magazine, même à faible tirage, finit par avoir tout de même une influence, grâce notamment au statut social du lectorat, aux revues de presse ou au bouche à oreille familial.

Dans le cas d'un article paru dans le magazine américain True en janvier 1968, un article que l'historien Robert Proctor considère comme un bijou de déni scientifique, M. Flaherty a estimé que le magazine n'était pas lu au Québec, bien qu'il a été incapable de préciser quel était le tirage au Canada. Son petit doigt lui a dit que cela ne pouvait pas avoir eu d'influence, surtout comparé à Sélection du Reader's Digest. Encore une goutte d'eau en moins dans la piscine, si c'est une piscine.

*

En interrogatoire complémentaire par Me Neil Paris, avocat d'Imperial, M. Flaherty a déclaré avoir pris en compte la crédibilité des sources dans sa sélection d'articles de presse. Et ce qui n'est pas crédible, à toutes fins pratiques, ce sont les voix qui nient les méfaits du tabagisme. (Donc on les exclut de l'échantillon, et on obtient ce qu'on veut prouver: les gens savaient.)

Extrait de la pièce 1546
Me Paris a aussi donné une chance au témoin-expert d'accorder son absolution aux historiens qui ont travaillé sur des mandats de l'industrie du tabac dans des procès aux États-Unis. (voir la liste ci-jointe, extraite d'un document versé en preuve par Me Johnston en mai dernier) (pièce 1546)

Me Paris a demandé à l'historien Flaherty s'il pouvait imaginer ce que ses éminents confrères pouvaient gagner en assouplissant leurs normes professionnelles, et le témoin a dit qu'il ne pouvait pas l'imaginer. Le professeur a ajouté qu'avec les mêmes sources et les mêmes questions, toutes ces sommités ne pouvaient aboutir qu'aux mêmes conclusions. Tiens donc.

On aura aussi noté que l'universitaire Flaherty a parlé du « professeur Lacoursière » en référant à l'historien québécois qu'il prenait de si haut lors de son interrogatoire en mai. Il y a tout lieu de croire que l'absolution s'étend donc au célèbre vulgarisateur auteur d'un rapport d'expertise soumis au tribunal en avril.

Le professeur Flaherty est reparti pour la Colombie-Britannique où il réside.

* *

Fumeurs immigrants et dossiers médicaux

Plus tôt en juin, le juge Riordan avait demandé aux avocats des recours collectifs de préciser leurs critères d'inclusion d'une personne dans le groupe des fumeurs ou anciens fumeurs victimes d'une des quatre maladies et dans le groupe des personnes dépendantes de la nicotine.

Le but est d'exclure des personnes pouvant présenter une réclamation celles qui ont commencé à fumer des cigarettes qui ne sont assurément pas fabriquées par les compagnies intimées dans le présent procès, parce que ces personnes ont commencé à fumer avant d'arriver au Canada. Cette ordonnance se veut une réponse à une préoccupation exprimée par Me Simon Potter, le défenseur de Rothmans, Benson & Hedges (RBH).

Un tel ajustement est dans l'intérêt des cigarettiers intimés dans la mesure où il réduira le nombre de Québécois indemnisés en cas de victoire des recours collectifs.  Malgré tout, les compagnies ont protesté de l'enregistrement au dossier de la preuve de données de Statistique Canada sur les migrations. Les recours collectifs « auraient dû » faire cela avant la clôture officielle de leur preuve le 137e jour le 23 avril.

Le juge a fait valoir qu'il a le droit d'imposer quand il veut certaines restrictions à la taille des groupes et qu'il s'attend à ce que les compagnies profitent de la porte ouverte à un nouveau calcul du montant global des indemnités éventuelles.

Le magistrat a aussi, l'an dernier, statué que les cigarettiers ne pourraient pas demandé à voir les dossiers médicaux des membres des collectifs.  Cependant, parce qu'il envisage que les compagnies vont tenter de faire appel de ses décisions sur cette matière, l'honorable Riordan a demandé aux défenderesses de mettre en place un système permettant des appels sans causer des délais au procès.

En ce dernier jour d'audition avant les vacances estivales, une méthode pour ce faire a été mise au point. Les défenseurs des cigarettiers vont faire expédier cet été une assignation à produire des dossiers médicaux, laquelle assignation sera contestée par les avocats des recours collectifs, et sera débattue à la fin d'août. L'hypothèse faite par les juristes est que le jugement interlocutoire de Brian Riordan sur ce sujet aboutirait devant la Cour d'appel à l'hiver 2014, donc bien avant la fin des auditions du présent procès.


Potter encore dans la liste des témoins envisagés

Le juge Riordan a répété, une fois de plus, qu'il ne veut pas voir l'avocat de RBH Simon Potter être appelé à la barre des témoins par son ancien client, Imperial Tobacco Canada. Le magistrat n'autorisera pas cette opération et il estime qu'une comparution d'un avocat partie prenante à un procès dans ce même procès est très exceptionnelle et difficilement justifiable. S'il existe un autre moyen d'enrichir la preuve en défense, le juge annonce qu'il l'imposera à la défense.

Fidèle à son habitude quand on risque de discuter de sa comparution possible comme témoin, Me Potter s'est fait relever dans la défense de RBH par un de ses coéquipiers du cabinet McCarthy Tétrault. Me Potter a déjà déclaré devant le tribunal qu'il ne voulait pas témoigner, mais Me Johnston des recours collectifs avait alors exprimé son opinion que c'est de la frime, et que Potter est de mèche avec la défense d'Imperial.


Le calendrier

Le 15 mai dernier, le juge Riordan a ordonné aux cigarettiers de ramener à 175 jours d'auditions le calendrier de présentation de leur preuve en défense. (Imperial Tobacco veut faire casser ce jugement interlocutoire et la Cour d'appel du Québec va entendre à la mi-septembre les arguments des parties sur la pertinence d'un appel et le fond de la question.)

Le nouveau calendrier qui a circulé depuis le 19 juin respecte la limitation de temps imposée par le juge mais surtout parce que le temps prévu pour des contre-interrogatoires (par la partie demanderesse) a été retranché et parce que le temps consacré à l'interrogatoire de membres des collectifs a été enveloppé de mystère. Le juge Riordan n'a pas paru se formaliser d'arrangements aussi cosmétiques. Il a plutôt complimenté la défense pour son efficacité jusqu'à présent dans les interrogatoires, et pour sa façon de préparer les pièces à verser au dossier. Il a en revanche prévenu les compagnies d'éviter les trous dans le calendrier.

(On trouvera plus bas la séquence envisagée des comparutions et le temps estimé nécessaire.)

Le juge s'est demandé si les avocats de la Couronne fédérale (que la Cour d'appel du Québec a sorti du procès à l'encontre d'un jugement de Riordan) ne pourraient pas aider la défense à produire des affidavits ou des témoins issus de l'administration fédérale.

Les derniers mots du magistrat ont été pour remercier la sténographe et la greffière de leur vaillant travail durant l'année qui vient de s'écouler. 

Les auditions au procès vont reprendre le 19 août, avec la comparution de l'historien Robert J. Perrins.

Entre temps, les avocats et le juge vont pouvoir lire ou relire de nombreux documents versés au dossier de la preuve, qui compte maintenant des dizaines de milliers de pièces.

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Témoins que la défense des cigarettiers veut appeler à la barre (plan du 20 juin 2013)



expertises

Robert J. Perrins (histoire de la connaissance scientifique et politique gouvernementale), 3 jours
Michael Dixon (phénomène de la compensation), 3 jours
James Heckman (publicité, statistique, absence d'impact sur les membres des collectifs), 2 jours
Richard Semenik (marketing), 2 jours
David Soberman (marketing), 2 jours
Alexander Goumeniouk (dépendance), 1 jour
Kieron O'Connor (dépendance), 2 jours
Dominique Bourget (dépendance), 2 jours
John Davies (dépendance), 2 jours
Laurentius Marais (épidémiologie, statistiques, causalité), 3 jours
Bertram Price (épidémiologie), 2 jours
Kenneth Mundt (épidémiologie), 2 jours
Sanford Barsky  (maladie, diagnostic individuel), 1 jour
Dale Rice (idem), 1 jour
deux experts sur les mises en garde sanitaires, 4 jours
+
un possible expert en sondage des consommateurs, 2 jours


faits et gestes d'Imperial Tobacco Canada

Andrew Porter (recherche, chimie), 3 jours
Graham Read (recherche en général, BAT), 3 jours
Gaétan Duplessis (recherche, relations avec Agriculture Canada), 2 jours
Andrew Chan (marketing), 2 jours
Anthony Kalhok (marketing), 1,5 jour
Ed Ricard  (marketing), 2 jours
Anne Boswall (marketing), 1 jour
Jean-Louis Mercier (haute direction), 1,5 jour
Benjamin Kemball (haute direction), 2 jours
Lyndon Barnes (rétention/destruction de documents), 1 jour
Simon Potter (rétention/destruction de documents), 1 jour
Graeme Boswall (feuilles de tabac), 1 jour
Howard Goode (feuilles de tabac), 1 jour
Ron Bandur (feuilles de tabac), 1 jour


faits et gestes de Rothmans, Benson & Hedges

Steve Chapman (développement de produits), 2 jours
Gary Black (développement de produits), 1 jour
John Barnett (politiques corporatives, haute direction), 1 jour
un autre témoin (marketing), 1 jour
un autre témoin (haute direction), 1 jour


faits et gestes de JTI-Macdonald

Peter Hoult (haute direction), 3 jours
Ray Howie (développement de produits), 2 jours
Robin Robb (marketing), 2 jours
Richard Marcotulio (effets sanitaires du tabagisme et politique corporative), 2 jours
Jeff Gentry (développement de produits), 2 jours
Lance Newman (marketing), 1 jour
Guy-Paul Massicotte (CTMC, ICOSI, réorganisation corporative), 1 jour
Mary Trudelle (marketing et affaires publiques), 1 jour
Ian Walker (Youth Target Study), une demi-journée
Michael Sauro (compensation), une demi-journée


faits et gestes du ministère canadien de la Santé

témoins probables
J.C. Robinson, 1 jour
W.H. Cherry, une demi-journée
Monique Bégin, 2 jours
Albert J. (Bert) Liston, 2-3 jours
Perrin Beatty, une demi-journée
Murray Kaiserman, 2 jours
William S. Rickert, 1 jour

autres témoins possibles
DM Bruce Rawson, 1-2 jours
John A. Bachynsky,  1 jour
J.L. Fry, 1 jour
David Kirkwood, 1 jour
Maureen Law, 1 jour
Benoit Bouchard, une demi-journée
David Crombie, une demi-journe
Neil Collishaw, 1 jour
d'autres témoins à déterminer


faits et gestes d'Agriculture Canada
C. Frank Marks, 2 jours
P. Wade Johnson, 2 jours
R.S. Pandeya, 2 jours
J.M. Brandle, 1 jour
Brian Zilkey, 2 jours
Yvan Martel, 1 jour
D'autres témoins à déterminer.


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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuv ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
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