dimanche 19 mai 2013

143e et 144e jours - Les discrets ou obscurs collaborateurs au rapport de Jacques Lacoursière

Comme si la matinée de mercredi avait manqué de surprise ou comme si l'après-midi risquait de manquer de piquant, le juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec a rendu mercredi lors de la pause du midi une ordonnance écrite pour limiter à 175 jours le temps qu'il accorde aux compagnies de tabac pour livrer leur preuve en défense dans le procès en responsabilité civile qu'il préside.

Son jugement de neuf pages répète par écrit ses vues exprimées vers la fin de la 136e journée d'audition. Le juge considère que le calendrier de 304 jours annoncé par les avocats des cigarettiers constitue un abus du système de justice et il éreinte les compagnies de tabac, surtout Imperial Tobacco Canada (ITCL), pour leur attitude dilatoire. En réagissant jeudi au jugement, les avocats ont exprimé plus d'indignation contre les blâmes qui leur ont été adressés qu'au sujet de l'effet pratique de l'ordonnance sur le calendrier.

Mercredi, l'interrogatoire principal du témoin-expert Jacques Lacoursière, que les compagnies étaient censées continuer une journée encore, n'a pas duré.

Jacques Lacoursière
(photo Rémy Boily)
L'avocat de Rothmans, Benson & Hedges (RBH) Jean-François Lehoux a, au bout de dix minutes, cédé la place aux avocats des recours collectifs, après un très bref échange où la langue de M. Lacoursière a de nouveau fourché, faisant entendre le mot croyance quand il fallait dire connaissance, pour coller à la thèse de la défense de l'industrie.

Le contre-interrogatoire aussitôt commencé par Me Philippe Trudel s'est poursuivi et terminé jeudi matin. Le témoin a été libéré avant le dîner. Voici un aperçu de cette journée et demie d'auditions.

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LACOURSIÈRE A-T-IL PRÊTÉ SON NOM OU BÂCLÉ L'OUVRAGE ?

Les mots tristes sont sous vos yeux, mais commençons par quelques mises en contexte.

Personne ne s'étonne que des rapports d'expertise soient parfois le fruit d'un travail d'équipe, bien que les avocats, le juge et le public des palais de justice s'attendent à ce qu'un expert à la barre des témoins sache expliquer sa méthode et justifier ses conclusions.

Tout épidémiologue qu'il est, le professeur Jack Siemiatycki avait reconnu en février qu'il n'est pas un spécialiste des méta-analyses et s'était fait aider dans la production de son rapport d'expertise. De même, l'expert en sondages de population Christian Bourque, lors de sa comparution en janvier et en mars, a souligné l'importante contribution qu'avait eu l'une de ses collaboratrices à son rapport.

À chaque fois tout de même, le public de la salle d'audience 17.09 pouvait avoir l'impression d'être en présence d'un témoin expert du sujet, qui percevait bien les limites du rapport qu'il avait signé et connaissait bien toutes les conditions de sa réalisation. Il est évident qu'un prête-nom ou un relationniste bien briefé n'aurait pas tenu le coup lors de contre-interrogatoires par les redoutables avocats des cigarettiers que sont Guy Pratte, Simon Potter et Suzanne Côté.

Le témoin-expert Jacques Lacoursière aurait pu dire qu'il s'était appuyé sur le travail de plusieurs personnes pour produire son rapport d'expertise de 2010, car il n'y a rien de plus normal, même de la part d'un homme comme lui qui n'est plus rattaché à un établissement universitaire depuis 1968. Au surplus, M. Lacoursière a expliqué que la détérioration sérieuse de sa vue au cours de la dernière décennie, due à un décollement de la rétine, l'avait fait s'appuyer pour l'essentiel sur son travail de 2001 à 2003, lorsqu'il procédait à une recherche pour l'industrie du tabac.

Pour son rapport de 2010, le célèbre historien a dit jeudi qu'il n'avait pas été aidé.

Le matériel brut (20 000 documents) dont l'expert a extrait de quoi rédiger son rapport a été en bonne partie colligé par quatre étudiants de doctorat en histoire sous la direction du professeur José E. Igartua de l'Université du Québec à Montréal (UQAM).

Ce travail d'extraction avait déjà été réalisé, on ne sait pas quand au juste, mais avant que M. Lacoursière, à la demande des cigarettiers, produise une déclaration sous serment (affidavit, en latin) transmise en 2003 au juge Pierre Jasmin de la Cour supérieure du Québec (affidavit que ce dernier cite dans son jugement d'autorisation des recours collectifs en février 2005). C'est sur la suggestion du cabinet Ogilvy Renault, alors en charge de défendre les intérêts d'ITCL, que le consultant Lacoursière est allé vers l'universitaire Igartua.

Lors du contre-interrogatoire de jeudi par Me Philippe Trudel des recours collectifs, il a aussi été plus d'une fois question d'un décompte des articles de presse qui, au fil de la période étudiée par M. Lacoursière pour son rapport d'expertise, ont été publiées dans des journaux et magazines québécois et qui mettaient en garde contre telle ou telle maladie, par exemple le cancer du larynx. L'expert Lacoursière n'a pas fait de tel décompte mais a affirmé en avoir demandé un, après la soumission de son rapport d'expertise aux parties, le 23 décembre 2010, au professeur Marc Vallières du département d'histoire de l'Université Laval.

Le décompte du professeur Vallières aurait confirmé les conclusions de M. Lacoursière quant au caractère répétitif de la mise en garde médiatique pour différentes maladies, mais celui-ci n'en a pas conservé de copie. Les défenseurs de RBH et JTI-Macdonald ont fait un tel barrage d'objections à ce que Jacques Lacoursière évoque la participation du professeur Vallières, invoquant notamment la question du secret professionnel, qu'il est devenu impossible de croire que cette participation aux préparatifs de la défense des compagnies de tabac a été insignifiante.



Le témoignage de Jacques Lacoursière devant le juge Riordan laisse finalement plus de questions sans réponse qu'il n'apporte de lumière. Des questions troublantes.


1
Un échantillonnage au pif ?

Lundi et mardi, on pouvait encore croire que le vulgarisateur émérite (deux fois docteur honoris causa) de l'histoire québécoise était gêné de déployer ses dons par l'étroitesse de l'expertise que JTI-Macdonald et RBH sont prêtes à lui reconnaître. Jacques Lacoursière était leur témoin mais ne semblait leur inspirer qu'une confiance très limitée.

Mercredi et jeudi, devant un Philippe Trudel puis un Bruce Johnston tout disposés à l'entendre et lui prodiguant tout aussi généreusement que les avocats du tabac du « professeur Lacoursière », l'historien n'a pas été plus éloquent.

1.1
Dans son rapport d'expertise, Jacques Lacoursière a affirmé que l'équipe du professeur Igartua avait fouillé La Presse, Le Soleil et Le Devoir pour les années 1950 à 1998, Le Journal de Montréal pour les années 1964 à 1998, et The Gazette, pour les années 1950 à 1983. De son côté, il a fouillé le mensuel Sélection du Reader's Digest pour la période de 1950 à 1998, Montréal-Matin pour la période de 1950 à 1965, et L'Actualité (et son prédécesseur le Magazine Maclean's) pour les années 1965 à 1998.

Le procureur des recours collectifs Trudel a voulu savoir pourquoi l'univers des extraits du quotidien The Gazette s'arrête en 1983 (alors que ce journal a existé jusqu'en 1998 et existe encore). L'expert Lacoursière ne le sait pas. Il a relaté toute la difficulté qu'il avait eu à rejoindre le professeur Igartua pour tirer la chose au clair, et ce dernier lui aurait finalement dit qu'il ne se s'en souvenait plus.

1,2
Devant le tribunal, Me Trudel a montré à l'expert des extraits du quotidien Montréal-Matin qui datent de juin 1969 et répercutent le point de vue rassurant des cigarettiers au moment de la célèbre commission parlementaire présidée par le Dr Gaston Isabelle.

L'avocat a voulu savoir pourquoi l'univers des extraits réalisés pour le rapport d'expertise s'arrête en 1965. M. Lacoursière a dit qu'il s'est « fié à Beaulieu et Hamelin » et à leur ouvrage La presse québécoise des origines à nos jours, où il serait fait mention que ce journal avait cessé de paraître en 1965.

On ose à peine croire que Jacques Lacoursière ait consulté l'édition de 1965 de leur célèbre ouvrage, plutôt qu'une édition plus récente, puisque Montréal-Matin a survécu jusqu'en 1978. Dans tous les cas, un livre d'historiens ne pourrait pas être une source première, en particulier pour un fier collectionneur de coupures de presse comme M. Lacoursière. (L'ancien étudiant du Séminaire de Trois-Rivières découpe dans Le Devoir depuis 1948.)

1.3
Me Trudel a voulu savoir comment un article du quotidien Financial Post de 1963 avait abouti dans l'échantillon d'articles analysés dans le rapport.

C'est par hasard, a répondu Jacques Lacoursière, qui a cité Georges Bernanos (« le hasard est la Providence des imbéciles »), et a ajouté que puisqu'il n'est pas un imbécile, ce ne devait pas être non plus par hasard.

Comment cet article avait abouti sous ses yeux, et dès 1963 ? On n'en a pas su plus, à part que M. Lacoursière avait conservé cette relique pendant quarante ans. En fait, la suite du contre-interrogatoire a montré que c'était plutôt trois articles du Financial Post parus à différentes dates de cette même année qui ont abouti dans l'échantillon « choisi » par l'historien.

La contribution du journal torontois à la connaissance populaire des méfaits du tabac au Québec dans les années 1960 est demeuré un mystère mineur.

L'évocation de Bernanos fut la seule fois où l'érudit Lacoursière a cherché à plaisanter. Il a été plutôt atone le reste de la journée et happé par un accès de modestie extrême.

1.4
À croire le témoin-expert, un historien ne peut pas interpréter les sondages. Pourquoi dans ce cas en avoir cités, y compris sur les croyances, comme si c'était à l'appui de sa thèse que « tout le monde connaissait » les méfaits ? Par acquit de conscience, a répondu le témoin Lacoursière à Me Trudel. Mais pas question de s'aventurer dans la comptabilité des croyances ou la critique de la méthodologie, a fait valoir l'historien.

Curieusement, c'est sans insérer le moindre bémol aux conclusions de son rapport que Jacques Lacoursière a ajouté aux articles qui soutiendraient sa conclusion un article du quotidien Le Soleil du 6 mai 1981 où il est pourtant fait état, jusque dans le titre, de la MÉCONNAISSANCE des risques sanitaires du tabagisme par le public, telle que révélée par un sondage payé par la Société canadienne du cancer. Oups.

Interrogé sur le sujet, le témoin Lacoursière s'est mis à critiquer la méthodologie du sondage, ce qu'il faisait aussi par écrit dans son rapport.  Étrange comportement de la part de quelqu'un qui venait de dire lundi et mardi, peut-être pour satisfaire les avocats de l'industrie, que cela excédait ses compétences d'historien.

Mais cela excédait-il vraiment les compétences d'un historien, a demandé Me Trudel ? Non, a fini par admettre le populaire historien, mais lui a décidé de ne pas le faire. Vraiment ?


2
Pile je gagne, face tu perds

Me Trudel a aussi voulu savoir si l'examen de la presse conduit par l'historien permettait de savoir si le peuple connaissait, non seulement l'existence d'un risque pour la santé, mais l'importance du risque d'être frappé par telle ou telle maladie en conséquence du tabagisme.

M. Lacoursière, qui avait admis n'avoir aucune idée de l'importance du risque, parce qu'historien et non médecin, semble avoir considéré qu'il n'y avait pas de différence entre les deux connaissances populaires (savoir qu'il existe un risque, d'une part, et savoir quelle est la probabilité d'être malade de ceci ou de cela en fumant, d'autre part).

Ce qu'il faudrait apparemment comprendre, c'est que la soi-disant méthode quantitative de l'historien ne connaît qu'une seule opération arithmétique: l'addition. Et on pourrait ajouter: celle de choux et de navets.

2.1
Par ailleurs, M. Lacoursière a dit qu'il n'avait pas l'impression que la masse de documents où il a puisé son échantillon d'articles de presse et annonces de produits de sevrage antitabagique contenaient en fait une bonne majorité d'annonces de produits du tabac parues dans les quotidiens québécois étudiés. Me Trudel lui a montré des relevés de l'équipe du professeur Igartua qui montrent que c'était bien le cas, avec notamment, dans le matériel brut, des annonces pleine page difficiles à manquer.

Une fois de plus, l'expert a pataugé pour faire connaître à la Cour les critères qui ont présidé à la sélection d'un échantillon de coupures de presse composé exclusivement de contenu rédactionnel et d'annonces de produits de sevrage tabagique. Le juge Riordan s'est parfois pris la tête entre les mains.

Voici comment on est forcé de résumer le raisonnement circulaire de l'expert Lacoursière, au terme de plusieurs occasions qu'il a manquées de faire comprendre autrement sa méthode.

A) Comment un chercheur peut-il prouver que le peuple savait que fumer est dangereux pour la santé ?

En regardant ce qui était raconté au peuple dans les médias.

B) Que retenir de tout ce qui était raconté au peuple dans les médias ?

Retenir ce qui aurait dû accroître plus ou moins la connaissance populaire des dangers du tabagisme, que cela l'ait fait ou non (le chercheur n'a pas à se donner la peine de vérifier), et exclure tous les faits qui pourraient montrer l'ignorance populaire.

Plus précisément, sélectionner ce qui était raconté au peuple et qui parlait en mal du tabagisme, par exemple la nouvelle de la découverte d'un lien entre le tabagisme et un méfait sanitaire; sélectionner ce qui était raconté au peuple qui montre que des personnes pensaient du mal du tabagisme, par exemple la nouvelle d'un règlement à venir pour protéger les non-fumeurs, comme si la conviction des uns (promoteurs de la santé publique) entraînait forcément la connaissance des autres (lecteurs et auditeurs); additionner tout cela sans pondération, comme si tout valait la même chose pour la démonstation, et toujours conclure que c'est impossible que les gens n'aient pas su qu'il existe un risque puisque quelqu'un leur disait directement ou indirectement.

C) Pourquoi ajouter à l'échantillon les annonces de produits ou de services pour arrêter de fumer ? Parce que l'offre de ces produits sous-entend que le public connaissait déjà les méfaits du tabac, ...comme s'il y avait forcément une demande pour ses produits. Mais est-ce que l'offre et la demande parallèles de produits du tabac ne sous-entend pas à l'inverse que les gens ne savaient pas les risques ou les sous-estimaient ? Hummmm. Il ne faut pas ajouter les pubs de tabac parce que c'était pour vendre.

Comprenne qui pourra.

Il faut savoir que durant les procès, les interrogatoires et contre-interrogatoires, après des interruptions innocentes et des objections providentiellement bien plantées, se terminent parfois en queue de poisson, au grand soulagement des témoins incapables de trouver les mots pour finir leurs phrases.

Des phrases inachevées, parfois émaillées de citations et de mises en contexte soudain urgentes, Jacques Lacoursière en a servi à satiété.

2.2
Mais l'influence des annonces de produits du tabac sur la connaissance populaire des méfaits n'est-elle pas une réalité connue des historiens, a voulu savoir Me Trudel ? L'historien Lacoursière a paru tomber des nues. Me Trudel lui a lu un extrait du rapport d'expertise du professeur de marketing Richard Pollay, expert dans le présent procès. M. Lacoursière ne l'avait pas lu, ni quoi que ce soit d'autres sur ce sujet. Certes, on peut probablement être un historien utile et ne pas savoir à quel point la publicité peut informer ou désinformer le public, mais n'est-ce pas manquer de curiosité pour un aspect important de la « vie quotidienne », qui est le champ d'intérêt de Jacques Lacoursière, selon ses dires.

M. Lacoursière n'avait pas lu non plus le rapport de l'historien Robert Proctor critiquant son travail, mais il se l'était laissé résumer par les avocats des cigarettiers.

(Au postulat implicite de Lacoursière « les gens savent parce que la presse en parle », le professeur Proctor réplique par un « la presse en parle parce que les gens ne savent pas ». Proctor critique aussi le fait que les historiens Lacoursière, Flaherty et Perrins n'aient pas consulté du tout la documentation interne de l'industrie du tabac, pourtant accessibles aux chercheurs.)

Plus troublant: Jacques Lacoursière, en 60 ans d'intérêt auto-proclamé pour les méfaits sanitaires du tabac ou leur écho dans la presse, n'avait pas lu quoi que ce soit dans la prose savante des historiens qu'il puisse mentionner au sujet du concept de « connaissance populaire » des méfaits du tabac, un concept pourtant utilisé par l'industrie dans tous ses procès des dernières décennies aux États-Unis, et qui a fait l'objet de travaux académiques. M. Lacoursière a déclaré avoir « inventé » son concept.

Pareillement pour sa définition de la dépendance, apparu ex nihilo.

Pour la connaissance populaire, il a mentionné s'être inspiré de l'école historique des Annales, puis a admis que les historiens français de ce courant de la recherche né dans les années 1920 n'ont jamais appliqué ce concept à la publicité du tabac.

Jeudi, l'expert Lacoursière a répété plus clairement que jamais qu'il s'intéressait au sujet des méfaits du tabagisme depuis la lointaine époque où il s'est abonné au Devoir, en 1948, à l'âge de 16 ans.

Mais sur ce sujet, il n'a jamais voulu lire ce que les autres historiens avaient écrit.

Au juge Riordan qui s'en étonnait jeudi, M. Lacoursière a déclaré: « Je reste isolé dans ma pensée académique ».

L'assistance s'est regardée avec ahurissement.

Est-il possible que le restant d'un étrange dépit pousse aujourd'hui un homme savant à l'aveuglement ?

Relisons un extrait de la transcription du premier jour de comparution Jacques Lacoursière lundi.
Juge Riordan: Ce qui veut dire que vous n'avez jamais obtenu la maîtrise en histoire ?
Expert Lacoursière: Non, mais vous allez comprendre pourquoi tout à l'heure.
Riordan: Ce n'est pas un reproche. C'est juste pour que ce soit clair. Vous avez complété les cours académiques, mais vous n'avez pas obtenu le diplôme tel quel.
Lacoursière: Je n'ai pas rédigé de thèse.
Riordan: Okay.
Me Lehoux, avocat de RBH: Oui, expliquez-nous pourquoi, professeur Lacoursière.
Lacoursière: Pourquoi ?  Tout simplement parce que, à partir des années 1962, j'ai commencé à produire aussi bien des imprimés que des ouvrages qui étaient reliés à l'histoire et, en 1969, j'ai donné, au cours de l'été, un cours à l'Université de Montréal pour la licence en enseignement supérieur.  J'avais demandé qu'on me crédite les crédits de ce cours-là, mais on m'a dit que je ne pouvais pas être juge et partie en même temps. Donc à ce moment-là...
Riordan: C'est un bon conseil, ça.
Lacoursière: ...j'ai décidé de continuer à produire et, pour moi, c'était plus important que d'obtenir un doctorat. Et d'ailleurs, j'avais dit à Jean-Pierre Wallot qui, à l'époque, était archiviste en chef du Canada, que je ne disposais pas d'une fin de semaine et que, par contre, lui, avec sa thèse de doctorat, c'était sur les tablettes d'une bibliothèque universitaire en cinq copies; que si moi, je le lisais et que je le citais, il y avait à peu près 100 000 personnes qui découvraient qui était Jean-Pierre Wallot.

Le vieux Patriote, pipe au bec
 et mocassins aux pieds
(dessin par Henri Julien)
(Pour mémoire, feu Jean-Pierre Wallot s'est notamment intéressé aux Patriotes des années 1830, dont les Québecois célèbrent chaque année en mai le souvenir et la remarquable actualité. Concernant les Patriotes, Wallot a publié Un Québec qui bougeait aux éditions du Boréal et il fut aussi l'un des collaborateurs du célèbre Boréal Express cher au coeur de M. Lacoursière. Votre serviteur ne sait pas si Un Québec qui bougeait était un ouvrage dérivé de la thèse de doctorat de Wallot, mais il semble improbable que Jacques Lacoursière n'ait rien lu de cet historien-là au moins.)

3
Des coïncidences encore

Jeudi en milieu de matinée, les choses se sont gâtées pour le consultant des cigarettiers. Le ton est resté déférent mais la teneur des questions est devenue encore plus embarrassante.

Prenant le relais de son associé Trudel, le procureur des recours collectifs Bruce Johnston a fait examiner à l'expert Lacoursière et à la Cour certaines descriptions sommaires d'articles contenus dans son rapport d'expertise. Ces descriptions ont été projetées à l'écran et lues à haute voix.

Rappelons que les articles en question ont été archivés avant 2003, soit par l'équipe du professeur Igartua, soit par Jacques Lacoursière lui-même.

Ce dernier a affirmé que les résumés dans son rapport de 2010 étaient de sa main. Et il a affirmé qu'il n'avait pas reçu d'aide pour préparer ce rapport (bien qu'il a parfois dû régler le photocopieur pour faire agrandir considérablement les caractères dans des coupures de presse qu'il lisait ou relisait, car sa bonne vue l'abandonne de plus en plus souvent).

Or, tant jeudi que mercredi, on avait aussi montré à l'expert Lacoursière des sortes d'index qui se trouvent au début de chacun des cahiers-anneaux (il y en a 143) contenant la masse brute des documents qui ont servi à sa sélection. Jacques Lacoursière a fait comprendre mercredi et répété jeudi qu'il n'avait pas écrit un seul de ces index. (En les regardant, admiratif, il les a toutefois jugé « bien faits ».)

Ces index, qui tiennent généralement sur une feuille, contiennent aussi des descriptions sommaires d'articles. Au moins un de ces index porte le nom d'un étudiant au doctorat qui travaillait avec le professeur Igartua. C'était donc rédigé il y a au moins dix ans.

Me Johnston a jeté trois de ces index sous les yeux du témoin-expert (et en même temps en très gros plan sur les écrans), et les a lu à haute voix.

Comment expliquer qu'au moins trois des descriptions sommaires lisibles au début des cahiers-anneaux soient écrites exactement dans les mêmes mots que dans le rapport Lacoursière de 2010 ?

Jacques Lacoursière n'a pas pu expliquer ce « hasard ». Il a de nouveau repris sa citation de Bernanos, mais sans prendre cette fois-là le temps de créditer le romancier français, en supposant sans doute que ses auditeurs ont de la mémoire.

*

Le procès reprend mardi, après le congé de la Journée nationale des Patriotes. Un autre historien engagé par les compagnies de tabac, le professeur David Flaherty, va témoigner.

(Avis à nos lecteurs de l'extérieur du Canada: dans la fédération canadienne hors du Québec, ce congé de lundi s'appelle Victoria Day, en l'honneur de la reine de Grande-Bretagne et du Canada sous le règne de qui les Patriotes se sont rebellés, après trois décennies de représentations pacifiques auprès du pouvoir impérial. Les lecteurs du blogue qui sont curieux de voir comment un Jacques Lacoursière peut vous raconter cela en neuf minutes et demie sans regarder de notes et presque d'un seul souffle peuvent aller au lien suivant. L'introduction admirative du présentateur du conférencier a aussi valeur de témoignage sur la réputation de l'historien Lacoursière.)