mercredi 23 janvier 2013

104e jour - 22 janvier - Une visite guidée de l'arsenal avec un savant du marketing


Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.

Lors du tout premier jour du procès en mars, quand les avocats André Lespérance et Bruce Johnston avaient annoncé les couleurs de la partie demanderesse, Johnston avait dit que la recherche des avocats dans la documentation interne des cigarettiers avait permis de trouver plusieurs « smoking guns » (Imaginez la surprise et la joie d'enquêteurs à la recherche des armes à feu d'un crime à élucider et qui les trouvent encore fumantes chez les suspects...). Le procès allait permettre de les montrer au tribunal (...et au public).

Mardi, le même Johnston a fait examiner plusieurs de ces pièces incriminantes par un expert en marketing qui a tranquillement confirmé ce dont on pouvait avoir l'impression. Les avocats des cigarettiers auraient voulu que l'interrogatoire s'en tienne exclusivement au contenu du rapport d'expertise du professeur de marketing Richard Pollay, qui date de 2006, mais le juge a refusé.

Après le passage à la barre, depuis mars dernier, de plusieurs témoins amnésiques ou distrayants, retraités de l'industrie du tabac, l'interrogatoire de Richard Pollay a jeté une lumière crue sur les réflexions et productions des marketeurs qu'on trouve dans les archives des cigarettiers.

À l'examen d'une documentation stratégique d'Imperial Tobacco datée du milieu des années 1980, Pollay a fait remarquer mardi que le nombre des fumeurs qui étaient selon les études de marché d'Imperial à risque de cesser de fumer était quatre fois supérieur au nombre des fumeurs qui étaient susceptibles de changer de marque. Mercredi, M. Pollay est revenu de sa relecture de la source de son calcul sommaire pour dire que c'était plutôt cinq fois que quatre fois plus.  (voir pièce 267)

Le professeur de marketing a en bonne partie expliqué cette réalité par le phénomène de la loyauté à une marque de produits. Sur une échelle croissante de 0 à 10, la loyauté à la marque est de 10 sur le marché du tabac, d'où l'importance de recruter de nouveaux fumeurs. (M. Pollay s'appuyait sur un document de Rothmans, Benson & Hedges, pièce 1178, où la loyauté a une marque de cola était estimée à 4.) En dépit du tiraillement éprouvé par les fumeurs, ils reviennent sur le marché et demandent le même produit.

Comment croire dans ces conditions que la publicité de chacune des compagnies ne visait qu'à débaucher les clients de la concurrence et jamais à rassurer les décrocheurs potentiels du tabac ?

la population vue par un marketeur de l'industrie (pièce 1110)

Selon Richard Pollay, le lent processus de construction de l'image des marques vise aussi à faire se sentir bien les nombreux fumeurs qui risqueraient autrement de décrocher. Le refus d'admettre que la cigarette n'était pas seulement un facteur de risque sanitaire mais causait des maladies a aidé les fumeurs a rationalisé leur dépendance à la nicotine.

Par ailleurs, l'expert Pollay, contrairement aux témoins issus de l'industrie et comparus depuis mars, ne croit pas que les cadres de l'industrie devaient s'abstenir, faute de crédibilité, de communiquer aux fumeurs ce que l'industrie savait des risques sanitaires de ses produits.  En 1991, il y aurait eu plus de fumeurs pour croire un cadre agissant de la sorte (61%) que pour douter de sa parole (35 %). (voir pièce 987.21)

Le professeur Pollay a trouvé du réalisme aux positions de Bob Bexon et de Connie Ellis, entre autres penseurs du marketing.

Le premier oeuvrait au marketing d'Imperial Tobacco Canada dans les années 1980 avant de partir pour l'étranger et de revenir diriger l'entreprise au tournant du 21e siècle. La deuxième travaillait chez Rothmans, Benson & Hedges (RBH).

Feu Bob Bexon fit en 1984 un calcul qu'il a servi comme un électrochoc à ses collègues : à partir du 1er juin 1985, si toutes les tentatives d'arrêter de fumer sont couronnées de succès, l'industrie de la cigarette sera disparue à 2h40 du matin le 22 mars 1988 (traduction libre de l'auteur du blogue) (pièce 1110)

Dans une analyse décapante (pièce 762) qu'elle faisait dix ans plus tard au profit de RBH, une analyse en partie inspirée par un rapport d'expertise commandé à Richard Pollay par le gouvernement fédéral canadien lors du long procès sur la constitutionnalité de la Loi réglementant les produits du tabac (LRPT) de 1988, Connie Ellis expliquait comment l'effort d'Imperial dans la construction d'images de marques lui permettait d'accroître sa part du marché pendant que celle de RBH déclinait (sur un marché lui-même déclinant).

Mme Ellis observait en 1994 que le marketing de RBH et de JTI-Macdonald ne visait pas surtout à débaucher les clients de la concurrence mais à rassurer leurs propres clients et à en recruter d'autres chez les jeunes.

De son côté, le professeur Pollay a remarqué que la campagne Belvédère (une marque de RBH) de commandites de concerts rock et autres événements susceptibles de rejoindre un jeune public avait commencé au milieu des années 1990, comme si c'était la douche froide servie par Mme Ellis qui avait soudainement réveillé RBH.

En début de matinée mardi, Me Johnston avait été empêché par le juge Riordan de faire comparer par son expert les déclarations publiques des cigarettiers avec leurs analyses internes au sujet de l'impact de la publicité sur le volume global du marché canadien.

En fin d'après-midi, Johnston est revenu à la charge par la bande en demandant ce que prédit la théorie dans l'hypothèse où la publicité n'aurait d'impact que sur les parts de marché et aucunement sur le volume global du marché, ce qui était la prétention de l'industrie lors des procès des années 1990 et 2000.

M. Pollay a dit que si c'était le cas, l'industrie dans son ensemble et en particulier les joueurs dominants accueilleraient favorablement une interdiction de la publicité, puisque ce serait autant de dépenses d'argent évitées. Or, les procès intenté par l'industrie contre la LRPT puis contre la Loi sur le tabac de 1997 visaient précisément à préserver le droit des cigarettiers d'annoncer leur produits et de commanditer des événements.

L'éditrice du blogue Eye on the trials, Cynthia Callard a eu le temps de noter les numéros des pièces au dossier discutées lors de l'interrogatoire de mardi. Ces pièces couvrent une période qui va de 1976 à 1994, avec un document daté de 1958.

pièce 536            Advertisement 1958
pièce 119.1         Assumptions and Strategies for marketing over the next 10 years (1976)
pièce 113A         Social Currents 1976
pièce 141            The Players Family 1977
pièce 370            Project Day 1980
pièce 1110          Saving the Canadian Industry 1984
pièce 266           File Viking 1985
pièce 990.16      Project Viking  1986
pièce 520-cry27 Youth Target 1987
pièce 520-cry32 Review of ITL Brand Strategies 1988
pièce 520-cry30 Tracking Study 1988
pièce 987.21       Project Viking 1992
pièce 762            Strategic Review - The Canadian Tobacco Industry - 1994

L'interrogatoire de Richard Pollay s'est poursuivi mercredi.

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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.