mercredi 28 novembre 2012

89e jour - 27 novembre - Proctor fait comprendre ce que les historiens mandatés par l'industrie ont omis d'examiner

À la fin des joutes de hockey au Canada, quelqu'un des médias choisit les trois étoiles. Si Me Doug Mitchell méritait la première étoile du match de lundi, il faut donner celle de mardi à Robert Proctor et à Me Bruce Johnston.

Pour parler du procès en responsabilité civile des cigarettiers canadiens au palais de justice de Montréal, empruntons une autre métaphore. Jusqu'à ce que les procureurs des compagnies de tabac commencent la preuve en défense, ce sont les avocats des recours collectifs qui jouent la partie d'échecs avec les pièces blanches, c'est-à-dire qui jouent les premiers.  Avec une équipe de fort calibre intellectuel de chaque côté, cette petite différence pèse de tout son poids.

Mardi matin, c'était de nouveau au tour des recours collectifs de jouer. La décision du juge Brian Riordan de lundi après-midi privait la partie demanderesse d'utiliser l'ensemble du rapport d'expert du professeur d'histoire Robert Proctor. Cette amputation privait aussi la partie demanderesse de la possibilité de parler avec l'expert de certains documents auxquels il faisait référence dans cette première partie de son rapport. De façon générale, dès la semaine dernière et lundi, les avocats des cigarettiers s'étaient plaints de ce que plusieurs documents commentés par l'expert Proctor, y compris dans ce qui allait être la partie survivante à la décision de Brian Riordan, ne figuraient pas dans le dossier de la preuve et ne devaient pas y être admis, faute de pertinence.

Me Bruce Johnston a donc passé une bonne partie de la journée de mardi à soumettre à l'expert en histoire de la cigarette et en histoire des sciences Robert Proctor des documents qui ont DÉJÀ été versés au dossier de la preuve au procès, et le procureur a demandé au témoin s'il pensait que ces documents auraient pu et auraient dû être examinés par les historiens Flaherty, Perrins et Lacoursière avant de pondre leurs rapports d'experts sur la connaissance qu'avait le public québécois des méfaits du tabac. D'autres fois, Me Johnston modulait son interrogatoire en demandant, grosso modo, quelle est la conséquence du choix des trois historiens de ne pas avoir consulté les sources en question, à savoir des documents internes des compagnies de tabac que ces dernières se sont engagées à mettre à la disposition des experts, et qui sont même souvent accessibles au grand public en ligne (site Legacy).

Sur le fond, l'exercice a été plutôt accablant pour l'expertise que les compagnies de tabac comptent produire un jour devant le tribunal (et que le lecteur du présent blogue peut consulter sur le site des avocats des recours collectifs)

S'ils avaient fait preuve d'une curiosité moins limitée, les historiens-experts engagés par l'industrie, des hommes dont l'intelligence et la capacité de travail n'ont pas été mises en doute, se seraient rendu compte qu'il y a une différence entre « être au courant des méfaits du tabac » (awareness) et croire que ces méfaits peuvent vous atteindre (beliefs).

Un diagramme, fabriqué par un as du marketing du tabac, et revenu mardi sur les écrans de la salle d'audience, montre bien que l'industrie savait à quel point cette différence dans la tête des gens était (et demeure) capitale.

Diagramme montrant l'évolution des attitudes face au tabac
et que les historiens-experts de l'industrie n'ont pas vu
pièce 127

Les défenseurs des cigarettiers n'ont pas désarmé de toute la journée. Me Johnston et son témoin-expert ont été fusillés d'objections. Par moment, le juge Riordan, qui doit décider à chaque fois de la valeur des objections, se prenait la tête entre les mains. (Ce qui ne l'empêche pas, à d'autres moments, de retrouver son sourire pour taquiner tel ou tel avocat ou saluer les efforts de l'un ou l'autre des acteurs du tribunal.)

les avocats des cigarettiers en vert,
celui des recours collectifs en bleu
Au milieu de ce feu nourri d'objections, qui pouvaient survenir alors que les réponses, et souvent les questions, étaient à peine amorcées, et de décisions rendues par le juge, Robert Proctor a montré une égalité d'humeur remarquable. Au milieu de tout cela, le professeur californien s'est montré zen. Il faut voir la disposition des lieux dans la salle d'audience pour comprendre que le mot « milieu » n'est pas une figure de style. D'autres hommes emplis comme lui de connaissances du sujet, et des convictions qui s'en suivent parfois, auraient peut-être perdu patience. Assis juste derrière l'auteur de ce blogue se trouvaient des hommes savants qui auraient volontiers applaudi si le décorum d'une cour de justice le permettait.

Il y avait beaucoup moins de journalistes que lundi parmi les spectateurs, mais il y avait toujours autant d'avocats, dont certains seront peut-être les prochains à demander à l'historien Robert Proctor de venir témoigner dans des causes dont ils s'occupent aux États-Unis ou au Canada anglais. De temps en temps, et ce fut le cas ces derniers jours, des personnes inscrites au recours collectif des victimes de la dépendance au tabac, ainsi que de futurs témoins-experts, viennent aussi faire une visite discrète au procès.

***

Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois principaux cigarettiers canadiens, il faut commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm

2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.