mercredi 24 octobre 2012

74e jour - 23 octobre - RBH obligée de faire des profits pour préserver des emplois...

Pour savoir comment activer les hyperliens, voyez les instructions à la fin du présent message.

Durant les années où Patrick J. Fennell était le président et chef de la direction de Rothmans, Benson & Hedges, de 1985 à 1990, cette compagnie a vu s'éroder presque continuellement sa part du marché canadien des produits du tabac, mais cette part était en train d'augmenter durant la dernière année du mandat de M. Fennell à la tête de la compagnie.

Pourquoi était-ce si important d'augmenter la part de marché ?  Réponse : parce que la survie de RBH était menacée et que des emplois bien payés dans cette entreprise en dépendaient, a témoigné en substance Patrick J. Fennell, lors de sa comparution d'hier au palais de justice de Montréal au procès des grands cigarettiers canadiens.

Au procureur des recours collectifs Bruce W. Johnston, l'ancien patron de RBH a aussi raconté qu'une des principales raisons de l'opposition de sa compagnie à la Loi réglementant les produits du tabac, adoptée par le Parlement d'Ottawa en 1988, c'était que cette loi visait à interdire en bonne partie la publicité de ces produits. RBH avait besoin de pouvoir faire des annonces de ses cigarettes pour ravir des parts de marché à RJR-Macdonald et à Imperial Tobacco.

Et pour augmenter le volume du marché canadien, a voulu savoir Me Johnston ? Non, jamais, et nous n'avions aucune influence là-dessus, a expliqué M. Fennell. Et celui-ci de rappeler que le volume total du marché déclinait toutes ces années-là. (Des documents internes montrent que c'était notamment sous l'influence de variables démographiques et de la taxation.)

La question qui n'a pas été posée à Patrick J. Fennell : si le volume total du marché stagnait ou déclinait, comment les gains de parts de marché de RBH pouvaient ne pas se traduire en pertes de profits et d'emplois chez les concurrents ?


Interrogatoire difficile

À la décharge de Me Bruce Johnston, qui n'a pas posé cette question, dont la réponse aurait été peu utile à sa preuve, il faut dire que le procureur des recours collectifs a été souvent empêché de poser ses questions par les nombreuses objections de Me Simon Potter, l'avocat de RBH, qui se comporte en avocat du témoin (qui n'est pas un accusé); par l'attitude du juge Riordan; et par le témoin lui-même, encouragé par l'attitude des premiers.

L'attitude du juge ? Rien de tragique, rien qui révèle la teneur de son jugement final ou de ses convictions en gestation sur le fond des complexes questions examinées par le tribunal. On ne trouvera évidemment aucun avocat en train de plaider dans ce procès pour le critiquer. Simplement peut-on observer que le juge semble plus vite agacé de certaines questions posées ou d'une méthode d'interrogatoire pratiquée par Bruce Johnston, que de questions similaires et d'un rythme similaire chez d'autres avocats, en particulier Me Potter. Il faudra revenir dans ce blogue sur la place que prend Me Potter dans le déroulement des auditions devant ce tribunal.

D'entre tous les avocats des recours collectifs, celui qui semble en imposer le plus aux défenseurs des compagnies de tabac, y compris chez les primus inter pares potentiels, est probablement Me Gordon Kugler, le doyen des juristes dans la salle, ceci expliquant peut-être cela. Lors de la première journée d'interrogatoire de Patrick J. Fennell lundi, Me Kugler a pu remettre très tôt Me Potter à sa place, et a subi moins d'interruptions que Me Boivin avec le témoin Cohen la semaine dernière, et Me Johnston avec les témoins Broen la semaine dernière et Fennell mardi. Cela n'est pas dire qu'on sentait moins de tension dans l'air, à plusieurs moments lundi.


RBH et les militants de la santé publique

C'est une chose apparemment facile de ne pas dire toute la vérité et rien que la vérité aux fumeurs et consommateurs potentiels des produits du tabac, c'en est une autre pour la haute direction d'une entreprise de cacher trop de choses aux actionnaires.

Or, si elles sont aujourd'hui trois compagnies privées complètement possédées par des multinationales, il y avait jusqu'aux années 1990 deux compagnies impliquées dans le commerce des cigarettes qui étaient encore « publiques » et cotées en Bourse : Imasco, dont la principale filiale était Imperial Tobacco, et Rothmans Inc, qui n'avait pas d'autre activité que de posséder RBH.

Les assemblées générales d'actionnaires de grandes entreprises sont rarement des moments pénibles dans la vie des dirigeants. Mais si des militants de la santé publique deviennent actionnaires de compagnies de tabac pour avoir le droit de poser des questions, l'exercice cesse d'être une formalité mondaine et peut causer des soucis. Garfield Mahood, le directeur exécutif de l'Association pour les droits des non-fumeurs (ADNF) était actionnaire de Rothmans. D'autres critiques de l'industrie du tabac l'étaient. La soupe risquait d'être chaude.

Le président du conseil d'administration de Rothmans, William McDonough Kelly (lequel était aussi membre du Sénat du Canada), a mis les pieds dans le plat à l'assemblée de 1987 quand il a répondu à David Sweanor,de l'ADNF, qui lui demandait s'il était soucieux du taux de tabagisme chez les jeunes : « j'imagine que je ne le suis pas ».

Le sénateur Kelly (sénateur conservateur mais nommé sous P. E. Trudeau) a aussi répondu à une autre question en disant qu' « il n'a pas été prouvé que le tabagisme cause le cancer du poumon ».

Les échanges sont relatés dans les pièces 847 et 848. (Les procès-verbaux ne rapportent pas le ton employé.)

P. J. Fennell, qui, durant le présent procès, a témoigné durant deux jours de la constance de ses vues concernant les méfaits du tabac, et qui était plus avancé que le sénateur Kelly dans sa reconnaissance des méfaits, n'a ni corrigé le président du conseil en 1987, ni fait que ce soit pour que la compagnie émette un point de vue plus feutré dans les semaines suivantes. Le témoin a rejeté la faute sur ...David Sweanor, dont il a failli commencer le procès devant le juge Riordan.

Paradoxalement, c'est donc en jouant la partie selon les règles mêmes du capitalisme que les hommes de l'ADNF se voyaient qualifier d' « extrêmistes » dans la haute direction de RBH. Le témoignage de Michel Descôteaux en mars porte à croire qu'on pensait autant de mal de Garfield Mahood dans la haute direction des autres compagnies membres du Conseil canadien des fabricants de produits du tabac (CTMC).

Pour l'assemblée des actionnaires de 1989, les dirigeants de Rothmans et de RBH s'étaient mieux préparés. (pièce 849)


Des ennemis partout

Alors que l'industrie, dans ses communiqués de presse, qualifie volontiers les gouvernements de partenaires, en notre époque où les lois sont plus exigeantes et les gouvernements plus hostiles que jadis, RBH voyait les gouvernements comme des « adversaires » en 1985 , avant même les premières lois vraiment défavorables à l'industrie. (pièce 851)

Figuraient aussi parmi les nombreux adversaires de l'industrie, en plus de l'incontournable ADNF, les militants gauchistes des associations étudiantes (Leftist members of student councils on university campuses) (pièce 850), qui étaient pourtant, dans bien des cas, des amateurs de tabac aussi boucanants que Fidel Castro à la même époque, bien que plus volontiers adeptes de la cigarette que du cigare.

* *
Aujourd'hui, Mary Trudelle, qui s'est notamment occupé d'affaires corporatives chez RJR-Macdonald, témoigne devant le juge Riordan. Me Philippe H. Trudel mène l'interrogatoire.


*** 

Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois grands cigarettiers, il faut commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information, puis
2) revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens,

ou utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.