mercredi 31 octobre 2012

78e jour - 30 octobre - 13 minutes enlevantes

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Comme prévu, l'interrogatoire de John Broen, un ancien chef de la direction de Benson & Hedges et ancien vice-président aux affaires corporatives de Rothmans, Benson & Hedges, s'est terminé mardi. Après que le procureur Bruce Johnston des recours collectifs ait eu fini de poser ses questions, le défenseur de RBH Simon Potter a posé les siennes. Aucune autre partie au procès n'a demandé d'interroger le témoin après cela.

Le juge Brian Riordan a alors décidé de poser ses questions à lui au témoin. L'auteur de ce blogue, comme saisi de l'impression que quelque chose allait se passer, a noté l'heure qu'il était : 12:01 h.

Durant les treize minutes qui ont suivi, le magistrat a offert à John Broen une dernière chance d'être simple et vrai. Et par bonheur, le témoin n'a pas complètement raté cette chance. Tout l'auditoire était rivé à son fauteuil.


Interrogatoire par le juge Riordan

C'est à la rapidité dactylographique de la rédactrice-éditrice du blogue Eye on the trials, Cynthia Callard, que vous devez l'échange qui suit (traduction de Pierre Croteau). (La transcription de la sténographe officielle devrait être disponible mercredi midi sur le site des avocats des recours collectifs.)

Brian Riordan:  Dans les compagnies où vous avez travaillé, les cigarettes étaient-elles considérées comme une cause de cancer du poumon ?
John Broen: (long silence) Ce n'est pas réellement une (question) à laquelle je veux répondre oui ou non. Dans les premiers temps, il y avait du scepticisme. J'ai toujours dit que cela PEUT causer (du cancer). Dans les premiers temps dans l'industrie, il y avait un sentiment général en ce sens que ce n'était pas absolument un lien prouvé. Je dis les premiers temps parce que j'ai été interrogé pour aussi loin qu'en 1957 pendant que j'ai été ici.

BR: Selon votre expérience personnelle ?
JB: Dans les premiers temps, oui, je pense que oui. Je ne pense pas que c'était publié comme ça l'est aujourd'hui et comme ça l'a été. En général, c'était admis par différentes compagnies d'une façon différente. « Cause » a pris un sens différent au fil des ans. Il y avait une reconnaissance que c'était risqué et une reconnaissance que cela pouvait causer le cancer.

BR: J'ai entendu un certain nombre de fois : « les cigarettes peuvent être une cause de cancer du poumon chez certaines personnes ».
JB: Peut-être pas exactement dans ces mots.

BR: Quels mots utiliseriez-vous ?
JB: Bien, peut-être que j'usais de sémantique. En général, c'était reconnu dans mes années dans l'industrie.

BR: Quand vous vous retrouviez avec les autres chefs de direction (de compagnie), vous avez sûrement parlé des risques sanitaires du tabagisme ?
JB: Pas vraiment. C'était l'affaire particulière d'une compagnie de prendre sa position particulière là-dessus.

BR: Aviez-vous un comité de direction dans votre compagnie ?
JB: Oui.
BR: Dans ces réunions, auriez-vu discuté des effets sur la santé ?
JB: Pas spécifiquement, parce que nous étions tous du même avis qu'il y avait une proposition risquée (a risky proposition) et que certaines personnes vont avoir des problèmes, des problèmes cardiaques, des problèmes pulmonaires. Le tabagisme a été associé à un méchant lot de maladies en tous genres, du cancer du colon jusqu'à... qu'est-ce qui ne l'a pas été. Nous ne sommes pas passés à travers une discussion sur ce sujet.

BR: Quand vous recrutiez des personnes pour des emplois de haut niveau, n'était-ce pas une question ?
JB: Je ne me souviens pas de ça. Je crois que les personnes se voyaient demander si elles avaient un embarras avec le tabagisme (a problem with smoking).

BR: Est-ce que les candidats vous interrogaient sur la position de la compagnie concernant les effets sanitaires du tabagisme ?
JB: Je ne sais pas. Je n'ai plus interviouwé personne après les environs de 1970. Je ne me souviens plus si c'était demandé. Je présume que oui.

BR: Y a-t-il déjà eu une discussion au sein de votre compagnie sur la façon de répondre à la question que je viens juste de vous demander : est-ce que le tabagisme est une cause de cancer ?
JB: Pas vraiment. Il y a un domaine à propos duquel je me suis fait demander si je recevais des directives. Je ne veux pas utiliser le mot directive dans le sens particulier de « directive de nos principaux actionnaires ». Mais nous regardions de près quelle était la position de nos principaux actionnaires. Comme position générale, nous avions tendance à suivre ce qu'ils disaient quand elles prenaient des positions en tant que compagnies internationales, telles que leurs positions sur le tabagisme et ses effets sanitaires potentiels.

BR: Alors elles ne vous disaient pas quoi dire mais vous vous assuriez que vous ne les contredisiez pas : est-ce c'est juste ?
JB: Elles n'ont jamais dit : « Tu ne tueras point » (comme le Premier commandement). Mais nous nous tenions au courant car nous voulions ne rien faire qui soit contraire ou différent de ce qu'elles faisaient.

BR: Vous avez fait plus que ça. Vous vous êtes tenus au courant et vous vous êtes assurés que vous vous conformiez.
JB: Il y avait une piste que nous avons pris en suivant ce qu'elles disaient. On ne se l'est jamais fait dire.

BR Vous étiez le président d'une des compagnies (canadiennes) durant un bout de temps. Avez-vous jamais donner l'ordre au vice-président aux affaires corporatives ou aux gens travaillant pour vous de dire : « suivons ce que la maison-mère dit » ?
JB: La seule  personne qui était un porte-parole pour la compagnie était quelqu'un qui se rapportait à moi, John McDonald. C'était le porte-parole de la compagnie. Il était l'homme qui notait très soigneusement ce qui était dit sur cette question et ce sujet. Pas juste par nos maisons-mères mais ce qui était dit par nos compagnies-soeurs autour du monde. C'était une partie de son mandat. Il savait ce qui était dit et savait qu'il ne recevait jamais d'ordre lui disant quoi dire mais il savait que ce n'était pas correct de sortir des sentiers battus de ce que les compagnies disaient. Nous étions une très petite compagnie alors nous n'étions pas capables d'aller vérifier cette sorte de chose. En tant que petite compagnie, nous avons pris l'initiative de nous tenir au courant de ce qui était dit.

BR: Vous avez pris l'initiative de nous tenir au courant (de ce qui était dit) et vous vous êtes conformés.
JB: Oui.

BR: M. McDonald savait implicitement que c'était la direction à suivre ou si vous lui avez spécifiquement indiqué qu'il devait suivre leur voie (celle des maisons-mères)
JB: Je ne lui ai jamais dit de ne pas aller au-delà de ce qui a été dit quelque part d'autre. Il savait que c'était à quoi il devait s'en tenir, ce qui était aussi une position que d'autres compagnies prenaient sur ces questions.

BR: Avait-il un rôle dans le CTMC (Conseil canadien des fabricants des produits du tabac) ?
JB: Il participait au comité des affaires publiques. Il assistait à certaines de ces réunions, pas toutes.

Brian Riordan: A-t-il déjà mentionné que c'était discuté (les questions sanitaires) ?
John Broen: Pas que je me souvienne.


Contrebande et Loi sur le tabac

Parmi les quelques sujets sur lesquels le procureur Bruce Johnston a interrogé durant la matinée l'ancien dirigeant de RBH, mentionnons la contrebande dans l'industrie au début des années 1990 et la Loi sur le tabac de 1998.

Me Johnston a jeté sous les yeux du témoin Broen une analyse de 1993 de l'importance et des conséquences des transactions BMV (below market value) (pièce 911).

M. Broen a expliqué que ces transactions incluaient celles effectuées sur des cigarettes confectionnées avec du tabac cultivé dans les jardins de particuliers et, surtout, les transactions sur le marché noir, concernant des cigarettes usinées dont les taxes n'avaient pas été acquittées.

Dès septembre 1993, avant même l'arrivée au pouvoir fédéral d'une nouvelle équipe dirigeante, RBH s'attendait à une baisse de la taxation des produits du tabac. (Le gouvernement Chrétien à Ottawa, simultanément avec le gouvernement Johnson à Québec, ont procédé à une baisse radicale des taxes sur le tabac en février 1994.)

Lors des consultations publiques qui ont précédé l'adoption en juin 1998 de la première Loi sur le tabac (loi Rochon) par l'Assemblée nationale du Québec, l'industrie cigarettière avait préparé un mémoire dont elle a aussi livré oralement les grandes lignes en commission parlementaire. La contrebande du début des années 1990 a servi abondamment d'épouvantail. Devant les députés, la porte-parole du CTMC, Marie-Josée Lapointe, prétendit que cela représentait entre 40 et 60 % du marché.  (Rappel : en 2008 et 2010, les trois grands cigarettiers canadiens ont reconnu qu'ils avaient alimenté le marché noir au début des années 1990.)

Par ailleurs, il n'y a rien d'étonnant à ce que les objections à loi Rochon contenues dans le document versé au dossier de la preuve (pièce 912, version anglaise du projet de mémoire) soient similaires aux objections effectivement soulevées par les porte-parole de l'industrie lors de leur comparution en commission parlementaire en mai 1998.

Ce qui a fasciné l'auteur du présent blogue, c'est de découvrir rétrospectivement que l'industrie s'inquiétait des pouvoirs que certains articles la Loi sur le tabac de 1998 (qui sont restés intacts dans la loi Couillard de 2005) donnent au gouvernement pour réglementer l'emballage et la composition des produits du tabac.

Vous pensez que la Loi sur le tabac pourrait fournir au gouvernement du Québec une base légale pour imposer des emballages uniformes et neutres aux produits du tabac, comme en Australie depuis décembre dernier ? L'industrie a perçu cette menace dès 1998, quand l'attention du public était surtout distraite par le sort des événements que l'industrie du tabac n'allait plus pouvoir commanditer.




***

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mardi 30 octobre 2012

77e jour - 29 octobre - Benson & Hedges, la concurrence et le marketing

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Sur le marché des cigarettes « ultra-légères », Benson & Hedges (B&H) et sa Viscount avaient précédé Imperial Tobacco et sa Medallion, au début des années 1970. Voilà un épisode de l'histoire de l'industrie canadienne du tabac que le témoignage de lundi de Ron W. Bulmer au procès des principaux cigarettiers a permis d'examiner.
extrait de la pièce 891,
printemps 1977

Ronald Willard Bulmer est entré au département du marketing chez B&H en 1972. Il a gravi les échelons et est devenu le vice-président du marketing à la fin de 1976. En mars 1978, il a quitté l'entreprise et travaillé dans d'autres secteurs, en particulier celui des pêcheries. Il est aujourd'hui âgé de 69 ans.

34 ans après son passage dans le monde de la cigarette, M. Bulmer pourrait avoir oublié beaucoup de choses, ce qui lui ferait livrer un témoignage plein de trous de mémoire et ennuyant. Heureusement et malheureusement, ce témoin, comme plusieurs autres à ce procès, a passé plusieurs heures ces derniers mois à préparer son témoignage avec les avocats de son ancien employeur.  Avec les défenseurs de Rothmans, Benson & Hedges (RBH) dans ce cas précis. Cela donne davantage de réponses, des réponses qui font défaut d'être originales ou trop révélatrices.

Ron Bulmer a été interrogé par Me Gabrielle Gagné puis par Me Bruce Johnston, pour le compte des recours collectifs, ainsi que par Me Simon Potter pour le compte de RBH.


Déception

Alors que des documents laissaient croire que M. Bulmer avait assisté à une session de formation donnée à l'hiver 1978 à Washington par le Tobacco Institute, un organisme de l'industrie américaine du tabac, le témoin a juré qu'il n'y avait pas été. À la mi-octobre, le témoin John Broen avait lui aussi déclaré au tribunal de Brian Riordan qu'il n'avait pas assisté à cet événement, alors que son nom apparaissait lui aussi sur une liste d'«étudiants» et une liste de réservations. Ces documents maintenant au dossier étaient déjà sur le site de la bibliothèque de documents du tabac Legacy, où est archivée la documentation interne des compagnies de tabac divulguée à la suite de jugements de tribunaux et d'une entente à l'amiable survenue aux États-Unis en 1998 (Tobacco Master Settlement Agreement).

Pour adoucir la déception des avocats des recours collectifs, Ron Bulmer a déclaré qu'il était certain de son absence et qu'il avait aussi « vérifié avec sa femme », une affirmation qui a fait s'esclaffer les juristes de tous bords. Avant d'imaginer que ce genre de remarque doit quelque chose aux astuces des avocats du cabinet McCarthy Tétrault (RBH), l'internaute peut découvrir que ce n'est pas la première fois que M. Bulmer fait allusion à sa femme dans une comparution publique, ce dont témoigne la transcription d'une commission parlementaire à Ottawa en septembre 1998, où M. Bulmer comparaissait à titre de président du Conseil canadien des pêches. (Indice de recherche : Mme Bulmer lit l'Ottawa Citizen.) Bref, au-delà d'un naturel affable, M. Bulmer a l'expérience des relations publiques.


Viscount et la concurrence

pièce 891, page 1
En interrogatoire, Ron Bulmer a expliqué comment B&H avait positionné la Viscount comme la marque avec la plus basse teneur en goudron sur le marché, afin d'attirer les fumeurs tracassés par leur santé.

Une édition de 1977 (pièce 891) d'une sorte de journal d'entreprise fait remonter la planification stratégique à ce moment où le gouvernement canadien avait publié les premiers tableaux de teneurs en goudron des marques de cigarettes. (C'était en 1969.)

Dans un autre document (d'une vingtaine de pages) destiné notamment aux distributeurs (pièce 896), on ne trouve nulle part de prétention que la basse teneur en goudron fait de la Viscount une cigarette moins nocive pour la santé. On trouve par contre un passage où il est mentionné que les machines à fumer n'exhalent pas la fumée, comme si on voulait suggérer aux vendeurs que les machines ne mesurent rien d'utile ou s'empoisonnent plus vite que les humains.

M. Bulmer a témoigné que la question des méfaits sanitaires du tabac était rarement discutée dans la compagnie à l'époque où il y travaillait. Le témoin a refusé d'admettre que les fumeurs fumaient à cause de l'apport en nicotine que cela leur procurait. Après avoir tenté de son mieux d'éluder la question, l'homme du marketing a fait valoir que c'était plutôt la saveur qui motivait le client. Pour Bulmer, la saveur est associée au goudron.

Lorsque Imperial Tobacco a sorti sa Medallion avec une teneur aussi basse en goudron, Kalhok (pièce 50001) d'Imperial et Bulmer de B&H (pièces 50008 et 898) ont croisé le fer, prenant à témoin Norm McDonald, le directeur exécutif du Conseil canadien des fabricants de produits du tabac (CTMC) à l'époque. La taille des mises en garde sanitaires a fait l'objet d'un différend (pièce 898).

L'usage du mot doux (pièce 897) et l'usage des couleurs (pièce 894) étaient de véritables enjeux pour B&H à l'époque où Bulmer travaillait au marketing.


Intéresser les jeunes fumeurs

L'interrogatoire a permis de verser à la preuve plusieurs documents témoignant de l'intérêt de B&H pour le marché des jeunes fumeurs et des résultats de la compagnie (pièces 899899A899B899C).  M. Bulmer a raconté que les projets de nouvelles marques caressés du temps de son passage n'avaient pas encore débouché sur le marché à son départ de la compagnie en 1978.

* *

L'interrogatoire de Ron Bulmer n'a duré qu'une journée.

La prochaine édition de ce blogue parlera de la comparution aujourd'hui de John Broen, un ancien cadre de Benson & Hedges puis de Rothmans puis de RBH, dont le témoignage n'avait pu être achevé à la mi-octobre. Il manquait une demi-journée.

Mercredi et jeudi, l'ancien conseiller juridique interne en chef de RJR-Macdonald, Guy Paul Massicotte, viendra témoigner au tribunal de Brian Riordan.



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samedi 27 octobre 2012

76e jour - 25 octobre - Le loup pédagogique dans la bergerie ?

La cabro de moussu Seguin, que sé battégué touto la 
niue émé lou loup, e piei lou matin lou loup l'a mangé.
Alphonse Daudet (1840-1897), en langue provençale
 (cette phrase est à la fin de La chèvre de monsieur Seguin)


En 1997, la vice-présidente aux affaires publiques de RJR-Macdonald à l'époque, Mary Trudelle, a travaillé avec des spécialistes de la firme Cunningham Gregory + Company (aujourd'hui CGC Educational Communications) à la définition d'un programme, le programme Wise Decisions, qui visait à aider les enseignants à former leurs élèves de 12 à 14 ans à « prendre de sages décisions ». RJR-Macdonald voulait utiliser ce programme pour professer sa foi que « les mineurs ne doivent pas fumer ».

La pièce 867 au dossier est un mémorandum adressé par Mary Trudelle à Marcia Cunningham et John Gregory, les conseillers pédagogiques; plusieurs des annotations manuscrites sur le document de 44 pages intitulé Wise Decisions : A Guide to Smoking Prevention (pièce 867A) sont de la vice-présidente aux affaires publiques; alors que la pièce 867B est un projet d'avant-propos que devait signer le chef de la direction de RJR-Macdonald de l'époque, Povl van Deurs Jensen.

Le programme Wise Decisions de 1997 est l'un des nombreux sujets qui a été abordé jeudi au procès en recours collectifs des trois principaux cigarettiers canadiens, lors de la deuxième et dernière journée d'interrogatoire de Mary Trudelle.

Cela est assez compréhensible puisque l'industrie aime à dire que fumer est une décision d'adulte, alors que ses dirigeants savent bien et avouent parfois, quand des avocats leur rafraîchissent la mémoire à coup de documents, que c'est une décision prise par des enfants.


Professionnalisme

Mary Trudelle, qui possède une maîtrise en administration des affaires de l'Université York, est entrée en 1982 chez RJR-Macdonald (aujourd'hui JTI-Macdonald) à Toronto, comme gérante adjointe de produit, au département du marketing, où elle s'est alors mise à gravir les échelons.

En 1992, la carrière de Mary Trudelle a bifurqué quand elle est devenu la directrice de la recherche et de la planification stratégique de l'entreprise, avant d'être promu grande responsable des affaires publiques en 1994.

À ce titre, elle participait au comité des opérations du Conseil canadien des fabricants des produits du tabac (CTMC), un organisme qu'elle a conseillé encore pendant quelques mois après son départ de RJR-Macdonald en 1998. Elle n'a plus eu de rapports professionnels avec l'industrie du tabac depuis ce temps et est aujourd'hui âgée de 58 ans et travaille dans la région de Toronto. Mme Trudelle ne parle pas français ou très peu, malgré son nom familier aux oreilles québécoises

Bien qu'elle soit toute menue, Mary Trudelle a témoigné avec assurance, l'assurance d'une personne habituée aux responsabilités et au commandement, et elle a employé un ton posé. En parfaite professionnelle des relations publiques, elle a répondu aux questions des procureurs Philippe Trudel et Bruce Johnston en choisissant ses mots avec précaution mais sans hésitation, en semblant vouloir faire paraître son ancien employeur sous le moins mauvais jour possible sans mentir, un exercice où d'autre qu'elle ont eu l'air fou.


« Je suis renversé. » (juge Riordan)

Dès mercredi, en fin d'après-midi, Me Philippe Trudel des recours collectifs voulait savoir pourquoi Mme Trudelle avait biffé certains passages de l'avant-projet de « Marcia and John », comme ce bout du guide pédagogique de Wise Decisions (pièce 867A) où il était écrit que le tabagisme est « un choix qui a souvent des conséquences toute la vie durant ». L'ancienne responsable des affaires publiques de RJR-Mac avait soutenu que les effets potentiels de l'usage du tabac ne sont pas noir et blanc.

Le procureur Trudel est revenu à la charge jeudi en demandant pourquoi le guide ne faisait aucune allusion au caractère toxicomanogène de la cigarette, et pourquoi le programme insistait pour que l'enseignant n'offre aucune information factuelle sur l'usage du tabac.  Mme Trudelle a expliqué que le but de l'exercice prévu dans le programme était de pousser les élèves à faire le travail eux-mêmes, à chercher l'information, à développer leur pensée critique et leur esprit de décision, à former leur propre opinion.

À un moment donné, le juge Brian Riordan est sorti de sa réserve habituelle.

Juge Brian Riordan: Ce programme fut-il appliqué, à votre connaissance ?
Témoin Mary Trudelle: Non, pas au meilleur de ma connaissance.
Riordan: La première fois que j'ai vu cela, je ne pouvais pas en croire mes yeux. Vous êtes à peu près le dixième témoin à avoir dit que les compagnies ne devaient pas faire la moindre déclaration au sujet des risques du tabagisme à cause d'une crédibilité qui était tellement basse dans le public...
Trudelle : M'hum.
Riordan: Il n'y avait pas de respect du tout accordé à leur opinion (l'opinion des cigarettiers).
Trudelle: C'est vrai.
Riordan: Et maintenant, je vois une compagnie tentant de s'insérer elle-même dans le curriculum scolaire et disant... Je suis renversé. Quel était le plan d'affaires derrière cela ?
Trudelle: Ce programme... Le plan d'affaires, comme vous appelez cela, était d'offrir aux enseignants un autre moyen...
Riordan: Non, non, qu'est-ce que vous...
Trudelle: Pardon.
Riordan: Pourquoi RJR-Macdonald était-elle en voie de s'impliquer dans le curriculum scolaire ?
Trudelle: Nous étions en voie de nous impliquer parce que la recherche que nous avions faite avec le CTMC consistant à recueillir les perspectives des gens au sujet de... leur fournir plus d'information, soit à ces gens, ou in general things, ils revenaient et disaient: « Nous pensons que plus d'information aux enfants serait utile. » Et nous avions déjà de l'information de nos collègues aux États-Unis; ils avaient adopté ou mis en place un programme très similaire à celui-là, et j'avais vu cela et j'étais intrigué. À mesure que nous avons avancé dans notre recherche comme industrie, il est apparu qu'il y avait une opportunité pour nous, en fait, de fournir aux enfants l'information que d'autres disaient que nous devrions fournir. Alors nous cherchions à le faire avec ce programme, en le développant dans un contexte canadien.
Riordan: Était-ce un programme du CTMC ou de RJR-Macdonald ?
Trudelle: Non, ce ne l'était pas, c'était un projet de la compagnie.
Riordan, s'adressant aux procureurs des recours collectifs: Prochain onglet?! (Next tab?!)

(Les documents que les procureurs se proposent de soumettre à l'examen des témoins lors des interrogatoires sont rangés dans de gros cahiers-annneaux où ils sont séparés par des feuilles de carton ou d'acétate à onglets numérotés. Le mot tab, suivi d'un numéro, est donc entendu plusieurs fois par jour au tribunal, où la langue de travail est généralement l'anglais.)


De la suite dans les idées ?

Dans l'après-midi, le procureur Bruce Johnston a cherché à savoir s'il y avait un lien entre le projet pédagogique Wise Decisions et les conseils que RJR-Macdonald avait reçus un an plus tôt de la part de Tim Woolstencroft de la firme Strategic Counsel (pièce 775).

Le rapport de Strategic Counsel, dont les recommandations reposaient notamment sur une fine analyse d'un sondage d'opinions, révélait entre autres que 40 % des personnes interrogées déclaraient que « l'image qu'elles se font des dirigeants de compagnies de tabac s'améliorerait "significativement" si elles voyaient ces compagnies faire quelque chose pour prévenir le tabagisme juvénile ».(page 8 dans le document original, page 9 du fichier Adobe).

Puisque la préoccupation pour l'image en était une de toute l'industrie, les conseils de Strategic Counsel avaient suscité des réflexions et échanges au sein du comité des opérations du CTMC (pièces 462 et 462A).

extrait du rapport d'avril 1996 de Strategic Counsel (pièce 775)



Mary Trudelle a reconnu que le programme Wise Decisions pouvait avoir comme effet d'améliorer l'image de l'industrie du tabac, mais elle a repoussé les suggestions de Me Johnston qu'il y a eu un rapport entre l'intérêt pour les « sages décisions » (wise decisions) en 1997 et l'objectif de promouvoir le « droit de choisir » (right to choose) recommandé en 1996.

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Lundi prochain (29 octobre), c'est un ancien cadre de Benson & Hedges, Ron Bulmer, qui témoignera au procès présidé par le juge Brian Riordan.  John Broen, de RBH, est appelé à recomparaître mardi.


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jeudi 25 octobre 2012

75e jour - 24 octobre - Pourquoi les cigarettiers aiment les étalages

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Entre janvier 2005 et janvier 2010, dans 13 juridictions provinciales ou territoriales sur 13 dans la fédération canadienne, des lois sont entrées en vigueur pour que les produits du tabac soient soustraits à la vue du public dans les dépanneurs, épiceries et autres points de vente, des endroits qu'un public de tous les âges fréquente.

La plus ancienne législation provinciale interdisant les étalages de paquets de tabac avait été votée en Saskatchewan et fut en vigueur de mars 2002 à octobre 2003, puis avait été suspendue dans son application jusqu'à ce que le gouvernement de Regina gagne sa cause contre l'industrie cigarettière devant la Cour suprême du Canada .

Pourquoi les cigarettiers et les dépanneurs aimaient-ils tant les étalages de paquets ?

Mercredi, au procès en responsabilité civile des grands cigarettiers canadiens en Cour supérieure du Québec, au moins un des documents versés au dossier de la preuve permet de comprendre l'intérêt de l'industrie.

Aux  jeunes de 18 à 21 ans à l'été 1994 à Toronto, Vancouver et Montréal, les « murs de rouge » que constituaient les étalages de paquets de cigarettes Du Maurier dans les commerces au détail donnaient l'impression que cette marque était très populaire. (pièce 859) Voilà un des faits qui ressort d'une étude de marketing réalisée par un consultant pour le compte de RJR-Macdonald, afin de savoir quels facteurs contribuaient à la croissance des ventes de cette marque fabriquée par Imperial Tobacco.

Et pour bien montrer que cette popularité était le résultat de cette perception, encore plus que l'inverse, le consultant, Qualitative Science Inc, ajoutait : « Imperial a acheté la position numéro 1 derrière la caisse enregistreuse, rendant Du Maurier prédominant dans l'esprit.»  Et le consultant recommandait notamment de dépenser davantage pour acheter de l'espace aux endroits « où les jeunes de 19 à 24 ans font leurs achats », en précisant « les dépanneurs, les stations d'essence », et il recommandait d'acheter de l'espace « derrière la caisse enregistreuse », de « bâtir des murs de bleu ou d'or ».  Le bleu pâle et le doré était les couleurs de la marque Export A dans ses variétés médium et légère.

extrait (page 34 pdf de la pièce 859)
d'une recherhce de marketing (août 1994)
L'étude, qui fourmillait de renseignements sur les jeunes fumeurs, soutenait aussi l'idée que « lorsque les jeunes consommateurs fument pour la première fois, ils sont portés à choisir une marque qu'ils perçoivent comme ayant une image de jeunesse et qui suit le courant dominant » (youthful, mainstream)

21 autres documents ont été versés mercredi comme pièces au dossier de la preuve, à l'occasion du témoignage de Mary Trudelle, une ancienne cadre de RJR-Macdonald, de 1982 à 1998. L'interrogatoire était mené par l'avocat Philippe Trudel des recours collectifs de victimes du tabac.

Nous y reviendrons.

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mercredi 24 octobre 2012

74e jour - 23 octobre - RBH obligée de faire des profits pour préserver des emplois...

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Durant les années où Patrick J. Fennell était le président et chef de la direction de Rothmans, Benson & Hedges, de 1985 à 1990, cette compagnie a vu s'éroder presque continuellement sa part du marché canadien des produits du tabac, mais cette part était en train d'augmenter durant la dernière année du mandat de M. Fennell à la tête de la compagnie.

Pourquoi était-ce si important d'augmenter la part de marché ?  Réponse : parce que la survie de RBH était menacée et que des emplois bien payés dans cette entreprise en dépendaient, a témoigné en substance Patrick J. Fennell, lors de sa comparution d'hier au palais de justice de Montréal au procès des grands cigarettiers canadiens.

Au procureur des recours collectifs Bruce W. Johnston, l'ancien patron de RBH a aussi raconté qu'une des principales raisons de l'opposition de sa compagnie à la Loi réglementant les produits du tabac, adoptée par le Parlement d'Ottawa en 1988, c'était que cette loi visait à interdire en bonne partie la publicité de ces produits. RBH avait besoin de pouvoir faire des annonces de ses cigarettes pour ravir des parts de marché à RJR-Macdonald et à Imperial Tobacco.

Et pour augmenter le volume du marché canadien, a voulu savoir Me Johnston ? Non, jamais, et nous n'avions aucune influence là-dessus, a expliqué M. Fennell. Et celui-ci de rappeler que le volume total du marché déclinait toutes ces années-là. (Des documents internes montrent que c'était notamment sous l'influence de variables démographiques et de la taxation.)

La question qui n'a pas été posée à Patrick J. Fennell : si le volume total du marché stagnait ou déclinait, comment les gains de parts de marché de RBH pouvaient ne pas se traduire en pertes de profits et d'emplois chez les concurrents ?


Interrogatoire difficile

À la décharge de Me Bruce Johnston, qui n'a pas posé cette question, dont la réponse aurait été peu utile à sa preuve, il faut dire que le procureur des recours collectifs a été souvent empêché de poser ses questions par les nombreuses objections de Me Simon Potter, l'avocat de RBH, qui se comporte en avocat du témoin (qui n'est pas un accusé); par l'attitude du juge Riordan; et par le témoin lui-même, encouragé par l'attitude des premiers.

L'attitude du juge ? Rien de tragique, rien qui révèle la teneur de son jugement final ou de ses convictions en gestation sur le fond des complexes questions examinées par le tribunal. On ne trouvera évidemment aucun avocat en train de plaider dans ce procès pour le critiquer. Simplement peut-on observer que le juge semble plus vite agacé de certaines questions posées ou d'une méthode d'interrogatoire pratiquée par Bruce Johnston, que de questions similaires et d'un rythme similaire chez d'autres avocats, en particulier Me Potter. Il faudra revenir dans ce blogue sur la place que prend Me Potter dans le déroulement des auditions devant ce tribunal.

D'entre tous les avocats des recours collectifs, celui qui semble en imposer le plus aux défenseurs des compagnies de tabac, y compris chez les primus inter pares potentiels, est probablement Me Gordon Kugler, le doyen des juristes dans la salle, ceci expliquant peut-être cela. Lors de la première journée d'interrogatoire de Patrick J. Fennell lundi, Me Kugler a pu remettre très tôt Me Potter à sa place, et a subi moins d'interruptions que Me Boivin avec le témoin Cohen la semaine dernière, et Me Johnston avec les témoins Broen la semaine dernière et Fennell mardi. Cela n'est pas dire qu'on sentait moins de tension dans l'air, à plusieurs moments lundi.


RBH et les militants de la santé publique

C'est une chose apparemment facile de ne pas dire toute la vérité et rien que la vérité aux fumeurs et consommateurs potentiels des produits du tabac, c'en est une autre pour la haute direction d'une entreprise de cacher trop de choses aux actionnaires.

Or, si elles sont aujourd'hui trois compagnies privées complètement possédées par des multinationales, il y avait jusqu'aux années 1990 deux compagnies impliquées dans le commerce des cigarettes qui étaient encore « publiques » et cotées en Bourse : Imasco, dont la principale filiale était Imperial Tobacco, et Rothmans Inc, qui n'avait pas d'autre activité que de posséder RBH.

Les assemblées générales d'actionnaires de grandes entreprises sont rarement des moments pénibles dans la vie des dirigeants. Mais si des militants de la santé publique deviennent actionnaires de compagnies de tabac pour avoir le droit de poser des questions, l'exercice cesse d'être une formalité mondaine et peut causer des soucis. Garfield Mahood, le directeur exécutif de l'Association pour les droits des non-fumeurs (ADNF) était actionnaire de Rothmans. D'autres critiques de l'industrie du tabac l'étaient. La soupe risquait d'être chaude.

Le président du conseil d'administration de Rothmans, William McDonough Kelly (lequel était aussi membre du Sénat du Canada), a mis les pieds dans le plat à l'assemblée de 1987 quand il a répondu à David Sweanor,de l'ADNF, qui lui demandait s'il était soucieux du taux de tabagisme chez les jeunes : « j'imagine que je ne le suis pas ».

Le sénateur Kelly (sénateur conservateur mais nommé sous P. E. Trudeau) a aussi répondu à une autre question en disant qu' « il n'a pas été prouvé que le tabagisme cause le cancer du poumon ».

Les échanges sont relatés dans les pièces 847 et 848. (Les procès-verbaux ne rapportent pas le ton employé.)

P. J. Fennell, qui, durant le présent procès, a témoigné durant deux jours de la constance de ses vues concernant les méfaits du tabac, et qui était plus avancé que le sénateur Kelly dans sa reconnaissance des méfaits, n'a ni corrigé le président du conseil en 1987, ni fait que ce soit pour que la compagnie émette un point de vue plus feutré dans les semaines suivantes. Le témoin a rejeté la faute sur ...David Sweanor, dont il a failli commencer le procès devant le juge Riordan.

Paradoxalement, c'est donc en jouant la partie selon les règles mêmes du capitalisme que les hommes de l'ADNF se voyaient qualifier d' « extrêmistes » dans la haute direction de RBH. Le témoignage de Michel Descôteaux en mars porte à croire qu'on pensait autant de mal de Garfield Mahood dans la haute direction des autres compagnies membres du Conseil canadien des fabricants de produits du tabac (CTMC).

Pour l'assemblée des actionnaires de 1989, les dirigeants de Rothmans et de RBH s'étaient mieux préparés. (pièce 849)


Des ennemis partout

Alors que l'industrie, dans ses communiqués de presse, qualifie volontiers les gouvernements de partenaires, en notre époque où les lois sont plus exigeantes et les gouvernements plus hostiles que jadis, RBH voyait les gouvernements comme des « adversaires » en 1985 , avant même les premières lois vraiment défavorables à l'industrie. (pièce 851)

Figuraient aussi parmi les nombreux adversaires de l'industrie, en plus de l'incontournable ADNF, les militants gauchistes des associations étudiantes (Leftist members of student councils on university campuses) (pièce 850), qui étaient pourtant, dans bien des cas, des amateurs de tabac aussi boucanants que Fidel Castro à la même époque, bien que plus volontiers adeptes de la cigarette que du cigare.

* *
Aujourd'hui, Mary Trudelle, qui s'est notamment occupé d'affaires corporatives chez RJR-Macdonald, témoigne devant le juge Riordan. Me Philippe H. Trudel mène l'interrogatoire.


*** 

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mardi 23 octobre 2012

73e jour - 22 octobre - Un ancien patron de RBH témoigne


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Patrick Fennell est la troisième personne à comparaître dans le procès des trois grands cigarettiers canadiens dont le témoignage a rapport avec l'activité d'une entreprise qui a été depuis les années 1960 et demeure le numéro 2 de la cigarette sur le marché québécois et sur le marché canadien, à savoir Rothmans, Benson & Hedges (RBH).

Un peu comme le témoin Michel Poirier (18 et 19 septembre), Patrick Fennell a fait, avant d'entrer dans le monde du tabac, une carrière (commencée en 1966) dans des entreprises particulièrement connues du public par leurs marques de commerce comme General Foods (Jell-O, Kool Aid, Post, Hellman's, etc) et Pepsico (Pepsi, Frito Lay, Tropicana, Quaker, etc).

M. Fennell a continué après 1977 pour des entreprises dont le nom lui même est un label, tel qu'Harlequin (les romans à l'eau de rose), Simon & Schuster, l'une des plus grosses maisons d'édition au monde, et Price Waterhouse (aujourd'hui Price Waterhouse Coopers), un cabinet international de consultants en administration d'entreprises originalement spécialisé en vérification comptable. En 1980, Patrick Fennell était de retour en Ontario, où il réside et travaille encore, actuellement comme « coach » de dirigeants d'entreprise. En plus de son expérience, le bonhomme possède une maîtrise en administration des affaires de l'Université de Western Ontario et parle le français (Il est né à Montréal dans une famille bilingue.)  (L'interrogatoire a cependant lieu en anglais.)

En juin 1985, M. Fennell est entré chez Rothmans au Canada, pour s'occuper de marketing, et il est devenu le premier président et chef de la direction de RBH, lorsque Rothmans International, qui possédait Rothmans Inc au Canada, et Philip Morris, qui possédait Benson & Hedges au Canada, ont marié leurs intérêts canadiens en 1986.

Avant que Philip Morris International (PMI) n'absorbe complètement Rothmans Inc à l'automne 2008, RBH appartenait à 40 % à PMI et à 60 % à Rothmans Inc, une compagnie cotée à la Bourse de Toronto. Comme l'a vérifié hier le procureur des recours collectifs Gordon Kugler lors de l'interrogatoire du témoin, Rothmans Inc appartenait à son tour à 25 % à PMI, ce qui fait que cette multinationale possédait donc directement et indirectement 55 % de RBH, avant d'en posséder directement 100 % comme maintenant.

Le témoin Fennell a cependant souligné qu'à ses yeux, en pratique, la maison-mère mondiale de l'entreprise canadienne était Rothmans International de Londres tandis que Philip Morris de New York (PMI est officiellement installée à Lausanne en Suisse) était un actionnaire attentif mais moins impliqué.

Après RBH, M. Fennell est passé à partir de septembre 1989 par Rothmans International à Londres, où sa carrière dans le monde du tabac s'est terminé quelque part en 1990.

Me Kugler a sondé le témoin Fennell sur ses croyances relatives aux méfaits sanitaires du tabac. M. Fennell a dit qu'il avait toujours cru que le tabac rend malade. Il a évoqué de lui-même ses tentatives d'enfant et celles de son père de convaincre la mère de cesser de fumer. Il a mis en garde ses enfants contre le tabagisme, au point ceux-ci n'étaient pas très fiers des activités professionnelles de papa.

M. Fennell semble toutefois ne jamais avoir voulu en savoir davantage sur les méfaits sanitaires du tabac.  Quand on lui envoyait des documents à ce sujet (exemple : pièce 837), il les renvoyait à ses subalternes, notamment le chimiste Norm Cohen, sans leur demander de tâche particulière.

Patrick Fennell a dit que s'il avait su ce que RBH reconnaît maintenant sur son site internautique, à savoir que le tabac crée la dépendance et CAUSE des maladies, il aurait prévenu le public dès la deuxième partie des années 1980, quand il dirigeait l'entreprise. L'ancien patron de RBH a clairement raconté que sa mission d'alors était d'accroître la part de marché et les profits de l'entreprise, et de « collecter les taxes ». Seul le gouvernement devait être responsable de mettre en garde le public contre le tabagisme.

Bien que le passage de M. Fennell dans l'industrie canadienne du tabac fut bref, il a participé à un épisode intense et dramatique de l'histoire de la santé publique au Canada, celui de l'adoption par le Parlement d'Ottawa du projet de loi C-51 du ministre conservateur Jake Epp, devenu la Loi réglementant les produits du tabac, loi contestée en justicd par l'industrie sitôt son entrée en vigueur le 1er janvier 1989.

L'interrogatoire d'hier a permis à Me Kugler de faire enfin verser au dossier de la preuve un intéressant document du CTMC (pièce 433E) révélant les préoccupations de l'industrie canadienne à cette époque. On y découvre notamment que les compagnies de tabac comptaient sur des alliés dans le monde syndical pour combattre les interdictions de fumer en milieu de travail.

La comparution de M. Fennell se poursuit aujourd'hui. Me Bruce W. Johnston prend le relais de Me Gordon Kugler pour interroger le témoin.

*** 

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lundi 22 octobre 2012

72e jour - 18 octobre - Ignorance volontaire, savoir secret et curiosités

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Jeudi, lors de la deuxième et dernière journée d'interrogatoire de Norm Cohen, le chimiste en chef de Rothmans dans les années 1970 et 1980, puis de RBH de 1986 à 2000, il a été question de la toxicité de la fumée de tabac, de compensation, du financement de certaines recherches universitaires par l'industrie du tabac et du rôle du gouvernement du Canada. 


L'industrie utilisait des additifs sans permission et sans savoir les effets

Mercredi, le procureur des recours collectifs Pierre Boivin avait fait verser comme pièce au dossier de la preuve un document de 1981 qui montrait une liste d'additifs utilisés par Rothmans dans ces cigarettes vendues au Canada (pièce 800). En interrogatoire, le témoin Norm Cohen avait alors fait des distinctions entre les additifs au papier, au filtre et au tabac reconstitué, sans lequel il n'y a pas selon lui de cigarettes possibles, et les aromates et autres additifs qui changent le goût de la fumée. M. Cohen n'aimait pas la deuxième catégorie, mais sa compagnie oui, du moins à l'époque.

Plusieurs des additifs en question appartenaient à la liste du comité Hunter, utilisée dans l'industrie britannique du tabac, mais jamais approuvée par Santé Canada, comme l'a montré la preuve faite en contre-interrogatoire du chimiste Ray Howie de JTI-Mac par l'avocat du gouvernement fédéral (Me Régnier).

Les autres additifs figuraient sur la liste GRAS ou sur la liste FEMA, utilisées dans l'industrie des aliments aux États-Unis. GRAS est un acronyme pour Generally Regarded As Safe, c-à-d des additifs Généralement Vus comme sans danger. FEMA est un acronyme pour Flavour and Extract Manufacturers Association, autrement l'Association des fabricants d'essences et de saveurs.

Le fait qu'on ne fait pas généralement brûler ses aliments et qu'on ne se les envoie pas dans les poumons semblait avoir échappé au chimiste Howie de Macdonald. Le chimiste Cohen de RBH, lui, a dit  mercredi qu'il était sous l'impression que les listes étaient faites pour des substances destinées à être inhalés plutôt qu'avalés.

« Personne ne nous a dit qu'il y avait d'effet dommageable alors nous avions à prendre » les listes, a dit M. Cohen, lequel avait expliqué que sa compagnie n'avait aucune compétence technique pour mener des analyses de toxicité, et n'en avait par conséquent jamais fait.  L'industrie employait des chimistes, pas des médecins.

Attitude audacieuse d'utiliser des additifs à l'aveuglette ? Sûrement. Mais était-ce au moins fondé sur un fond de vérité quand au « jamais rien dit » ?

Jeudi, le procureur Boivin est arrivé avec, d'une part le procès-verbal d'une réunion en avril 1981 entre les chimistes de l'industrie et trois fonctionnaires du Bureau de contrôle du tabac de Santé et Bien-être social Canada  (pièce 802), et d'autre part une lettre de décembre 1983 du pharmacologue Albert J. Liston du même ministère (pièce 802 B), qui montrent que le ministère était sceptique et réticent.

lettre de 1983 du ministère de la Santé au CTMC
M. Cohen a reconnu que les tests de toxicité que le ministère espérait n'ont jamais été fait.


Une fumée cancérigène et RBH le savait

Mercredi, Me Boivin avait mis sous le nez de M. Cohen un document interne de RBH daté de 1988 (pièce 793) à propos de tests pour mesurer les concentrations de certaines substances dans la fumée des cigarettes de la compagnie, et il avait demandé si les tests étaient importants parce que les substances en question étaient cancérogènes, ou co-cancérogènes, c'est-à-dire cancérogènes lorsque associées à une autre substance de la fumée. Le chimiste en chef de RBH avait nié que cela puisse être la raison.

Jeudi, Me Boivin est revenu à la charge avec un mémorandum de 1987 où le chimiste Cohen décrit à ses collègues certaines de ces mêmes substances contenues dans la fumée comme « extrêmement cancérogènes » ou « initiatrices ou promotrices de tumeurs ». (pièce 801)


RBH savait que les fumeurs « compensaient »

Me Boivin a voulu savoir jeudi s'il y avait un phénomène de compensation de la part des fumeurs quand ils optaient pour des cigarettes avec des teneurs réduites en goudron, et souvent réduites en nicotine par la même occasion.  Le témoin Cohen n'a pas fait de chichi pour le reconnaître. Une étude qu'il a réalisée en 1987 montrait que le fumeur moyen d'une marque de cigarette à basse teneur en goudron inhalait 33% plus de goudron que ce qui était indiqué sur les paquets.(pièce 805). À la même époque, Norm Cohen a aussi constaté que les marques avec les teneurs en nicotine les plus élevées et les marques les plus populaires étaient souvent les mêmes. (pièce 806).


Le genre de recherche que le CTMC aimait : un curieux exemple

À titre de scientifique de sa compagnie, Norm Cohen siégeait au comité du Conseil canadien des fabricants de produits du tabac qui distribuait des fonds à des recherches scientifiques intéressant l'industrie dans son ensemble.  C'est ainsi qu'à partir de 1978, l'industrie canadienne a financé les recherches du psychologue Verner Knott de l'Université d'Ottawa. Ici, psychologie rime avec électro-encéphalogrammes et physiologie du cerveau, et non pas avec le divan de Sigmund Freud et le complexe d'Oedipe. (pièce 815)

La maison-mère de Rothmans en Angleterre, suivait avec intérêt les initiatives de l'industrie canadienne. En mars 1980, elle se réjouissait d'apprendre que les observations de Verner Knott  (pièce 816A) sur des patients psychiatrisés du Royal Hospital d'Ottawa allaient permettre de savoir si de fumer peut les aider à composer avec le stress.
 


Le « Dr Knott » envisageait aussi d'étudier l'activité électrique du cerveau d'enfants afin de savoir ultimement lesquels étaient susceptibles de devenir ou non fumeur un jour. Certaines maisons-mères des cigarettiers canadiens ont craint le scandale si la chose s'ébruitait et le CTMC a refusé dans ce cas de financer le chercheur du département de psychologie de l'Université d'Ottawa.


* *
Aujourd'hui et demain, Patrick Fennell, un ancien président de Rothmans, Benson & Hedges, comparaît devant le tribunal du juge Brian Riordan.

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jeudi 18 octobre 2012

71e jour- 17 octobre - Deuxième témoin provenant de RBH


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Après un chimiste d'Imperial (Andrew Porter) en mai et juin, et deux de RJR-Macdonald (Ray Howie et John Hood) en septembre et octobre, c'est le chimiste de Rothmans puis de Rothmans, Benson & Hedges (RBH), Norman Cohen, qui est comparu hier devant la Cour supérieure du Québec au procès du cartel du tabac.

Sur 25 témoins entendus jusqu'à présent à ce procès, M. Cohen est le septième (en comptant aussi Peter Gage, Peter Hoult et John Meltzer) à être originaire du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord.

Norm Cohen, qui avait brièvement travaillé pour le cigarettier Gallaher à Belfast, a commencé à travailler au Canada pour Rothmans (jadis dénommée Rothmans of Pall Mall) en 1962. Il a pris sa retraite de RBH en 2000.

De nos jours âgé de 75 ans, le témoin ne paraît pas manquer de mémoire. C'est plutôt son extrême prudence qui semble l'avoir souvent empêché hier d'apporter des réponses éclairantes aux questions posées par le procureur des recours collectifs Pierre Boivin.

Depuis qu'il a pris sa retraite puis cessé de fumer, M. Cohen est venu à la conclusion que le « goudron » causait le cancer. Durant tout le temps qu'il a passé dans l'industrie, il a considéré cette « évidence » (sic) comme une controverse.  « Dans ce temps-là, je ne savais pas. » (In this time, I did not know.)

La compagnie, elle, dans une annonce publiée en 1958 dans les journaux canadiens (pièce 536A), déclarait que fumer avec modération est un plaisir simple et sans danger de la vie.

Plusieurs documents ont été enregistrés en preuve lors de la journée d'hier.

Le témoignage de Norm Cohen se poursuit aujourd'hui.


La Cour d'appel continue d'endosser le juge Riordan

Dans une décision rendue lundi, le juge Allan Hilton de la Cour d'appel du Québec a refusé d'autoriser un appel devant cette cour demandé par Imperial Tobacco Canada.  La compagnie souhaitait faire casser un jugement interlocutoire de Brian Riordan rendu en juin dernier qui oblige les trois cigarettiers canadiens à remettre des copies de leurs états financiers annuels de 2007 et des années postérieures aux avocats des recours collectifs, en échange d'un engagement de confidentialité de la part de ses derniers, puisque les trois compagnies sont des compagnies privées (c'est-à-dire non soumises à la réglementation d'une bourse de valeurs mobilières).

La partie demanderesse dans le procès a besoin de cette documentation financière afin de préciser le montant des dommages punitifs qui seront exigés des cigarettiers s'ils sont trouvés coupables. Le juge de la Cour d'appel a tenu à préciser qu'il se prononçait uniquement sur le droit d'une partie impliquée dans un procès d'en appeler d'un jugement interlocutoire sans motif convaincant, et non pas sur le droit des compagnies privées de ne pas divulguer de renseignements sur leur situation patrimoniale. Le juge Hilton va jusqu'à prédire que la Cour d'appel se prononcera un jour sur ces questions. Les avocats d'Imperial prendront peut-être cela comme une maigre consolation.

Dans l'édition de son blogue consacrée à la 71e journée du procès, Cynthia Callard a fait remarquer que le juge Hilton a déjà eu la compagnie RBH comme cliente, quand il était avocat de pratique privée.

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mercredi 17 octobre 2012

70e jour - 16 octobre - Contentez-vous de répondre aux questions, M. Broen. (juge Riordan)


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Peut-être parce que le juge Riordan avait fait preuve d'une grande indulgence avec lui lundi, jusqu'à faire mine, avec un sourire qui n'était pas condescendant, de trouver les questions difficiles en même temps que le témoin, ce témoin, John Broen, s'est cru autorisé hier (mardi) à commenter le style des questions du procureur Johnston, et à se laisser aller plutôt souvent à passer des commentaires sur le déroulement de l'interrogatoire avant de répondre aux questions, qu'il a fallu souvent lui répéter.

Au point où la deuxième journée de témoignage s'est terminée sans que l'interrogatoire le soit tout à fait, mais juste à temps pour que le témoin Broen ne fasse pas l'unanimité contre lui. Dans l'après-midi, il y a eu un moment où Me Bruce Johnston a remercié, sans ironie, Me Simon Potter pour une de ses objections. Le juge a alors dit, avec amusement, « objection maintained » (objection retenue).  Et Me Potter, qu'on n'a jamais vu en panne de réparties et d'amabilités dans pareilles situations, n'a pas donné l'impression de se rendre compte de la situation, paraissant plutôt absorbé dans ses dossiers et ses soucis.

À trois moments durant la journée, le juge Riordan a rappelé le témoin à l'ordre.


Les marques de RBH ne « pognaient » pas chez les jeunes

À l'occasion du témoignage de John Broen, le procureur des recours collectifs Bruce Johnston a fait verser comme pièces au dossier de la preuve quatre études de la prévalence du tabagisme au Canada (pièces 763-0677763-1277, 763-0678 et 763-0179) dont la première date de juin 1977, alors que M. Broen était président de Benson & Hedges (et il le fut de la fin de 1976 jusqu'en mai 1978).

À partir d'un sous-échantillon de « 2516 fumeurs de cigarettes adultes de 15 ans et plus » (« based on 2516 adult (aged 15 years and over) cigarette smokers »), ces rapports permettaient de voir quelle était la popularité relative des différentes marques de cigarettes auprès des personnes mineures. On peut notamment constater que des marques de RJR-Macdonald et d'Imperial Tobacco sont en tête du palmarès tabagique chez les adolescents et les jeunes adultes (15-24 ans), alors que les marques des compagnies Benson & Hedges et Rothmans ramassent les restants.

extrait d'un des rapports
commandés par Benson & Hedges
(pièce 763-0677)
Grosso modo, John Broen a expliqué que B & H utilisait un sondage omnibus auprès d'une population de 15 ans et plus, parce qu'elle n'avait pas les moyens d'acheter un sondage auprès des seules personnes majeures.

Les sondages omnibus ont le dos large. Après avoir entendu des témoins d'Imperial et de RJR-Mac patiner sur le même sujet, une question vient à l'esprit : pourquoi et pour quels clients les firmes commerciales de sondage posaient des questions à des garçons et filles de 15 ans au sujet de leur marques préférées de cigarettes, si aucun cigarettier ne s'intéressait à ce genre de réponses ? Qui cela pouvait intéresser davantage et intéresser tout court ?

Parmi les moyens pris par RBH pour contrer l'impopularité relative de ses marques, il y a eu vers le milieu des années 1980 une mise en marché de paquets de 15 cigarettes (à un prix inférieur aux paquets de 20 ou 25), une pratique où RBH n'était cependant pas la première à s'aventurer. (pièce 765)


La voix des maîtres

Depuis l'automne 2008, c'est Philip Morris International, le numéro 1 mondial de la cigarette, qui contrôle et possède totalement Rothmans, Benson & Hedges (RBH).

En 1992 et en 1993, à une époque où John Broen était le vice-président aux affaires corporatives de RBH, la compagnie était contrôlée et possédée par Rothmans International de Londres et par Philip Morris de New York. Les deux multinationales ne se privaient pas de transmettre leurs directives à la compagnie canadienne, concernant notamment la position à tenir en matière de méfaits sanitaires du tabagisme (pièce 768 Rothmans International et pièce 777 Philip Morris). Il est révélateur de constater qu'aussi tard qu'en 1993, Rothmans International affirmait qu' « il n'a pas été scientifiquement prouvé que le tabagisme cause la maladie ».

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Aujourd'hui (mercredi), le tribunal de Brian Riordan entend le témoignage du Norm Cohen, qui a travaillé comme chimiste chez RBH. L'interrogatoire est mené par Me Pierre Boivin.


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mardi 16 octobre 2012

69e jour - 15 octobre - L'herbe plus verte dans la cour du voisin

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Comment l'autre entreprise parvient-elle à faire croître ses ventes ? Comment parvient-elle à croître plus vite que la nôtre ? Voilà des questions importantes que les dirigeants d'une entreprise se posent parfois en considérant les agissements et les résultats de ses concurrentes. Et voilà des questions auxquelles a tenté de répondre à l'été 1994 Connie Ellis, alors la directrice des études de marché chez Rothmans, Benson & Hedges (RBH).

Dans un document de 49 pages daté d'août 1994 et intitulé A strategic review -- The Canadian tobacco industry (pièce 762 au dossier), Mme Ellis livrait un magistral exposé sur la puissance du marketing, et c'est ce qui va principalement retenir notre attention aujourd'hui.

Ce n'est cependant pas Connie Elllis qui est comparue lundi au procès des trois grands cigarettiers canadiens devant la Cour supérieure du Québec, mais John Broen, un homme aujourd'hui âgé de 73 ans, qui a pris sa retraite en 2000 et qui était entré chez Benson and Hedges en 1967. Dans l'intervalle, M. Broen a passé les 33 ans dans le monde de la cigarette, chez B&H, puis chez Rothmans, puis chez RBH. (Rothmans et Benson and Hedges ont fusionné en 1986.)

C'est avec le témoin Broen que les procureurs des recours collectifs ont commencé hier de bâtir leur preuve de la culpabilité de RBH. En conséquence, deux défenseurs de cette compagnie ont pris les sièges immédiatement à côté de la barre du témoin, à la place des avocats de JTI-Macdonald qui y étaient au début d'octobre.

Cette disposition mettait aussi Me Simon Potter, le défenseur en chef de RBH, plus à même de secourir le témoin, parfois perdu dans les papiers, ou faisant mine de l'être. Me Potter avait par moment l'air d'un coach, à ceci près que ce sont les avocats de l'équipe adverse qui imposent à John Broen d'être sur la patinoire, alors qu'un coach le laisserait peut-être sur le banc.

Dans ce procès où les mémoires sont sélectives et le patinage un sport populaire, rarement l'auteur de ce blogue aura eu comme avec John Broen une impression aussi intense de fausseté, comme lorsque l'on fait jouer des cassettes sur un magnétophone qui ne tourne pas à la bonne vitesse. L'important, c'est cependant ce que le juge, toujours aussi impénétrable, en pensera, et pas votre serviteur.

Le témoin Broen n'a pourtant pas été poussé sur des sujets vraiment épineux lors de l'interrogatoire.

Si ça n'avait été que de quelques habiles interventions de sauvetage de Me Potter déguisées en objections, une technique également pratiquée par les autres défenseurs des cigarettiers depuis les débuts de ce procès, Me Bruce Johnston, le procureur des recours collectifs, avec ses abdominaux en fer forgé (L'avocat est aussi un marathonien.) n'aurait pas été gêné.

Mais il y avait aussi et surtout le bénéfice du doute accordé par le juge Riordan au témoin à chaque fois que ce dernier a fait mine de ne pas comprendre certaines questions, des questions qui n'étaient pourtant pas plus compliquées que les questions habituelles dans ce procès.

À défaut de pousser le témoin Broen à des aveux spectaculaires, l'interrogatoire a tout de même permis de faire verser quelques beaux documents au dossier de la preuve.


Quand Connie Ellis passait un savon à RBH

En avant-propos de sa « revue » du marché datée de 1994, Connie Ellis mentionnait les sources de renseignements factuels sur lesquelles elle appuyait son analyse (pièce 762). S'y trouvaient notamment les documents divulgués par les cigarettiers lors de leur contestation en justice de la Loi réglementant les produits du tabac, au tournant des années 1990. S'y trouvaient aussi des témoignages personnels de concurrents recueillis par Mme Ellis, témoignages dont on ne saurait pas dire ce qu'ils doivent à la vantardise masculine des « bons coups » et aux interprétations de Mme Ellis a posteriori.

N'empêche que le rapport de Connie Ellis aux cadres de RBH est une véritable ode au profond sens du marketing d'Imperial Tobacco (auquel  les familiers de l'actuel procès peuvent associer des noms tels que Kalhok, Wood, Bexon ou Ricard, voire Mercier) et à la vaillance de RJR-Macdonald, qui tentait en vain de s'imposer comme le numéro 2 du marché canadien, sans réussir à déloger RBH de cette position.

La directrice des études de marché chez RBH notait d'entrée de jeu que durant la période de 1967 à 1993, la part de marché d'Imperial Tobacco a nettement crû, alors celles de ses concurrents a décliné d'autant, cela tant durant la période où le volume total du marché canadien augmentait plus vite que la population (jusqu'en 1982), que durant la période suivante où le marché atteignait sa maturité.

Suivant une typologie des sciences de l'administration, Mme Ellis estimait que Imperial était « market driven » (guidée par l'impératif de la croissance de la demande), alors que RJR-Mac était influencée par les coûts de production autant que par la demande, et RBH était « technology driven », c'est-à-dire obnubilée par les caractéristiques intrinsèques de ses produits.

Rappelons que Rothmans, entrée sur le marché canadien en 1957, s'est distingué de la concurrence par l'introduction dans les années soixante des cigarettes longues, les célèbres « King size ».

L'analyse de Connie Ellis était accablante pour les hautes directions successives de Rothmans et de RBH. Mme Ellis, qui avait déjà été la directrice des ressources humaines (Elle l'était en 1987 selon un organigramme (pièce 755).), avance même que l'absence de vue claire par la haute direction de la situation de l'entreprise sur son marché et de ses priorités a découragé le reste du management de rechercher des adaptations qui auraient été profitables. Au point où Rothmans a fini par perdre même son avance primitive avec les marques de cigarettes « King size ».

La directrice du marketing Ellis notait que la publicité d'Imperial parlait aux consommateurs d'eux-mêmes et de leurs aspirations, alors que celle de RBH, tout en utilisant des images de « styles de vie », s'attardaient à parler du produit, sur un marché où les différences sont moins réelles que perçues, et parfois perçues quand elles n'existent pas.

Coïncidence symbolique : le témoin d'hier, John Broen, qui fut un temps le président de Benson & Hedges, dans les années 1970, et membre de la haute direction de RBH dans les années 1986 à 2000, est ...un ingénieur civil de formation.

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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois grands cigarettiers, il faut commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information, puis
2) revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens,

ou utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.

jeudi 11 octobre 2012

68e jour - 10 octobre - Ce procès n'est pas celui des fumeurs

Si les avocats des compagnies de tabac doivent rencontrer des fumeurs ou des anciens fumeurs actuellement inscrits comme membres des recours collectifs, c'est-à-dire comme demandeurs au procès actuel des cigarettiers, ce ne sera pas sans que les avocats des recours collectifs soient présents.

Les défendeurs n'auront pas non plus accès aux dossiers médicaux des personnes réclamant des dédommagements, avant que ne soit commencée l'étape de la qualification de chacune de ces personnes à recevoir un dédommagement en tant que victime des agissements des cigarettiers, étape qui aura lieu quand le jugement final sera rendu, et si bien sûr ce jugement va dans le sens d'une condamnation des compagnies poursuivies.

Voilà en substance ce qu'avait décidé le juge Brian Riordan le 11 juillet 2011.

Trois juges de la Cour d'appel du Québec, dans un jugement unanime rendu le mardi 9 octobre 2012, viennent d'approuver complètement l'opinion du juge Riordan.

Les juges d'appel Allan R. Hilton, François Pelletier et Richard Wagner avaient entendu le 17 janvier dernier la requête d'Imperial Tobacco Canada, pour faire casser le jugement de Brian Riordan, ainsi que le point de vue opposé des avocats des recours collectifs.

Les conclusions de la Cour d'appel ont été rédigées par le juge Richard Wagner, juste avant de partir siéger désormais à la Cour suprême du Canada.


Comparution de Ron Bulmer reportée

D'ordinaire, les comparutions et les plaidoiries devant le juge Brian Riordan ont lieu du lundi au jeudi, durant trois semaines, puis durant la quatrième semaine, le juge et les avocats plongent dans leurs lectures ou règlent leurs autres affaires professionnelles ou personnelles.

Le tribunal devait hier (mercredi) faire un accroc à cette façon de procéder, afin d'entendre, durant une demi-journée, le témoignage de Ron Bulmer.

Finalement, cela n'a pas eu lieu.

La comparution du témoin Bulmer est maintenant prévue pour le 29 octobre.

La matinée a été employée par l'avocate Gabrielle Gagné des recours collectifs pour continuer le versement comme pièces au dossier de la preuve de plusieurs documents dont l'auteur et les destinataires sont décédés, mais dont l'authenticité ne fait pas de doute.

Dans une prochaine édition de ce blogue, nous reviendrons sur leur contenu.



dimanche 7 octobre 2012

67e jour - 4 octobre - Révélations additionnelles et nouvelle source occasionnelle de documents fiables

 
Pour savoir comment activer les hyperliens, voyez les instructions à la fin du présent message.


Au procès en responsabilité civile des trois grands cigarettiers canadiens, les avocats ont fini jeudi d'interroger Peter J. Hoult.

(Rappel : De 1979 à 1983, le témoin a dirigé le marketing, puis le marketing, la recherche et développement, et les ventes, chez RJR-Macdonald, avant d'être le président et chef de la direction de cette compagnie canadienne à partir de l'hiver 1987 et durant toute l'année 1988. Entre ces deux passages au Canada, il faisait carrière dans la maison-mère RJR Tobacco International, depuis le siège social alors en Caroline du Nord.)

Durant quatre jours, M. Hoult n'a pas eu plus de trous de mémoire que la moyenne des témoins à ce procès, mais les documents déposés en preuve, comme c'est souvent le cas, fournissent amplement de matière à réflexion et à plaidoiries futures.

En voici trois exemples.

Suivent une nouvelle relative à la journée de jeudi.


Indications sur les paquets : encore moins fiables que ce qu'on pensait

Depuis bien avant le début du présent procès, les spécialistes de la lutte contre le tabagisme estimaient que les indications de la teneur en goudron et en nicotine jadis imprimées sur les paquets de cigarettes, teneur mesurée à l'aide de machines à fumer, ne donnaient pas une idée toujours juste de la dose de poisons et de drogue que le fumeur inhalait, notamment à cause du phénomène de la compensation.

L'interrogatoire de Peter Hoult de mercredi a permis au tribunal de découvrir que les compagnies canadiennes s'accordaient une marge de « tolérance » avec les nombres fournis par les machines à fumer. Ainsi, vers 1979, une compagnie qui vendait une marque de cigarette pour laquelle la lecture sur les machines donnait 10 milligrammes pouvait inscrire 9 mg.

M. Hoult a confirmé au procureur Philippe Trudel que les cigarettiers inscrivaient le nombre le plus bas de la marge d'erreur autour de la mesure, en particulier pour le goudron, « où les fumeurs voulaient clairement un nombre plus bas ».

Dans un mémorandum de 1980 signée par M. Hoult, ce dernier donne instruction à ses subordonnés de « ... rester à l'intérieur des limites (...) bien qu'à la limite des limites pour certaines marques » (pièce 700).

L'ancien vice-président au marketing de RJR-Mac a affirmé que son entreprise ne dénonçait pas ses compétiteurs qui faisaient la même chose (voir notamment les pièces 697, 698A et 699), par crainte de se faire demander par les concurrents des changements de comportement dans plusieurs domaines. (pièce 697)

En 1982, les spécialistes des quatre compagnies membres du CTMC ont convenu de ...réduire de moitié le niveau de tolérance. (pièce 714B)


Taxation influente.  Contrebande, connais pas.

Comme pour confirmer l'impression que vous avez pu avoir en lisant l'édition de ce blogue consacrée au 66e jour, on peut voir dans un document de 83 pages pondu à la toute fin de 1988 que RJR-Macdonald était loin de voir avec détachement la taxation des cigarettes (pièce 722). Les stratèges de l'entreprise considéraient que les hausses de taxes sur les cigarettes font décliner la consommation.


Plus originale et pas nécessairement notée par tous les avocats et par le juge, est l'absence totale dans ce même document de toute référence à la contrebande, comme s'il s'agissait d'un phénomène inconnu ou négligeable avant que les trois cigarettiers se mêlent de l'organiser dans les années 1989 à 1994.

Cette absence de la contrebande des écrans-radar s'observe aussi dans un plan d'opération de 57 pages daté d'août 1988 qui analyse l'influence de l'environnement réglementaire, de la taxation, et du prix, entre autres variables. (pièce 720)

Comme patron de RJR-Mac, Peter Hoult a aussi collaboré à la préparation des argumentaires de son entreprise et du Conseil canadien des fabricants de produits du tabac (CTMC), lequel se voyait alors chargé de prêcher la modération dans les hausses de taxes (sur le tabac).  Le témoin a reconnu ses annotations manuscrites sur un brouillon (pièce 724) (la pièce 724A a servi à dater la 724).


Des additifs approuvés par le gouvernement : l'industrie intoxiquée par ses propres menteries

Dans l'après-midi de jeudi, les procureurs des collectifs de victimes du tabac en avaient fini avec le témoin.

L'avocat qui représente le Procureur général du Canada (PGC) s'est alors avancé à la barre.

Me Maurice Régnier est un homme mince, au pas sportif, qui porte les cheveux longs. L'avocat, comme c'est son droit, pousse même le non-conformisme jusqu'à être celui qui s'adresse le plus systématiquement en français au juge, même s'il mène en anglais l'interrogatoire d'un témoin qui veut être interrogé dans cette langue.

Mais il ne faut pas se fier à l'air débonnaire que Maurice Régnier arbore habituellement. L'avocat est l'un des vétérans des procès du tabac dans la salle, et en quelques questions, armé de quelques documents, il est très capable de réduire en cendres la crédibilité d'un témoin sous serment qui s'est laissé aller à incriminer son client, le gouvernement du Canada.

(Faut-il rappeler que la Couronne fédérale n'est pas partie au procès parce que les collectifs de victimes du tabac et leurs avocats l'ont voulu, mais parce que les compagnies de tabac en défense ont manoeuvré en ce sens, avec succès, et comptent refiler un jour la facture aux contribuables, si elles perdent leur cause. Le PGC est « défenseur en garantie ».  Jusqu'à présent, ce n'est pas contre les plaignants mais contre des témoins favorables aux compagnies et les défenseurs de ces compagnies que Me Régnier et son équipe ont dû défendre leur client. En août, les représentants du PGC ont contesté en Cour d'appel du Québec la décision interlocutoire du juge Brian Riordan de maintenir la Couronne comme partie défenderesse en garantie dans ce procès. Pour une fois, les cigarettiers ont soutenu une position du juge Riordan devant la Cour d'appel, qui n'a pas encore rendu son jugement. Si la Cour d'appel donne raison au fédéral et le met hors de cause, les compagnies auront au moins la consolation d'être débarrassées de Me Régnier et de son équipe.)

Comme d'autres hommes du tabac avant lui, Peter Hoult a, par exemple en parlant des ajustements aux machines à fumer, laissé entendre que cette fantomatique et commode entité qu'est « the government » était d'accord avec ceci ou cela que faisait l'industrie. Le contre-interrogatoire a montré que M. Hoult, comme d'autres témoins, n'avait lu cela nulle part et n'avait jamais entendu un fonctionnaire dire cela, et que dans le fond, il accordait foi à des ouïs-dire. 

Concernant la sûreté des additifs de la fameuse liste du comité Hunter, utilisée par l'industrie britannique du tabac, ainsi que la sûreté des additifs utilisés par l'industrie cigarettière allemande, les deux listes citées dans plus d'un document du CTMC, Me Régnier a poussé Peter Hoult à révéler la source de sa connaissance ou de ses impressions concernant la réglementation canadienne. En substance, l'ancien patron de RJR-Mac a répondu que « la liste Hunter et la liste allemande étaient acceptées par plusieurs gouvernements » et qu'il n'avait « aucune indication que (le gouvernement canadien) la rejetait » et qu'il y avait une « présomption qu'il était d'accord ».

Et paf. Me Régnier a déposé en preuve le compte-rendu d'une réunion de représentants du ministère fédéral de la Santé avec des délégués de compagnies de tabac durant laquelle l'usage des additifs a été discuté (pièce 50018R au dossier - qui sera disponible quand son authenticité aura été établie, bien qu'elle provienne de la collection d'une compagnie de tabac).

L'éditrice du blogue Eye on the Trials, Cynthia Callard, qui sait mieux que quiconque profiter de ce qui est affiché brièvement sur les écrans de la salle d'audience, et dont la rapidité dactylographique est admirable, a pu lire et transcrire ceci : « Le Dr Bray a exprimé un souci au sujet de la toxicité des additifs et demandé s'il y a de l'information disponible chez l'une des compagnies ou une compagnie parente à propos de la toxicité de ces additifs. Les fabricants ont demandé si la liste Hunter ou une autre liste pourrait être utilisée comme indication canadienne des additifs approuvés ou non.  Le Dr Bray a répondu que ce n'était pas le cas. » (traduction du blogueur)

(Le généticien David F. Bray était à l'emploi de Santé et Bien-être social Canada entre 1965 et 1985.)

Vers la même époque, en septembre 1981, les spécialistes en recherche et développement du « comité technique » du CTMC pensaient, selon le rapporteur du CTMC, Lester W. Pullen, que Santé et Bien-être social Canada n'avait pas le choix de refuser l'utilisation par l'industrie canadienne des listes en question. (pièces 717 et 717A). 





Immunité parlementaire : l'approche Riordan du cas par cas

Durant le dernier demi-siècle, les Parlements du Québec et du Canada n'ont pas lésiné sur la dépense pour que soit couché sur le papier, puis désormais mis en mémoire sur des supports électroniques, le moindre des mots prononcés dans leur enceinte par les parlementaires ou leurs invités.

Personne ne s'attend à ce que la presse assiste à tous les travaux parlementaires pour donner un écho, et encore moins le grand public. N'importe qui a le droit de lire le journal des débats, incluant la transcription des échanges dans des commissions parlementaires. Tout le monde y compris un juge.

Nul besoin d'être un désabusé de la politique pour comprendre qu'une transcription témoigne qu'une chose a été dite, et non pas que celui qui la disait énonçait nécessairement une vérité.

Les procureurs des recours collectifs voulaient faire verser dans le dossier de la preuve au procès, c'est-à-dire offrir comme lecture supplémentaire au juge Riordan, la transcription d'une séance de commission parlementaire tenue au Parlement d'Ottawa le 24 novembre 1987.

Ce jour-là, un groupe de députés avaient invité les patrons des grands cigarettiers canadiens, dont Peter Hoult à l'époque, pour parler de certaines questions utiles à l'adoption, l'amendement ou l'abandon de deux projets de loi touchant notamment la promotion des produits du tabac.

Le juge Brian Riordan a autorisé le dépôt parmi les pièces au dossier de ladite transcription (pièce 729).

Si vous pensez que le tribunal est arrivé comme si de rien n'était à ce geste apparemment banal, détrompez-vous et relisez l'édition de ce blogue relative au 40e jour du procès.

Un débat devant le tribunal a eu lieu le 11 juin et il a été question de l'immunité parlementaire, telle que la conçoivent les avocats des différentes parties. À la suite du débat, le juge Riordan n'a jamais écrit de jugement interlocutoire, mais laissé entendre qu'il jugerait au cas par cas des procès-verbaux parlementaires qu'un avocat pourrait se proposer de faire verser en preuve.

C'est seulement jeudi qu'un premier cas s'est présenté. Ce ne sera cependant pas le dernier et il y aura un certain suspense à chaque fois.

(En pratique, les lecteurs de ce blogue pourront très égoïstement mais très légitimement apprécier une qualité que ne possède pas la presque totalité de la correspondance interne et externe des compagnies canadiennes de tabac examinée jusqu'à présent au procès : les transcriptions des échanges dans les commissions parlementaires à Ottawa ou Québec existent aussi en français.)

Débat parlementaire du 21 janvier 1793 à Québec
sur l'anglais et le français dans les procès-verbaux  ;-)

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La semaine prochaine, les avocats et le juge sont à leurs lectures et à diverses affaires, et le tribunal ne siégera que mercredi matin, pour entendre le témoignage de Ron Bulmer, un ancien cadre de Rothmans, Benson & Hedges.

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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois grands cigarettiers, il faut commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information, puis
2) revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens,

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