lundi 24 septembre 2012

59e jour - jeudi 20 septembre - Je portais mon sarrau et j'étais dans le laboratoire...

Pour voir les pièces au dossier de la preuve, suivez les instructions à la fin du message du jour.


Si on compte l'avocat John Meltzer et l'ancien cadre de l'industrie Peter Gage, qui ont témoigné sans venir au palais de justice de Montréal, Ray Howie est le 21e témoin depuis le 12 mars à être entendu par le juge Brian Riordan dans le procès en responsabilité civile contre les trois grands cigarettiers canadiens.

Raymond Howie, qui est chimiste de formation, a commencé à travailler dans l'industrie du tabac en 1967, au Royaume-Uni, et est entré en 1974  chez le cigarettier RJR-Macdonald, à Montréal, comme gérant des services d'analyse (chimique).

La compagnie était alors en pleine constitution d'un département de recherche et de développement de produits (pièce 581 et 582). Le chef du département, Derek Crawford, venait lui-même d'être engagé. Quand M. Howie est devenu directeur du département en 1989 (pièce 589), 30 techniciens et chercheurs y travaillaient (pièces 584 et 584A). Par la suite, le personnel a été réduit.  En 1995, l'effectif n'était plus que de 18 (pièce 591).

En 1998, Ray Howie a été promu à la maison-mère de RJR-Macdonald, RJR International, dont les bureaux et laboratoires sont à Genève (où se trouve encore Japan Tobacco International (JTI)).  M. Howie y a fait le même travail de directeur de la recherche, mais pour plusieurs des pays où R. J. Reynolds possédait des filiales.  Il a pris sa retraite en 2001, à 54 ans.

(Entre temps, après que R. J. Reynolds ait vendu ses filiales étrangères à Japan Tobacco, en 1999, RJR-Mac est devenue JTI-Mac.)

Le témoin Howie a admis qu'il avait passé vingt jours avec les défenseurs de JTI-Mac à préparer son témoignage au présent procès.

Cette admission autorise les procureurs des recours collectifs à procéder avec lui selon les règles du contre-interrogatoire, plutôt que selon les règles de l'interrogatoire, ce qui leur permet d'être plus suggestifs dans les questions, à la limite de mettre le témoin sur la défensive, par exemple quand ce dernier semble changer sa version des faits, ce qui n'est pas arrivé jeudi avec M. Howie.


Améliorer le produit ne signifie pas le rendre plus sain

Interrogé par Me André Lespérane des recours collectifs, le chimiste a précisé la nature des recherches auxquelles il a participé ou qu'il a dirigées : il s'agissait de recherche pour fabriquer un produit plaisant au consommateur et au meilleur coût possible, aucunement de recherches médicales sur les effets du tabac. Le témoin Howie a déclaré que le quartier-général de R. J. Reynolds, à Winston-Salem en Caroline du Nord, avait 400 à 500 personnes qualifiées pour faire cela. (Mais il n'a pas affirmé qu'elles l'ont vraiment fait.)

Ray Howie a raconté qu'à l'époque de son arrivée au Canada, les procédés de fabrication et les produits de RJR-Mac avaient besoin d'être améliorés parce que l'usine perdait trop de matériau brut inutilement, fabriquait des cigarettes inutilement denses, avec des filtres trop courts, ces derniers imposant aux fumeurs de gaspiller du tabac pour ne pas se brûler les lèvres.

Une autre des missions du département de recherche et de développement de RJR-Mac était de trouver des moyens de réduire la teneur en goudron des cigarettes, ce qui semblait la meilleure façon de réduire l'ingestion par le fumeur de substances cancérogènes. Le chimiste Howie s'est montré fier d'avoir avec son équipe contribué, en une quinzaine d'années, à réduire de moitié la teneur en goudron (telle que mesurée par les machines à fumer) des cigarettes de sa compagnie, laquelle compagnie accusait en cette matière un retard sur la concurrence. Au-delà, les chercheurs savaient qu'il était possible d'éliminer de la fumée plusieurs substances très nocives, mais il fut décidé de ne pas passer aux actes par crainte d'aboutir sur le marché avec une cigarette insipide et invendable. (Voir les pièces 585586587588).

Réduire le goudron en autant que cela n'enlève pas trop de saveur, et accroître l' « impact » en nicotine de chaque cigarette : tel était l'un des objectifs clairs des recherches menées chez RJR-Macdonald.

Ray Howie a raconté que l'un des collègues, John Hood, a fait l'expérience d'ajouter de l'ammoniac au mélange de tabac afin de relever l'alcalinité (synonyme : relever le pH) de la fumée. M. Howie a souligné que la combustion du tabac séché selon la méthode virginienne produit une fumée très acide (pH très bas).  Avec une fumée moins acide, une plus grande part de la nicotine présente se présentait sous la forme de « nicotine libre », laquelle est plus facilement absorbée par l'organisme. (pièce 585) (John Hood est attendu comme témoin en octobre.)

Rendre la fumée des cigarettes plus facile à inhaler était un objectif parallèle.  Avec moins de substances irritantes dans la fumée, les produits seraient plus acceptables pour les fumeurs, qui en redemanderaient.


Mettre en garde contre les méfaits sanitaires : pas de mes affaires


M. Howie a reconnu sans détour que la fumée de tabac contient environ 4000 composés chimiques dont plusieurs toxiques et entre 30 et 50 qui sont cancérogènes.

Me Lespérance : Vous souvenez-vous de ce que la compagnie avait comme position relative aux méfaits sanitaires du tabac ?
Raymond Howie : Je ne me souviens pas.
Me Lespérance : Est-ce que la compagnie reconnaissait que le tabac cause des maladies ?
Ray Howie : Je ne sais pas.
Me Lespérance : Vous étiez le chef du département de la recherche à partir de 1989 ?
Ray Howie: Oui.
Me Lespérance : À ce titre, vous ne pouvez pas renseigner la Cour sur ce qu'était la position de RJR-Macdonald sur la question de savoir si le tabac causait la maladie ?
Ray Howie : Je peux vous donner ma position mais je ne peux pas vous donner celle de la compagnie.
Juge Brian Riordan : Vous ne savez même pas si la compagnie avait une position ?
Ray Howie : C'est exact.

Plusieurs documents examinés lors de l'interrogatoire de jeudi ont montré que le prédécesseur du témoin comme chef de la recherche, feu Derek Crawford, était impliqué dans des discussions sur les méfaits du tabagisme (pièces 212A, 212B593, 594, 595, 596, 597)

Quant Ray Howie, il n'a pas participé à ces discussions et travaux. « Je portais mon sarrau et j'étais dans le laboratoire », a-t-il répété à Me Lespérance.


Quand le chimiste devenait soudain chatouilleux

L'interrogatoire a permis de constater que le chef de la recherche a parfois été appelé à sortir de sa réserve.  En 1998, le gouvernement de la Colombie-Britannique a distribué l'affiche ci-dessous au sujet des toxines contenues dans la fumée.

Affiche d'une campagne du gouvernement de la Colombie-Britannique en 1998

Ray Howie a travaillé sur une réponse de l'industrie à la campagne du gouvernement de Victoria (pièce 599)

Me Lespérance : Pourquoi aviez-vous besoin de fournir une réponse ?
Ray Howie : Elles (les autorités sanitaires provinciales) avaient des panneaux d'affichage dispersés en Colombie-Britannique qui montraient par exemple la (présence de) formaldéhyde, etc. (...) À mes yeux, c'était biaisé. Le niveau réel de benzopyrène ou de formaldéhyde et des autres substances souvent mentionnées comme causes de maladies ...est si minime (dans la fumée de tabac) que cela ne nuit à personne.
Me Lespérance : Avez-vous nié que la fumée de tabac était nocive?
Ray Howie : Ce n'était pas l'enjeu. Elles concentraient ces annonces sur des substances particulières contenues dans la fumée de tabac et nous traitions de leurs commentaires, nous les rectifiions.

Le témoignage de M. Howie avait auparavant montré qu'il comprenait très bien la différence entre la chimie analytique et la toxicologie (qui est une spécialité médicale).  Au point de refuser, comme d'autres témoins avant lui, de conclure à une relation de causalité entre le tabagisme et la maladie, même quand cette causalité est proclamée par les autorités médicales de plusieurs pays.

Le témoignage de Ray Howie se poursuit aujourd'hui et demain (mardi).


** **

Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectif contre les trois grands cigarettiers, il faut commencer par
1) aller sur le site de la partie demanderesse
https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm
2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information,
3) et revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens à volonté.

Il y a aussi un moteur de recherche qui permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.