mardi 18 septembre 2012

56e jour - 17 septembre - Roger Ackman s'intéressait de près aux rapports scientifiques avant qu'ils soient détruits

À la mi-mai, lors de la comparution de Carol Bizzarro, une cadre intermédiaire d'Imperial Tobacco (ITCL) , le procureur des recours collectifs André Lespérance avait examiné avec elle plusieurs listes de numéros de référence de documents dont la bibliothèque de l'entreprise se défaisait au début des années 1990, et qui devaient être expédiés au cabinet juridique Ogilvy Renault de Montréal, où ils allaient être détruits (ce qu'ont confirmé les pièces 58, 59, 59A et 99 au dossier), ou expédiés à la maison-mère d'ITCL, British American Tobacco, en Angleterre.

(Il s'agissait notamment, comme le tribunal le sait depuis le début d'avril, d'une centaine de rapports de recherche scientifique qui montrent l'étendue des connaissances que la compagnie avait sur les méfaits des produits du tabac.)

Sur ces long bordereaux de numéros de référence se trouvaient, à plusieurs endroits, dans une colonne faisant état de l'avancement du tri et de l'expédition, la mention « R. A. has » ou les initiales « R. A. ».

En mai, Me Lespérance avait soumis à Mme Bizzarro l'hypothèse que ces initiales signifie « Roger Ackman », lequel était à ce moment membre du comité de direction d'ITCL et son conseiller juridique interne en chef.  En mai, la témoin Bizzarro avait refusé de confirmer et émis l'hypothèse alternative que cela puisse signifier « Rita Ayoun », une de ses subordonnées qui était alors la bibliothécaire principale de l'entreprise.

Aujourd'hui, Rita Ayoung (Elle a épelé son nom lors de son assermentation.) était à la barre des témoins.

Me Lespérance a recommencé avec cette dernière le fastidieux mais éclairant exercice de recoupement des bordereaux de documents expurgés de la bibliothèque (voir les pièces 319 A B C D E F G H I J K).

Mme Ayoung a dit clairement plusieurs fois que « R. A. » signifiait Roger Ackman. « R. A. has » signifie : Roger Ackman a en sa possession.

Le 2 avril dernier, le procureur des recours collectifs Gordon Kugler avait interrogé Roger Ackman.

Cela avait donné cet échange (traduction de l'auteur du présent blogue, à partir de la retranscription officielle du 2 avril) :

Me Kugler- En tant que membre du comité de direction, vous aviez un accès libre à tous les documents de recherche sélectionnés pour être détruits, n'est-ce pas ?
Roger Ackman- Je ne crois pas, monsieur, que j'aie jamais lu un document de recherche.
Q- Je suis pas mal certain que vous ne l'avez pas fait, mais ma question est : aviez-vous le droit de regarder ces documents, en tant que membre du comité de direction d'Imperial Tobacco?
R- Je devine que j'avais le droit, oui.
Q- Vous étiez au courant qu'ils étaient des documents de recherche sensibles, n'est-ce pas ?
R- C'était des papiers de recherche. Je ne participais pas à l'étude des questions abordées.
Q- Étiez-vous au courant que c'était des documents de recherche qui concernaient les risques sanitaires du tabagisme ?
R- Je ne peux pas être si précis, monsieur.  Je ne sais pas cela.
Q- Alors si un de ces documents sélectionnés pour être détruits était une recherche sur les souris montrant que fumer cause le cancer, êtes-vous en train de dire à la Cour que vous n'auriez pas su que c'était un document de recherche voué à la destruction ?
R- Je...
Interruption. Objection de l'avocate d'Imperial sur le caractère hypothétique de la question.  Objection rejetée par le juge Riordan.
Me Kugler - Allez-y.
Roger Ackman - Je n'ai jamais lu les documents, monsieur.

Résultat de l'interrogatoire d'hier : on sait maintenant que pendant un bout de temps, Ackman a eu en sa possession, par exemple, un rapport sur la présence de coumarin dans le tabac à pipe. Me Suzanne Côté, avocate d'Imperial, a tenu à le souligner à la Cour : coumarin dans le tabac à pipe, pas dans les cigarettes.

N'empêche que ce rapport est passé à la déchiqueteuse après avoir été en possession de M. Ackman.

La bibliothécaire Rita Ayoung

Rita Ayoung, qui est maintenant à la retraite, est diplômée en chimie et en mathématiques.  Elle est entrée chez Imperial en 1973 et y est restée jusqu'en 2000, date où le poste qu'elle occupait a été coupé.  (L'année 2000 en fut une de restructuration dans les filiales de BAT.)  Durant sa carrière chez Imperial, Mme Ayoung a complété sa formation du côté de la bibliotechnique.

Entre décembre 1989 et décembre 1993, alors que Mme Ayoung était la bibliothécaire principale durant tout ce temps, la bibliothèque d'Imperial a été purgée de milliers de copies de divers documents.

Quand Me Lespérance a voulu savoir si de tels événements sont normaux dans la vie d'une bibliothécaire, la témoin Ayoung a professé son ignorance ou eu des réponses évasives.

Mme Ayoung a déclaré que la (désormais célèbre) politique de rétention/destruction de documents appliquée chez ITCL à partir de 1989 a rendu « extatique » (sic) le personnel de la bibliothèque. Cette politique préconisait de détruire la plupart des rapports de recherche de plus de 5 ans d'âge.

Me Bruce Johnston des recours collectifs lui a demandé comment concilier cette vue avec l'objectif de bien servir les usagers réguliers qu'étaient les chercheurs de la compagnie. Il appert que le vice-président à la recherche et au développement, le patron des chercheurs, Patrick Dunn, n'aimait pas devoir demander constamment des télécopies à BAT en Angleterre (pièce 102). Mme Ayoung a même dû s'informer auprès de BAT à Londres sur la façon de satisfaire M. Dunn à Montréal. (pièce 559).

De cela, Mme Ayoung n'a plus de souvenir.

En revanche, la mémoire visuelle de Mme Ayoung est sûre. Au premier coup d’œil sur des documents, elle a  reconnu ses annotations manuscrites et a pu distinguer celles de ses collaboratrices.

Avant l'application de la
politique de rétention/destruction,
75 % des rapports de recherche
empruntés à la bibliothèque étaient
âgés de plus de 5 ans.
À l'encontre de la déclaration de Rita Ayoung à l'effet les « vieux » documents élagués n'avaient pas beaucoup de valeur, Me Lespérance a fait verser au dossier de la preuve deux calculs effectués par Mme Ayoung elle-même qui montrent que les vieux rapports de recherche étaient très souvent empruntés par les chercheurs d'Imperial Tobacco (pièce 556) et constituait le gros de la collection de rapports de la bibliothèque (pièce 556A).

Une demi-journée d'interrogatoire n'a pas suffi à Me Lespérance puis à Me Johnston.  Mme Ayoung a gagné une invitation à revenir devant le tribunal à une date à déterminer.

Aujourd'hui (mardi), la Cour entend le début du témoignage d'un ancien président de JTI-Macdonald, Michel Poirier.

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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectif contre les trois grands cigarettiers, il faut commencer par
1) aller sur le site de la partie demanderesse
https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm
2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information,
3) et revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens à volonté.

Il y a aussi un moteur de recherche qui permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents