vendredi 22 juin 2012

47e jour - 21 juin - Ouvrir mes livres ? Le moins possible. Et pas maintenant.

Dans le procès contre JTI-Macdonald Corporation (JTI-Mac), Rothmans, Benson & Hedges Incorporée (RBH), ainsi qu'Imperial Tobacco Canada Limitée (ITCL), les avocats des deux recours collectifs cherchent non seulement à obtenir des réparations pour de nombreuses victimes des pratiques de l'industrie du tabac, mais aussi ce qu'on appelle des dommages punitifs.

Mais si l'enjeu est en partie de faire perdre aux trois cigarettiers l'envie de recommencer leur manège avec la santé des Québécois pour se refaire financièrement, encore faudra-t-il savoir un jour quel montant précis d'argent à réclamer à chacune des compagnies intimées leur ferait assez mal pour avoir un effet dissuasif.

Depuis des semaines au procès, il a été occasionnellement et brièvement question des démarches de Me Pierre Boivin et des autres procureurs des recours collectifs pour obtenir de JTI-Mac, RBH et ITCL un accès à leurs états financiers couvrant les cinq dernières années.

Les compagnies ont offert de transmettre certains résultats financiers, au compte-gouttes.

Les demandeurs voudraient aussi consulter les états financiers complets et les budgets des compagnies pour le plus grand nombre d'années possibles, durant la période de 1950 à 1998 visée par les recours collectifs, afin de pouvoir, comme l'ont fait valoir Me Philippe Trudel et Me André Lespérance, comparer les efforts de marketing ou de lobbying des cigarettiers à ceux consentis en recherche et développement (de produits moins nocifs pour la santé).

Une telle analyse aiderait les Trudel, Lespérance, Kugler, Johnston, Gagné, Boivin, Bélanger et Beauchemin à ajouter des éléments à leur preuve d'un comportement irresponsable des cigarettiers.

Que pensent de tout cela les défenseurs attitrés d'ITCL, de RBH et de JTI-Mac ?  Voilà une partie de ce que le juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec a entendu dans son tribunal hier.

Bien que chaque avocat ait plaidé la cause d'un seul cigarettier, puisque chaque entreprise a sa façon particulière de répondre à la demande des recours collectifs, il y avait des recoupements et surtout une efficace complémentarité dans l'argumentation de la partie défenderesse, ce qui montre que les avocats et les cigarettiers sont conscients de l'existence d'intérêts communs dans toute cette histoire.

Des exigences trop étendues

Parlant au nom de la compagnie Imperial, Me Suzanne Côté, a dit que sa cliente était disposée à fournir seulement un chiffre de profit net annuel pour la période d'activités concernée par la cause.

Et pour ce qui est d'aider à la fixation des dédommagements punitifs, ITCL a offert de soumettre son état des résultats des trois exercices annuels précédant la date d'un jugement final à venir.  (Si ce jugement est défavorable, évidemment.)

Me Côté a rappelé que les trois compagnies poursuivies sont des compagnies privées, en droit d'exiger la confidentialité de leurs états financiers, même si elles devaient les mettre temporairement sous les yeux des avocats des recours collectifs.

(Note de l'auteur du blogue:

L'expression « compagnie privée » semble désigner ici des compagnies n'ayant jamais émis d'actions sur un marché boursier, ou alors dont les actions ne sont plus inscrites à aucune Bourse.

ITCL, RBH et JTI-Mac sont à 100 % les filiales respectives de British American Tobacco (BAT), de Philip Morris International (PMI), et de Japan Tobacco International (JTI) (elle-même possédée à 100 % par Japan Tobacco Inc).

Cotées respectivement à la Bourse de Londres, à celle de New York et à celle de Tokyo, BAT, PMI et JT ont l'obligation de divulguer trimestriellement des états des résultats et annuellement des états financiers plus complets, en y mettant plus ou moins de détails.  Dans le jargon de la finance, ce sont des compagnies « publiques », ce que personne ne confond avec une société d'État.

Le degré de consolidation de ces comptes rendus de multinationales est cependant si élevé qu'il serait improbable de trouver là-dedans combien de profit a été réalisé sur le marché québécois ou canadien, ou de savoir combien de cigarettes y ont été vendues.)

En plus de faire valoir que les demandeurs exigeaient beaucoup de sa compagnie, en termes de travail et par comparaison à ce qui a été exigé comme divulgation financière dans d'autres causes au Canada, Me Côté a demandé au juge une ordonnance de confidentialité, ne voulant pas se satisfaire d'un simple engagement de la partie demanderesse.


Une demande de renseignements prématurée

« La demande n'est rien de moins que prématurée, au 47e jour d'un procès qui pourrait durer deux ans », a déclaré Me Jean-François Lehoux.

Le défenseur de RBH a fait valoir que le juge Riordan est encore loin d'être en mesure de fixer la hauteur des dommages punitifs de chaque compagnie alors que le tribunal devra d'abord répondre aux questions formulées par le juge Pierre Jasmin en 2005, quand il a autorisé le procès en recours collectif des trois grands cigarettiers.  (Ces questions concernent tant la responsabilité commune des compagnies que leurs responsabilités particulières.)

Me Lehoux avait commencé par souligner que le juge n'a pas besoin de connaître le patrimoine des compagnies pour déterminer le montant des dommages compensatoires à des victimes, puisque cela n'a rien à y voir.

L'avocat a demandé au juge Riordan de considérer que la satisfaction des exigences de la partie demanderesse est particulièrement prématurée dans le cas de sa cliente, dont aucun responsable actuel ou ancien n'a jusqu'à présent été interrogé.


Risque de surcharger le procès

Me Doug Mitchell, défenseur de JTI-Mac, mais dont l'argumentation valait pour le trio des compagnies intimées, a mis en garde le juge contre le risque, s'il penche dans le sens des demandeurs, de charger le procès de trop d'éléments à prendre en considération.

Me Mitchell a déploré que les interrogatoires et débats en Cour tendent déjà à dériver trop souvent sur des sujets comme la fumée de tabac dans l'environnement, ou la contrebande des cigarettes, malgré des jugements de Brian Riordan qui s'efforcent de limiter l'étendue des sujets abordés.

**
Me Nathalie Drouin, pour le compte du Procureur général du Canada, a demandé que les renseignements financiers qui seront mis à la disposition des avocats des recours collectifs le soient aussi à la sienne.

Dans le cas où les compagnies parviendraient à convaincre le juge que le blâme ou une partie du blâme doit être rejeté sur le gouvernement du Canada, ce dernier devra « payer la note », a dit l'avocate.  Le juge a trouvé toute naturelle la curiosité du Procureur général.

***
Me Drouin n'était pas surtout venue devant la Cour pour parler d'états financiers, mais pour plaider, avec son collègue Jean Leclerc, au sujet de la production de documents et de réponses à Imperial Tobacco, dans le cadre de témoignages d'experts à être prochainement versés en preuve.

Me Drouin et Me Leclerc, face à Me Côté et Me Valerie Dyer, du côté d'Imperial, ont passé plus de la moitié de la journée à plaider et à négocier bon gré mal gré, sous la pression du juge, une manière de procéder pour la production de cette preuve.

Le juge ne paraissait pas du tout disposé à rendre un jugement juste avant le début des vacances.

Qu'il soit dit du bien de l'infini patience de ces juristes. Les travaux du tribunal se sont terminés vers 17h50, sur une entente à l'amiable.

jeudi 21 juin 2012

46e jour - 20 juin - Retour des témoins Woods, Porter et LaRivière.

Parfois, la lecture par les avocats des transcriptions officielles des interrogatoires ou l'occurrence de réponses étonnantes lors de contre-interrogatoires fait en sorte que le tribunal doit faire comparaître à nouveau certains témoins. D'autres fois, c'est que l'interrogatoire principal n'était pas fini mais que l'agenda du procès ou celui du témoin ne permet pas de faire comparaître ce dernier d'une seule traite, sans intercaler un autre témoin.  À l'occasion, toutes ces raisons s'enchevêtrent.

C'est ainsi que ce mercredi 20 juin, trois visages déjà connus sont revenus devant la Cour supérieure du Québec dans le cadre du procès d'Imperial Tobacco Canada limitée, JTI-Macdonald Corporation, et Rothmans, Benson & Hedges Inc.

Un gars des études de marché et les sous-entendus du marketing

Jacques Woods a travaillé au sein de la division du marketing d'Imperial de 1974 à 1984.

En février 1977, dans le cadre d'un test de marché pour une nouvelle marque de cigarette (le projet Trojan), Woods rapportait à ses collègues les résultats d'entrevues avec des consommateurs potentiels du produit au sujet des perceptions de ces derniers concernant les expressions « la plus douce » et « la plus faible » pour qualifier la marque. (pièce 511A et notes complémentaires manuscrites).

Essentiellement, il ressortait des entrevues que l'expression « la plus faible » était davantage que l'expression « la plus douce » associée par les fumeurs à un produit à basse teneur en goudron (pour un niveau donné de nicotine).  La première expression était aussi associée à un produit moins néfaste pour la santé.  Par contre, l'expression « la plus douce » n'avait aucune connotation propre à fortifier l'idée que les produits du tabac sont effectivement néfastes.

M. Woods, comme les autres anciens employés d'Imperial, a répété que la compagnie ne mettait pas en marché ses produits en alléguant du caractère plus ou moins néfaste d'une marque ou d'une autre.

En avril 1978, le chef du marketing chez Imperial et patron de Jacques Woods, Anthony Kalhok, énumérait cependant une série de tendances qui allaient affecter l'avenir du commerce des cigarettes.  Parmi ces tendances, la seule dont le patron du marketing ne trouvait pas utile de contrer les effets était que « les compagnies vendront de plus en plus de produits au sujet desquels des prétentions en matière de santé peuvent être sous-entendues ». pièce 133

Anthony Kalhok écrivait cela après le triomphe commercial de la Player's légère (lancée en 1976).

Interrogé hier par le procureur Bruce Johnston, le témoin Woods a finalement maintenu ses déclarations.  Il y a cependant eu un moment, lors du contre-interrogatoire par Me Craig Lockwood pour le compte d'Imperial, où Jacques Woods a trahi une familiarité si grande avec l'avocat ontarien, que le juge Riordan a souhaité vérifier si le témoin avait préparé son témoignage récent avec la défense.  Le contre-contre-interrogatoire de Bruce Johnston a confirmé que oui.

Le gars du laboratoire et la banalisation extrême

L'interrogatoire du chimiste Andrew Porter a commencé en retard, en partie parce que le précédent avait commencé avec une dizaine de minutes de retard par la faute de M. Woods, et en partie parce que l'interrogatoire de M. Woods par Me Johnston a duré plus longtemps que prévu par le tribunal.

C'est dans cette circonstance, à l'heure où le juge suspend habituellement les travaux judiciaires pour le dîner, que Me Pierre Boivin, pour le compte des recours collectifs, a voulu poser ses questions à M. Porter, un ancien chercheur d'Imperial Tobacco.

Me Boivin est parvenu à contrer, sauf une fois, les objections des avocats des cigarettiers au sujet de la réalité et la pertinence du lien entre ses questions et les réponses d'Andrew Porter en contre-interrogatoire par Me Deborah Glendinning le 31 mai.

Par contre, les réponses du témoin n'ont pas apporté autant de lumière qu'on aurait pu l'espérer, bien qu'elles aient confirmé que M. Porter a passé plusieurs années à parfaire son apprentissage du vrai monde du tabac, avant que les budgets du Projet Day permettent au chimiste de commencer à développer des produits moins nocifs, entreprise de longue haleine qui semble se poursuivre aujourd'hui en Suisse, plutôt qu'au Québec, et sans plus de retombée sur le marché.

Le 31 mai, lors du témoignage d'Andrew Porter, il avait été notamment question de la présence de substances cancérigènes dans la fumée des barbecues et même parfois dans l'eau qu'on boit.

En vue d'une question, Me Boivin a mis en parallèle la banalisation extrême à laquelle s'était livrée le chimiste d'Imperial, avec les fermes conclusions d'un jugement de la Cour suprême du Canada sur le caractère cancérigène des produits du tabac. M. Porter a alors répliqué à Me Boivin que la Cour suprême ne s'était jamais prononcée sur les effets cancérigènes du barbecue, une réponse qui déclenché des éclats de rire de toute la salle d'audiences.

Un instant peu plus tôt, Me Jean-François Lehoux, défenseur de Rothmans, Benson & Hedges, avait demandé au juge où allait cet interrogatoire (où il était alors question de barbecue), et le juge Riordan avait dit « Au lunch !», non sans provoquer des éclats de rire.

C'est dans ce contexte que le chimiste Porter a échappé au moindre reproche du juge et des avocats, alors que des témoins se font parfois morigéner quand ils sortent de leur rôle ou passent des remarques.  L'approche de vacances d'été fort méritées avait mis tous les juristes de bonne humeur.

Des vacances qui seront courtes ou studieuses pour plusieurs d'entre eux.  La pratique du droit, comme ils le savent tous, suppose un amour certain de la lecture et de l'écriture.

États financiers et budgets des compagnies

Ces dernières semaines, il a souvent, mais très brièvement, été question, dans les courts moments sans témoin à la barre, de la demande des avocats des recours collectifs de pouvoir consulter les états financiers et les budgets des compagnies canadiennes.

L'édition du blogue relative à la journée d'aujourd'hui parlera d'un débat à ce sujet.

* * * *

Pour accéder aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectif contre les trois grands cigarettiers, il faut commencer par
1) aller sur le site de la partie demanderesse
https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm
2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information,
3) et revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens à volonté.

Il y a aussi un moteur de recherche qui permet d'entrer un numéro de pièce à conviction ou un mot-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.






mercredi 20 juin 2012

45e jour - 19 juin - Ce qui était pour Imperial une « grande victoire » en octobre 1989

Lors de l'interrogatoire en mars dernier du conseiller juridique en chef et secrétaire corporatif d'Imperial Tobacco Canada limitée, Roger Ackman, les avocats des recours collectifs avaient fait verser en preuve un document rédigé par un avocat externe de la compagnie à l'adresse d'Ackman et relatant les événements en Cour supérieure du Québec le 3 octobre 1989. Cette relation judiciaire avait été réexpédiée le 4 octobre à divers cadres d'ITCL, accompagnée d'un courte introduction rédigée par Ackman. (pièce 68)

À cette époque, la compagnie se trouvait devant le tribunal afin de contester la légalité de la Loi réglementant les produits du tabac, adoptée l'année précédente par le Parlement fédéral, et le juge Jean-Judes Chabot, le 3 octobre 1989, venait d'accepter qu'ITCL ne soit pas obligée de produire les études scientifiques en sa possession et provenant de British American Tobacco (BAT), une « tierce partie » au procès selon l'avocat d'Imperial à l'époque, Simon Potter.

Le rédacteur de la relation judiciaire qualifiait la décision du juge Chabot de « victoire majeure ».

Le témoin de lundi et d'hier au procès des trois cigarettiers canadiens, l'avocat Lyndon Barnes, qui faisait partie de l'équipe juridique mobilisée en 1989 par Imperial, n'a pas souvenance d'avoir écrit la relation judiciaire en question. Me Barnes a fait valoir que ce pourrait être un autre avocat présent au tribunal et moins occupé que lui ce jour-là.

Selon Lyndon Barnes, la « victoire majeure », ce n'est pas que des documents dont on sait aujourd'hui le contenu fort compromettant (voir l'édition de ce blogue concernant le 10e jour), c'est que BAT, la multinationale qui contrôlait (et contrôle plus que jamais) Imperial Tobacco Canada, allait cesser de faire des pressions sur la compagnie canadienne, des pressions que celle-ci était pourtant libre d'ignorer, comme en a notamment témoigné en avril le chef de la direction d'ITCL à l'époque, Jean-Louis Mercier.

Sitôt levée la possible obligation par un tribunal canadien de produire des documents compromettants alors en sa possession, et après que Patrick Dunn, apparemment à son corps défendant, en ait fait le tri, Imperial semble s'être empressée de s'en départir, y compris par la destruction sous supervision du cabinet Ogilvy Renault, si bien qu'à l'alerte suivante, au milieu des années 1990, elle ne les avait plus.

Mais cette heureuse conséquence n'était qu'un effet prévu, et non pas un but de la politique de rétention/destruction de documents appliquée par ITCL, a fait valoir hier Lyndon Barnes au procureur des recours collectifs Bruce Johnston.

La crainte des litiges et le rôle des avocats externes

Au procureur Gordon Kugler lundi, le témoin Barnes avait déclaré qu'il n'a jamais lu les documents dont Imperial allait se départir à partir de 1989, mais que des parajuristes, l'un de son cabinet juridique (Osler, Hoskin & Harcourt) et l'autre du cabinet Ogilvy Renault de Montréal, avait participé à l'époque à l'identification des documents en question au siège social d'Imperial.

Me Kugler s'était étonné de la nécessité de payer des avocats de firmes externes pour un travail qu'allaient exécuter des parajuristes et qui ne semblait pas exiger non plus de formation scientifique.

Hier, au procureur Bruce Johnston, Lyndon Barnes s'est fait mettre sous le nez un dossier de 2010 où son cabinet d'avocats fait état d'une expédition en 1992 (avant juin) de documents à Ogilvy Renault pour « examen et avis juridique » relatifs la politique de rétention de documents.  Me Barnes a alors précisé qu'il n'y avait pas d'avocats impliqués à l'époque dans la sélection des documents à détruire, « à sa connaissance ».  

(En juin 1992, dans un message télécopié à des avocats de BAT et de Brown & Williamson, Me Simon Potter a fourni la confirmation confidentielle de la destruction d'un premier lot de documents)

La comparution de Lyndon Barnes s'est achevée dans la matinée d'hier.

Dans l'après-midi, le tribunal a écouté et regardé le témoignage sous serment de l'avocat britannique John Meltzer, réalisé à Londres en mars 2012.  (transcription de l'interrogatoire versée dans le dossier)

John Meltzer, qui représentait et représente toujours les intérêts de BAT, a affirmé avoir discuté avec Roger Ackman, Lyndon Barnes et Simon Potter de l'impact que pouvait avoir la production devant un tribunal canadien des rapports de recherche scientifique de BAT possédés en 1989 par ITCL.

La version aujourd'hui défendue par Lyndon Barnes et ITCL, c'est que cette dernière compagnie ne s'attendait pas à un litige judiciaire à l'époque où elle a autorisé la destruction des documents, en 1992.

Il faut croire que l'année 1992 semblait l'hirondelle qui faisait le bref printemps d'Imperial, alors que la compagnie n'a pourtant pas cessé, depuis les débuts du Projet Four Seasons en 1985 (voir notre blogue du 44e jour), de subir ou de lancer des actions en justice qui l'exposent à devoir produire des documents.

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mardi 19 juin 2012

44e jour - 18 juin - Tant d'avocats par la faute de Patrick Dunn ?

Entre 1985 et 2007, la compagnie Imperial Tobacco Canada a fait confiance à Lyndon Barnes, partenaire de la firme Osler, Hoskin & Harcourt, notamment comme coordonnateur de la vaste équipe d'avocats chargés de la représenter dans divers litiges judiciaires.

Lyndon Barnes a compris en 1995 ou en 1996 que des documents originalement en possession d'Imperial Tobacco Canada ne l'étaient plus, quand les avocats ontariens de Mirjana Spasic, une victime de cancer du poumon qui poursuivait son client, ont émis des demandes pour obtenir ces documents, et que la compagnie n'a pas pu les produire. Me Barnes a déclaré qu'à l'époque, il s'est fait dire par les responsables de la recherche et du développement chez ITCL que les documents avaient été détruits.

Concernant cette désormais célèbre destruction de documents survenue à Montréal en 1992 (événement connu du public depuis 1998), peut-être pourra-t-on arriver un jour à concilier deux histoires à première vue contradictoire, mais cela devient de plus en plus difficile après le témoignage de Lyndon Barnes entendu hier devant la Cour supérieure du Québec au procès en recours collectifs des trois grands cigarettiers canadiens.

Deux histoires ?

Une première histoire, connue depuis les auditions du début d'avril au palais de justice de Montréal, est celle d'un vice-président à la recherche et au développement d'ITCL, Patrick Dunn, qui ne voulait pas du tout que sa compagnie se départisse des rapports de recherche scientifique contenus dans la bibliothèque du siège social, que ce soit pour les voir expédiés en Angleterre, chez British American Tobacco, ou au cabinet juridique Ogilvy Renault de Montréal, où la déchiqueteuse les attendait.

Durant toute la matinée d'hier (lundi), les réponses du témoin Lyndon Barnes au procureur des recours collectifs Gordon Kugler ont pu donner au tribunal et au public l'impression de comprendre le rôle de grain de sable de Dunn.

Mais pour qui n'aurait entendu le témoignage de Lyndon Barnes que dans l'après-midi, c'était presque à croire que c'est Dunn qui voulait se départir des documents et que c'est cela qui a nécessité l'intervention d'avocats, avec effet de retarder la destruction de ceux qui l'ont finalement été.

La teneur et parfois le ton des questions de Me Kugler indiquaient qu'il avait de la misère à avaler cette histoire tirée par les cheveux.

Le témoin, plutôt flegmatique en matinée, a aussi donné plusieurs signes de sa propre incrédulité, reculant d'un grand pas après ses réponses aux questions embêtantes, regardant souvent vers le plancher plutôt que vers Me Kugler ou le juge Riordan, se frottant le dessous du nez en regardant le procureur (et plus rarement le juge), et se faisant dire par le juge de donner sa réponse dans le microphone, pour qu'elle soit audible.

Le témoignage de Lyndon Barnes a permis de confirmer que le projet Four Seasons, dont plusieurs autres témoins jusqu'ici semblaient avoir oublié le mobile ou l'existence, était effectivement un projet proactif de planification d'éventuelles poursuites contre l'industrie du tabac en rapport avec les dommages sanitaires de ses produits.  L'avocat Barnes a eu des réunions à ce sujet, aux États-Unis et au Canada, dès 1986.

L'interrogatoire se poursuit ce matin, cette fois-ci par Me Bruce Johnston.

Un avis de décès paru le 20 novembre 2007 dans le quotidien The Gazette révèle que Patrick Dunn, chimiste et ancien cadre d'Imperial Tobacco, est mort à Montréal à l'âge de 60 ans d'un cancer du pancréas.

vendredi 15 juin 2012

43e jour - 14 juin - L'industrie n'a pas vu venir la loi Lincoln

La Loi sur la protection des non-fumeurs dans certains lieux publics, adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale du Québec en juin 1986, fut la toute première loi au Canada à avoir interdit de fumer en certains endroits où un non-fumeur est parfois obligé de passer, comme par exemple une salle d'attente d'un cabinet médical, une voiture de métro ou un ascenseur dans un palais de justice.

Celui qui a été le parrain du projet de loi, le ministre de l'Environnement du Québec en 1986, Clifford Lincoln, a déjà précisé, notamment lors d'une interview qu'il accordait à l'été 2008 à l'auteur de ce blogue, qu'il avait fait préparer le projet de loi « dans le plus grand secret », un détail qu'un journaliste peut rapporter dans son article sans en mesurer toute la portée.

Pour qui assistait ces derniers jours au procès des trois grands cigarettiers canadiens en Cour supérieure du Québec, il y a peut-être lieu de louer la précaution qu'avait prise le ministre du gouvernement Bourassa en 1986.

Les grands cigarettiers n'ont pas vu venir le ministre de l'Environnement du Québec alors qu'ils surveillaient pourtant systématiquement et tentaient parfois de prévenir les initiatives des gouvernements fédéral et provinciaux canadiens, des administrations municipales et des entreprises, qu'il s'agisse de la création des tout premiers espaces publics où une interdiction de fumer allait être appliquée, ou qu'il s'agisse de taxation dissuasive, ou de campagnes pour inciter des travailleurs à cesser de fumer.

Avec l'interrogatoire cette semaine de Jacques LaRivière, le spécialiste en relations publiques du Conseil canadien des fabricants de produits du tabac (CTMC) de 1979 à 1994, la collection désormais publique de mémos et de procès-verbaux de l'industrie, commencée en mars lors du témoignage du relationniste Michel Descôteaux d'Imperial Tobacco Canada, s'est enrichie considérablement.

Cela permet notamment de voir que c'est en 1981-1983, quand René Lévesque était premier-ministre, que les responsables des affaires publiques du CTMC, qui regroupe tous les grands cigarettiers, craignaient le plus l'intervention du gouvernement du Québec.  Les hommes du tabac ont fait de discrètes représentations pour la prévenir.

Un méthodique dépouillement des archives des ministères par les historiens permettra peut-être un jour de déterminer si le lobbying de l'industrie a pesé réellement à l'époque.

En attendant, jetons un coup d'oeil.

Du côté du Développement social ...et de l'Environnement, déjà

Dans un mémo daté du 6 février 1981 (pièce 505), adressé à Jacques LaRivière par Michel Descôteaux, ce dernier rapporte qu'il a transmis à des fonctionnaires provinciaux de la documentation sur la tendance du marché vers les cigarettes à basse teneur en goudron, ainsi que sur l'importance de l'industrie du tabac en termes de dépenses publicitaires et d'emplois, cela dans le contexte d'une possible taxe sur le goudron envisagée par le comité interministériel permanent sur le développement social.

Descôteaux s'y réjouit aussi du départ prochain de la ministre d'État au Développement social, Lise Payette, qu'il tient responsable de la progression de politiques antitabac dans le gouvernement Lévesque.

Un mémorandum du 1er juin 1981, (pièce 506) que Jacques LaRivière expédie aux membres du comité des affaires publiques du CTMC, fait état d'une demande de rencontre d'un porte-parole de l'industrie avec le ministre des Affaires sociales Pierre-Marc Johnson.

Dans un  mémo adressé au comité des affaires publiques en juin 1982 (pièce 507), Jacques LaRivière rapporte la rencontre de la veille de deux hauts dirigeants de l'industrie et de lui-même avec le ministre de l'Environnement Marcel Léger. Le ministre y a répété que son projet de loi n'est pas dirigé contre l'industrie, mais visait à protéger les non-fumeurs.  Le chef de la direction d'Imperial, Jean-Louis Mercier, a fait valoir les inquiétudes de l'industrie.  Le mémo montre que la rencontre les a laissé entières.

Les démarches faites auprès du successeur de Léger à partir de septembre 1982, Adrien Ouellette, ont rassuré le CTMC pour un temps, ce dont témoigne le mémorandum adressé au comité des affaires publiques en avril 1983 (pièce 508).

Jean-Louis Mercier et Jacques LaRivière ont dit au ministre que le projet de loi ne parviendrait pas à tranquilliser les militants antitabac, ce qui n'était pas fou, et qu'il ferait du tort à l'économie québécoise, un argument spécieux mais habile quand le marché du travail et les finances publiques souffraient de la pire récession de l'économie canadienne depuis les années 1930.

Il n'est cependant pas interdit de penser que le même petit groupe de fonctionnaires qui ont manqué leur coup en 1983 soit en partie à l'origine du succès et premier pas historique de 1986.  La mémoire et la ruse ne sont pas l'apanage des barons du marketing.

Le procès-verbal de la réunion du comité des affaires publiques du 29 mai 1986 (pièce 479 Q), qui signale qu'il y a eu une rencontre avec le ministre Lincoln après le dépôt de son projet de loi, montre que l'industrie est alors résignée, faute de pouvoir s'opposer publiquement.

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jeudi 14 juin 2012

42e jour - 13 juin - Comment faire appliquer une autoréglementation de deux pages et demie sans l'avoir lue

Pour rassurer les pouvoirs publics et éviter qu'ils légifèrent sérieusement, les trois grands cigarettiers au Canada se sont prétendument imposés par eux-mêmes, au début des années 1970,  un code d'honneur, un règlement de l'industrie, concernant la promotion et la publicité.

Dans l'actuel procès d'Imperial Tobacco Canada, JTI-Macdonald et Rothmans, Benson and Hedges, une très grande majorité des treize témoins qui ont comparu jusqu'à présent a mentionné ce fameux « voluntary code » ou « code volontaire » censé empêcher l'industrie de racoler les adolescents et les enfants.

L'auto-réglementation en question était l'une des missions du Conseil canadien de fabricants de produits du tabac (CTMC), pour qui le témoin de ce mercredi, l'expert en relations publiques Jacques LaRivière, a travaillé, d'abord comme consultant puis comme cadre salarié, de 1979 jusqu'en 1994, au moment où il a pris sa retraite.

Jacques LaRivière affirmant en 1985 que la fumée
secondaire ne constitue pas un risque pour la santé
Mais, de son aveu même, l'ancien pilier du comité des affaires publiques du CTMC n'a jamais lu ledit code, lequel a pourtant toujours tenu en peu de pages, même dans sa plus longue version versée au dossier de la preuve au présent procès.  (version de 1972, version de 1975, version de 1984) (le texte français suit le texte anglais)

Mieux encore, une révision dudit code s'est déroulée à l'époque où M. LaRivière travaillait au CTMC, qui n'était pas une grosse organisation, et il y a eu des plaintes ou des inquiétudes publiques à propos de la violation des règles concernant la distance entre une école et les annonces placardées dans les vitres de points de vente, ou concernant la clientèle visée par la publicité de certaines marques, notamment dans les transports en commun.
annonce du cigarettier Macdonald
dans un abribus de Toronto vers 1985

Au fond, le code d'autoréglementation de l'industrie était un tigre de papier, ou moins, comme le témoin LaRivière a fini par le reconnaître en substance lors de son interrogatoire par le procureur des recours collectifs Philippe Trudel.

Me Trudel : « Ai-je raison de dire que le CTMC était sans pouvoir au sujet du code volontaire ?

Jacques LaRivière : Il avait été adopté depuis un bon bout de temps et il concernait les plaintes d'un fabricant contre un autre.

Me Trudel:  Votre organisme recevait les plaintes du public et elles étaient transmises, mais vous n'aviez aucune influence sur leur traitement.

Jacques LaRivière: Ce serait la façon appropriée de le dire dans ces circonstances. »
(traduction libre de l'auteur du blogue)

L'interrogatoire s'est déroulé presque exclusivement en anglais, à la demande du témoin, « étant donné que la plupart des documents examinés sont dans cette langue », a-t-il précisé d'entrée de jeu, en français.

Comme l'avait annoncé avec admiration l'ancien chef de la direction d'Imperial Jean-Louis Mercier lors de son témoignage d'avril, M. LaRivière, un relationniste qui a notamment travaillé au Parlement de Québec au début des années 1960 comme reporter radiophonique pour Radio-Canada et CBC, puis comme conseiller de l'industrie du tabac à Montréal puis à Ottawa, maîtrise les deux langues.

Jacques LaRivière, qui a grandi dans la minorité francophone du Manitoba, s'est même permis de corriger discrètement son interrogateur québécois en parlant du « procès-verbal » au lieu des « minutes » d'une réunion.

La comparution de l'ancien relationniste principal de l'industrie canadienne a d'ailleurs servi à produire comme pièces en preuve devant la Cour supérieure du Québec une série de procès-verbaux de réunions de comités du CTMC.

Si ses 78 années ont fait perdre du souffle à Jacques LaRivière, qui témoignait d'ailleurs assis, elles n'ont aucunement entamé sa voix d'homme de radio, sa capacité d'utiliser un microphone sans casser les oreilles du tribunal ou sans se faire prier de parler plus fort, et sa mémoire des cassettes que l'industrie cigarettière sait jouer lorsqu'on pose des questions sur les méfaits sanitaires de ses produits ou sur les droits de l'industrie.

À force de tourner et de retourner ses questions de cent façons, Me Philippe Trudel est parvenu à faire dire à l'ancien relationniste du CTMC que l'industrie, à l'époque où M. LaRivière y travaillait, niait que l'usage du tabac cause des cancers, parce qu'un tel énoncé était « un absolu ».

Cependant, quand l'avocat des recours collectifs a voulu savoir, en le formulant à la façon injustement pointilleuse de l'industrie, si le témoin admettait que le tabagisme cause le cancer CHEZ CERTAINES PERSONNES, il s'est fait répondre, ô réponse typique des cadres de l'industrie : « je n'ai pas de formation médicale » (« I don't have a medical background.»).

Ce ne fut pas le seul moment où les réponses de Jacques LaRivière ont paru incomplètes aux auditeurs, jusque chez les défenseurs des compagnies de tabac comme Me Simon Potter, qui a annoncé que lui et ses collègues voulaient contre-interroger le témoin.

Ce dernier avait pourtant admis, en fin d'après-midi, qu'il avait eu mardi une brève rencontre avec des avocats des compagnies intimées, ainsi qu'une conversation téléphonique antérieure, en vue de préparer son témoignage.  Mais bon.

La comparution de M. LaRivière se poursuit aujourd'hui.

* * * *
Pour accéder aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectif contre les trois grands cigarettiers, il faut commencer par
1) aller sur le site de la partie demanderesse https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm
2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information,
3) et revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens à volonté.

Il y a aussi un moteur de recherche qui permet d'entrer un numéro de pièce à conviction ou un mot-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.

mercredi 13 juin 2012

41e jour - 12 juin - Les parts de marché: un jeu d'enfants


Jacques Woods, un non-fumeur invétéré qui a passé les dix premières années de sa carrière en marketing chez Imperial Tobacco, a fait sa deuxième apparition à Montréal pour le procès des recours collectifs contre les compagnies de tabac le mardi 12 juin au matin.

Il a fourni des réponses directes et concises aux questions que lui ont été posées par l'avocat du demandeur, Bruce Johnston. La matinée prit la forme d'une succession tranquille mais soutenue de questions et de réponses, dont beaucoup ont été axées sur sa vérification de documents pouvant ainsi être admis comme preuves.

Les traces écrites de son travail de l'époque et ses réponses aux questions sur le marketing actuel dénotent sa compréhension poussée du développement de marques et du marketing.

Au cours de sa première apparition le 28 mai, M. Woods a insisté pour dire que la politique d'Imperial Tobacco n'a jamais été de cibler la jeunesse avec son marketing et que cette politique faisait partie des raisons pour lesquelles il se sentait à l'aise de travailler à cet endroit. (Sa préoccupation à l'égard des enfants se reflète dans son bénévolat actuel dans les Clubs des petits déjeuners du Canada.)

Cette politique et son application méritent d'être nuancées à la lumière des témoignages d'aujourd'hui. Un certain nombre de documents ont montré que M. Woods se trouvait au centre de recherches ciblant des enfants aussi jeunes que 16 ans (pièces  464, 466 et 304 au dossier de la preuve).

La raison pour laquelle il était juste d'enquêter sur les personnes aussi jeunes que 16 ans, comme il a fini par l'admettre, c'est que les enfants prennent des décisions de marque avant d'avoir atteint l'âge de 18 ans et qu'Imperial Tobacco ne voulait pas perdre l'éventuelle part de marché qu'ils représentaient. Nous avions vu dans des études antérieures que le tabagisme débute en bas âge et que la consolidation des choix de marque se produit également tôt. C'est probablement pour cette raison que cela a été étudié.

Si une personne de 16 à 18 ans fumait, vous vouliez qu'elle fume une marque d'Imperial?
Oui.

Projet Jeunesse

Le Projet 16 d'Imperial Tobacco (pièce 142 B au dossier), qui enquêtait sur les habitudes tabagiques des jeunes Canadiens, a acquis une certaine notoriété après avoir été rendu public au cours du procès de 1989 sur la Loi réglementant les produits du tabac. Au cours de ce procès, une étude jumelle sur la jeunesse québécoise, le Projet Jeunesse, a également été exposée. Quelle surprise, M. Woods était au cœur de ce projet de recherche !

En 1977, il en expliquait la raison d'être ainsi à la firme de recherche de consommation Multi-Réso: La majorité des fumeurs auparavant commençait à fumer vers les 20 ans. Cette moyenne d'âge s'est lentement approchée de 18 ans, puis de 16 ans et puis finalement en bas de 16 ans, c'est-à-dire à l'abri de nos systèmes de mesures. Nous avons l'impression qu'aujourd'hui un fumeur de 16 ou 17 ans a déjà toute une histoire. II a peut-être commencé à fumer pendant, ou même, avant la puberté et il a peut-être déjà commencé à changer de marques selon des critères inconnus d'image projetée ou de caractéristiques des produits. (pièce 301B)

Comme Projet 16, il s'agissait d'une condamnation sévère du tabagisme chez les très jeunes fumeurs. Ces élèves du secondaire se considéraient comme des esclaves ou des toxicomanes. M. Woods reste imperturbable face à ces résultats. Cela paraissait être un comportement normal pour divers groupes d'âge, qu'une bonne vieille rengaine. Probablement que l'on obtiendrait les mêmes résultats si nous répétions cette étude aujourd'hui.

À l'heure du dîner, M. Woods avait presque conclu son témoignage. Puisque le procès ne s'est étonnamment pas poursuivi en après-midi, il est prévu que ce témoignage continue pour environ une heure demain. Ensuite, Jacques Larivière, anciennement du Conseil canadien des fabricants des produits du tabac, sera appelé à la barre.


Texte original: Cynthia Callard


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40e jour - 11 juin - Le privilège de l'immunité


Au moment où le procès québécois portant sur les recours collectifs contre les compagnies de tabac reprenait ce lundi matin, Montréal en était toujours à récupérer du week-end du Grand Prix et des manifestations contre celui-ci.

Il n'y a pourtant pas si longtemps, c'était en faveur du Grand Prix que des Montréalais se mobilisaient. En 1997, les chauffeurs de taxi et d'autres avaient paralysé temporairement la ville afin d'exprimer leur opposition à un projet de loi fédéral mettant fin aux commandites des compagnies de tabac. En raison de la menace des organisateurs de la F1 de supprimer le Grand Prix de Montréal si la loi était adoptée, l'interdiction de la promotion par commandite a été repoussée de quelques années.

Cette année, le gouvernement du Québec a choisi le vendredi de ce week-end particulier pour asséner à l'industrie du tabac une poursuite coup de poing de 60 milliards de dollars.

Le privilège parlementaire

L'audience sur le privilège parlementaire qui a eu lieu toute la journée de lundi se tramait depuis plus de six ans. Il avait d'abord été soulevé par les compagnies en 2006, mais le juge qui gérait le dossier avait différé les décisions à ce sujet jusqu'à la tenue du procès. La question centrale était de savoir si les entreprises peuvent voir leurs déclarations devant divers comités parlementaires être utilisées contre elles lors du procès.

L'immunité parlementaire ne peut être levée (sauf par le Parlement)…

M. Pratte, qui représente JTI-Macdonald, avait la responsabilité de présenter les arguments centraux des trois compagnies de tabac. Il en a appelé du rôle constitutionnel du privilège parlementaire et de ses racines dans le Bill of Rights britannique du 17e siècle.

À ses yeux, il ne suffit pas de protéger les compagnies de tabac des répercussions de leurs dires devant le Parlement, mais il est également nécessaire d'éviter que tout travail préliminaire à cette fin (tel que les documents de planification, les comptes-rendus de réunions, etc.) ne soit versé au dossier du procès. Ce privilège devrait être étendu à tous ceux qui ont travaillé au sein des compagnies de tabac et aux témoins qu'elles ont recrutés afin d'appuyer leurs points de vue et autres soumissions au Parlement.

Les avocats des deux autres compagnies de tabac appuyaient cette position. Au nom de Rothmans, Benson and Hedges, Jean-François Lehoux n'a parlé que brièvement. Le seul objectif d'introduire le contenu en cause était de nuire à la position des défendeurs, disait-il, ce qui allait donc directement à l'encontre du principe d'immunité parlementaire.

Au nom d'Imperial Tobacco, Suzanne Côté a souligné que les mesures prises par les compagnies de tabac suite à leur témoignage parlementaire ne pouvaient être considérées comme un faiblissement de leur droit à l'immunité. "Seul le Parlement peut lever ce privilège, ce qui signifie que ce qu'un témoin a dit ou fait ne peut pas être vu comme une renonciation au privilège."

Elle a décrit le large éventail de dossiers qu'elle voulait voir ainsi protégés. Il s'agit notamment des procès-verbaux comme le Hansard, de documents présentés à des comités, de matériel préparatoire à cette fin, d'articles de presse sur les événements parlementaires et de bulletins d'information ou de matériel de communication autre produit par les entreprises en lien avec leur témoignage.

…l'immunité parlementaire, finalement, peut être perdue.

Au nom des plaignants, André Lespérance a présenté au cours de l'après-midi les raisons pour lesquelles la quarantaine de documents en question devraient être admis au procès.

Le défi, a déclaré M. Lespérance, est de déterminer où l'immunité parlementaire commence et où elle s'arrête. Il a suggéré que la jurisprudence n'était pas encore bien établie et que des lacunes devaient être tirées au clair.

Il a souligné l'utilisation de preuves parlementaires pour définir des faits historiques, y compris lorsqu'un jugement de la Cour suprême du Canada en 1995 citait des discours tenus au Parlement par le ministre de la Santé d'alors, Jake Epp.

Il a mentionné que les compagnies de tabac avaient répété à profusion, à l'extérieur du Parlement, ce qu'elles avaient dit à l'intérieur et, ce faisant, avaient perdu l'immunité. En pareilles circonstances, la nécessité pour le Parlement de lever l'immunité ne s'applique pas.

Néanmoins, les demandeurs devaient être en mesure de présenter les dossiers parlementaires pour établir des faits historiques, pour aider à établir les positions des entreprises et pour contribuer à la détermination de dommages-intérêts punitifs.

La position du gouvernement fédéral était plaidée par un nouvel acteur au procès, M. Jean-Robert Noiseux du bureau du procureur général. Le gouvernement fédéral a appuyé la position de M. Lespérance et répété le point de vue qu'une fois qu'une personne décide de répéter à l'extérieur de la Chambre des communes ce qu'ils ont dit à l'intérieur, ils perdent les avantages de ce privilège.

Quelle que soit l'issue de l'audience d'aujourd'hui (y compris les inévitables appels !), elle contribuera à générer des précédents canadiens afin de guider l'application du privilège parlementaire dans les litiges civils.


Texte original: Cynthia Callard

vendredi 8 juin 2012

39e jour - 7 juin - Un vieux de la vieille


Lors de sa deuxième journée de comparution au procès des compagnies canadiennes de tabac à Montréal, William Henry Neville a poursuivi la réminiscence de son travail en tant que lobbyiste principal pour celles-ci.

Les compétences qui avaient maintenu M. Neville au sommet d'un peloton compétitif d'apologistes professionnels se sont manifestées tout au long de la journée. Même les avocats les plus chevronnés (de même que le juge) n'ont pas été à l'abri de ses charmes. (À la fin de la journée, le juge Riordan a mentionné que Joe Clark avait été chanceux d'avoir pu compter sur M. Neville en tant que secrétaire principal!)

Il n'y a probablement pas d'endroit plus antagoniste qu'une salle d'audience où des parties s'affrontent pour l'honneur et de grands sommes d'argent. Debout face au juge, M. Neville s'est retrouvé au centre d'une telle mise en scène et a pourtant eu l'air de trouver le moyen de plaire à tout le monde.

Il est impossible de savoir ce qui se tramait réellement dans la tête des personnes togées mais de l'arrière de la salle, il semblait qu'une part de tension s'était dissipée. Les questions s'enchainaient plus rapidement, les objections et interventions ont été faites sur un ton plus posé et des plaisanteries furent échangées entre les parties.

Était-ce là l'effet magique d'un facilitateur professionnel : que chacun se sente à l'aise?

Le vieux destrier

M. Neville a été interrogé sur son travail au cours de la décennie suivant 1985, une période d'intense activité au Canada quant au développement de politiques publiques de contrôle du tabac et de démarches d'égale envergure de l'industrie afin de les contrer. Dans cette guerre canadienne du tabac, Bill Neville était littéralement le général de compagnies de tabac alliées. Il était de son ressort de peaufiner la stratégie, de gérer ses effectifs et de diriger les opérations.

Aujourd'hui, il avait tous les airs d'un vétéran de longue date qui ne s'était jamais fait à l'idée de sa démobilisation. Ce n'était pas seulement son allure frêle et sa voix rauque qui le faisait paraître en soldat vieillissant : ses perspectives demeurent enracinées au contexte de cette bataille, tel un ancien G.I. refusant toujours d'acheter une voiture japonaise ou de boire une bière allemande. M. Neville n'a pas forcément mal paru pour autant.

Ainsi, lorsqu'interrogé par Bruce Johnston pour confirmer si le CCFPT avait embauché des chercheurs scientifiques chargés de produire des études appuyant des conclusions prédéterminées (sur la dépendance et l'impact de la publicité), M. Neville a reconnu que c'était le cas en faisant allusion aux propres normes de ceux qu'il désigne encore comme ses adversaires. Je suis sûr que M. Mahood, s'il est toujours présent aux audiences, aurait fait de même. Au lieu de réfléchir sur l'usage justifié ou non de « recherches dirigées », comme M. Neville les a appelées, la salle s'est esclaffée.

M. Neville a cité une étude de l'OMS qui s'est penchée sur les habitudes tabagiques chez les jeunes dans quatre pays et qui a démontré que ceux où l'interdiction de la publicité était en vigueur ne fument pas à des taux inférieurs que ceux où elle ne l'est pas. Bien que ces mêmes scientifiques aient également abordé la nécessité d'examiner l'évolution des tendances au fil du temps dans les pays où les interdictions de publicité ont été mises en place, et non d'effectuer uniquement des comparaisons brutes entre pays, M. Neville n'en a touché mot.

Même aujourd'hui, lorsqu'on lui démontre que ces scientifiques avaient réfuté son interprétation de leurs résultats, M. Neville a refusé d'en tenir compte. Il s'est moqué du fait que les scientifiques avaient probablement subi des pressions et que leur réfutation de la position de l'industrie était "une explication à la va-vite, à mon humble avis." Au lieu de prendre le temps d'investiguer le refus de M. Neville de reconnaître la différence entre la mesure de différences dans le temps et de celles purement internationales, le sujet a été abandonné.

Le temps n'a pas adouci ses égards envers les "extrémistes" chez Santé Canada qui ont promu des réformes antitabac, ni diminué sa haute estime pour ceux qui les ont retardées. M. Neville a dit aujourd'hui du Dr. Bert Liston de Santé Canada, qui s'est opposé à la politique de mise en garde des Canadiens de la nature toxicomanogène du tabac et ce, même si un consensus scientifique avait été bien établi: Il a représenté le gouvernement du Canada avec habileté et de caractère raisonnable. Il était prêt à négocier des solutions basées sur le gros bon sens.

Si le monde a évolué jusqu'à nos jours où les lois contre la fumée secondaire, l'interdiction de publicité pour le tabac et les mises en garde pro-santé ne sont plus perçues comme controversées, M. Neville n'a pas bougé d'un poil dans cette direction.

Le procureur a terminé son interrogatoire de M. Neville en milieu d'après-midi. Chacun des avocats de l'industrie a posé quelques questions l'invitant à émettre des commentaires polis mais peu flatteurs à l'égard de fonctionnaires ayant promu la lutte antitabac (l'ancien Médecin-chef Koop a particulièrement été ciblé, comme étant motivé par des opinions religieuses plutôt que par la santé publique). Même si la majeure partie des deux jours de témoignage ont porté sur les relations entre l'industrie et le gouvernement du Canada, les avocats représentant ce dernier n'ont posé aucune question.

Comme à l'habitude, le tribunal ne siège pas le vendredi. Lundi prochain, une audience aura lieu afin de traiter d'un certain nombre de documents pour lesquels l'industrie a invoqué le privilège parlementaire. La convocation prévue des témoins a pris un air confus et presque comique mais je crois que la semaine prochaine, un autre employé du CCFPT, Jacques Larivière, devra témoigner.


Texte original: Cynthia Callard

jeudi 7 juin 2012

38e jour - 6 juin - Le mercenaire

Bill Neville fut l'un des premiers lobbyistes professionnels au Canada et pendant de nombreuses années, il était aussi considéré comme l'un des plus compétents.

Aujourd'hui, il a été le 12e témoin à se présenter à la barre dans le cadre du procès contre les trois grandes compagnies de tabac actives au Canada, qui se déroule à Montréal. Il y a été convoqué afin de discuter de son mandat de consultant et de président du Conseil canadien des fabricants des produits du tabac, de 1985 à 1997.

Dans un costume sombre ne cachant guère ses épaules tombantes mais aussi une cravate d'un vert éclatant ainsi qu'un mouchoir assorti, le Bill Neville à qui la cour a eu droit ce matin ressemblait davantage à un membre de club de bridge pour aînés qu'à un mandarin chevronné. Mais le charme et l'intelligence qui l'ont maintenu au Rolodex de gens importants a très bien été mise en évidence. Ses réponses aux questions du procureur Bruce Johnston étaient directes, apparemment franches et souvent drôles. L'atmosphère dans la salle d'audience au cours de son témoignage était anormalement détendue et attentive.

Le CCFPT et le rôle du fédéral

Bill Neville a offert ses talents stratégiques aux compagnies de tabac à une époque où elles en avaient bien besoin – la période précédant, en 1988, l'adoption des premières lois canadiennes régissant le marketing du tabac, son étiquetage ainsi que les pratiques tabagiques dans les lieux sous réglementation fédérale. Bien que ces événements datent d'il y a belle lurette, ils constituent un enjeu central au cours de la période couverte par ce procès (1998).

Chaque compagnie impliquée dans ce procès a adopté comme position que le gouvernement fédéral devrait assumer une partie ou la totalité des responsabilités en cause du fait de son rôle dans l'établissement des politiques de santé. Des témoins d'Imperial Tobacco ont également déclaré qu'une entente avec Santé Canada leur a interdit de mettre en garde leurs clients quant aux conséquences des cigarettes sur la santé.

La preuve d'aujourd'hui mine cette suggestion de responsabilité du gouvernement fédéral. Elle indique jusqu'où l'industrie était prête à aller pour éviter, retarder et contourner les directives du gouvernement – et jusqu'à quel point elle pouvait influencer ces décisions.

Qu'en est-il de cette entente avec Santé Canada de ne pas permettre de mises en garde ? En réponse à la question directe de Bruce Johnston à savoir s'il existait des restrictions ou des entraves à la capacité de vos clients de communiquer avec les consommateurs ? M. Neville a répondu Pas selon la loi dont j'avais connaissance.

Un sincère représentant

En tant que président du CCFPT, M. Neville était imputable envers les chefs des trois grandes compagnies de tabac actuellement en procès (Imperial Tobacco / BAT, Rothmans, Benson & Hedges / PMI et JTI-Macdonald) et son travail impliquait davantage que le simple lobby de représentants du gouvernement: il a œuvré à influencer les syndicats et d'autres intervenants au sujet de la fumée secondaire, à élaborer des stratégies de recherche et à améliorer l'acceptabilité sociale du tabagisme (pièce 421).

Bien qu'il se décrive lui-même comme un « mercenaire » à la solde de l'industrie, M. Neville a tenu à préciser qu'il n'était pas un vendu et que la vision de l'industrie "concordait avec mes opinions." En réfléchissant aujourd'hui sur cette période, il a encore utilisé le terme « extrémiste » pour décrire ceux qui ont promu l'interdiction de la publicité au sein de Santé et Bien-être Canada. Il n'a pas eu de paroles tendres envers le Médecin-chef américain C. Everett Koop et a utilisé le terme « fanatique » pour décrire Gar Mahood dont l'organisation, l'Association pour les droits des non-fumeurs, a mené la campagne publique pour les lois sur le tabac au cours des années 1980.

(Gar Mahood, qui était dans l'assistance écoutant le témoignage de M. Neville, n'a pu s'empêcher de sourire suite à cette description, sachant que l'histoire ainsi que les 175 pays qui ont adhéré à des règles tout aussi « extrêmes » enchâssées dans la Convention-cadre pour la lutte antitabac sont de son côté).

Même après toutes ces années, M. Neville n'a toujours aucune sympathie pour des mesures banales de lutte contre le tabagisme telles que les mises en garde de santé. J'ai travaillé pour les industries de la bière et des spiritueux. Les gens savent que si vous buvez trop, vous pouvez avoir un accident de voiture. Mais vous n'allez pas trouver de bouteille de gin où il est inscrit "Ne buvez pas trop ou vous aurez un accident". Pourquoi l'industrie du tabac devrait-elle l'accepter ?

Une histoire perdue à jamais ?

Les documents du CCFPT déposés jusqu'à maintenant en cour apportent des précisions et des détails sur les activités de l'industrie visant à modifier les politiques en vigueur ainsi que les attitudes du public, mais il est impossible de savoir si toute la lumière sera un jour faite à ce sujet. Bruce Johnston a demandé à M. Neville si le CCFPT existait encore. Il n'y a personne à mon poste. Il peut exister légalement, mais il n'a pas de bureau, a-t-il dit. Et que s'est-il passé avec ses documents? Je ne le sais pas.

Franchement…

Juste avant le week-end de la fête des Patriotes, une audience eut lieu afin de déterminer si certains documents spécifiques d'Imperial Tobacco doivent demeurer confidentiels. Il était si important pour Imperial Tobacco de garder ces documents secrets qu'elle a demandé que cette audience se tienne à huis clos.

Hier, le juge Riordan a rendu sa décision et a convenu que la plupart des documents ne sont pas admissibles au statut de confidentialité (bien qu'il demeure possible qu'une information contenue dans l'un des documents puisse ne pas être rendue totalement publique). Imperial Tobacco a indiqué qu'elle allait demander de faire appel de cette décision, et a demandé que les documents ne soient pas mis à la disposition du public jusqu'à ce qu'ils sachent si un appel leur sera accordé.

Le témoignage de M. Neville se poursuit demain.

Texte original: Cynthia Callard



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mercredi 6 juin 2012

37e jour - 5 juin - En avant toutes !


Mon rôle, vous le savez, n'est pas de réécrire l'histoire, mon rôle est plutôt de gérer l'entreprise en allant de l'avant.
Marie Polet, Présidente, Imperial Tobacco Canada Limitée, 4 juin 2012

Le témoignage hors du temps de Marie Polet sur les activités d'Imperial Tobacco Canada Limitée et de sa société mère au Royaume-Uni s'est poursuivi aujourd'hui au procès montréalais pour recours collectifs contre les trois compagnies de tabac multinationales opérant au Canada.

La présidente fraîchement arrivée au pays a continué sur sa lancée de réponses évasives entamée la veille. La répétition, dans ce cas-ci, n'aida en rien à la persuasion et le bénéfice du doute qui avait d'abord été accordé à Mme Polet par le juge Riordan semblait relativement ténu en fin de journée.

Afin peut-être de mettre en évidence l'impact considérable des tentatives de BAT pour se distancier de son passé en restructurant ses opérations et en alternant fréquemment ses responsables nationaux, le procureur Bruce Johnston a questionné Mme Polet sur de nombreux sujets, ne s'arrêtant que brièvement sur chacun d'entre eux.

Il y eut de bien nombreuses facettes de l'usage du tabac au Canada pour lesquelles Marie Polet semblait avoir moins d'expertise que la plupart des autres personnes présentes en cour. Elle n'avait aucun souvenir ou connaissance de l'accord de 1962 entre les compagnies de tabac pour ne pas se concurrencer sur la base d'allégations de santé (pièce 154 au dossier de la preuve) ni de l'intérêt momentané de son entreprise pour la recherche sur les ondes cérébrales d'enfants de 11 ans ayant commencé à fumer (pièce 412). Elle ne semblait également pas familière avec la mise en œuvre de la politique de destruction de documents de l'entreprise. En outre, elle possédait très peu de connaissances sur les tendances tabagiques canadiennes. Elle ne connaissait pas les contestations juridiques (en constitutionnalité) lancées précédemment par ITCL (pièce 75A). Elle n'avait pas entendu parler du rapport récent du Médecin-chef américain portant sur la prévention de l'usage du tabac chez les jeunes.

Mme Polet est le nouveau visage de BAT au Canada. Depuis que les présentes poursuites ont été entreprises en 1998 (i.e. la date limite pour la majeure partie de la divulgation des documents), la société a dû s'adapter et évoluer. Il ne s'agit plus d'une société cotée en bourse au Canada, mais d'une filiale en propriété exclusive d'une multinationale. Elle a développé son marketing en fonction de nouvelles restrictions réglementaires (il n'y avait encore ni interdiction de la promotion par commandite, des étalages en points de vente et des termes comme "légère" ou "douce", ni exigence de mises en garde de santé illustrées en 1998).

Tel que déclaré, le travail de Marie Polet est de mener l'entreprise de l'avant. En ce sens, son témoignage peut être plus utile pour réfléchir au comportement présent et futur de l'entreprise que pour redresser ses torts antérieurs.

Plus sécuritaire? Non et oui

En 1997, BAT a colligé ses recherches sur les cigarettes plus sûres (pièce 416) et inclus dans cette liste ses travaux sur "le développement de produits acceptables à faible teneur en goudron". Bruce Johnston a utilisé ce document afin de questionner Mme Polet sur les points de vue actuels en matière de cigarettes plus sûres. Il semblerait que l'entreprise marche plus que jamais sur la mince ligne entre "aucune revendication de sûreté" et "aucune admission de préjudice spécifique."

Lorsqu'on l'interroge sur les cigarettes à faible teneur en goudron, Mme Polet a déclaré : Il n'existe aucune preuve selon laquelle les cigarettes à goudron moindre ou même tout autre type de cigarettes sont plus sûres d'une quelconque façon que les cigarettes au taux de goudron plus élevé, et a ensuite ajouté de façon ambivalente : Des études ont démontré que statistiquement, les fumeurs usant de cigarettes ultra-faibles en goudron tel que mesuré par la méthode ISO sont en fait moins exposés à la fumée en moyenne que quelqu'un qui ... fume des cigarettes plus riches en goudron.

La compagnie continue de faire des recherches sur les cigarettes plus sécuritaires, mais rejette la responsabilité de leur acceptation sur le gouvernement. Dans les pays que je connais, il serait contraire à la loi de véhiculer des allégations allant dans le sens que nos produits sont plus sûrs, a-t-elle déclaré.

Comme hier, Mme Polet a fait référence à BAT comme étant transparente sur ses activités de recherche, pointant vers leur site Web de circonstance, www.bat-science.com . Nous publicisons tout le travail que nous faisons, dit-elle.

Les travaux se poursuivent au Projet Day visant la réduction des produits toxiques dans la fumée, ajouta-t-elle, même si ce travail a déménagé à Southampton (Royaume-Uni) et le lieu de production, en Suisse. Le procès avait déjà mis en lumière que les documents de recherche avaient été détruits au Canada, mais c'est le témoignage de Mme Polet qui a permis d'apprendre que leur infrastructure canadienne de recherche avait également été entièrement démantelée.

La Cour d'appel dit non

Le 11 mai, la juge Marie St-Pierre de la Cour d'appel du Québec a entendu les requêtes d'Imperial Tobacco et de JTI-Macdonald pour faire appel des décisions du juge Riordan concernant l'admission des preuves. Le 4 juin, elle a refusé ces deux demandes, expliquant qu'une procédure d'ordre juridique supérieur n'était pas appropriée dans les circonstances.

Une décision s'est penchée sur la décision du juge Riordan du 2 mai, évoquée presque tous les jours de procès par les avocats d'Imperial Tobacco qui continuent de s'opposer à l'admission de preuves pour lesquelles un auteur ou un destinataire n'est plus disponible. L'autre décision concernait les soucis de JTI-Macdonald de voir déposés certains documents d'ITCL. Il n'est toujours pas clair si c'est par grandeur d'âme ou pour des motifs plus stratégiques que JTI-Macdonald s'est portée volontaire pour faire appel à ce sujet au nom d'Imperial Tobacco.

Le témoignage de Mme Polet à ce procès se terminait aujourd'hui. Les vétérans de campagnes pro-santé passées trouveront certainement intéressante la comparution demain de Bill Neville, qui dirigeait le Conseil canadien des fabricants des produits du tabac lors de l'élaboration des premières lois canadiennes sur le tabac. Il est appelé à témoigner pendant au moins deux jours. 

Texte original : Cynthia Callard


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