jeudi 31 mai 2012

34e jour - 30 mai - Fumée toxique mais si savoureuse

Quand on lui a présenté une liste d'une trentaine de substances contenues dans la fumée du tabac, substances nommées dans un mémo interne de l'industrie daté de mars 1997 (pièce 364), et qu'Andrew Porter s'est fait demander par le procureur Pierre Boivin de nommer celles de ces substances qui n'étaient pas cancérogènes, le témoin, qui a travaillé comme chimiste pour l'industrie du tabac de 1977 à 2007, a facilement admis qu' « elles étaient toutes connues pour être toxiques ou cancérogènes » (traduction de l'auteur du blogue).

Dans cette liste-là se trouvaient notamment l'ammoniac, le benzène, le toluène, le formaldéhyde, le monoxyde de carbone, etc.  Des substances fort utiles dans certains cas pour laver les planchers ou pour remplir des batteries d'automobiles.  La liste ne mentionnait pas le cadmium, le chrome ou le plomb, souvent mentionnées dans d'autres listes de ce genre.

Dans son mémorandum de mars 1997, le chimiste et « manager » Stewart R. Massey appelait la liste en question « Hoffman List », non sans faire sauter un N dans le nom du biochimiste américain d'origine allemande Dietrich Hoffmann, qui a publié dès la fin des années 1950 des articles scientifiques sur les composants toxiques de la fumée du tabac. (Hoffmann est mort en avril 2011, à l'âge de 87 ans.)

La liste citée par Massey avait été utilisée lors d'un procès aux États-Unis l'année d'avant, comme s'il fallait que des tribunaux, qui  ne donnent pas tous l'air d'aimer parler de chimie, puissent lire ce que la fumée du tabac contient de malfaisant, pour que les cadres de l'industrie considèrent pressant de régler le problème.

Lors de son interrogatoire en mai, le témoin Ed Ricard avait dit qu'au moment de sa retraite d'Imperial en 2011, il était en charge d'un programme de réduction des méfaits.  Lors de son interrogatoire d'hier, le chimiste Andrew Porter n'est pas parvenu à trouver ce qu'avait pu être la contribution à la réduction des méfaits d'un homme du marketing comme Ed Ricard.

Rendre la fumée moins irritante

Lors de son témoignage du 19 avril, Jean-Louis Mercier, chef de la direction d'Imperial de 1979 à 1993, avait déclaré que le tabac des cigarettes vendues au Canada était sans additif.

Ce genre d'idée recrute probablement plus d'adeptes dans la haute direction des entreprises cigarettières ou dans les départements de marketing, que chez les chimistes de ces mêmes entreprises.

Difficile de se conter des légendes quand on passe des années, comme Andrew Porter, à étudier des moyens de rendre la fumée des cigarettes moins irritante, ou à modifier le dosage des différents types de nicotine dans la fumée, notamment en modifiant la composition du papier des cigarettes. (pièce 386)

M. Porter a souvent pris soin de distinguer les cigarettes des laboratoires de l'industrie de celles qui sont finalement commercialisées.

En masse d'additifs, la plupart secrets

Reste qu'en 1985, l'industrie canadienne a déjà admis qu'elle utilisait des additifs dans ses produits (pièce 47).  Le Conseil canadien des fabricants du tabac (CTMC) parlait alors des humectants, des agents de préservation et des saveurs.

Pour ne pas dévoiler la liste de la plupart des additifs, le CTMC invoquait le secret commercial des cigarettiers, un peu comme quand PFK invoque la recette secrète de poulet frit du colonel Sanders pour se protéger des concurrents potentiellement imitateurs.

Encore en 2012, la plupart des substances ajoutées au tabac (ou au papier) par l'industrie sont inconnus des gouvernements et des tribunaux canadiens.

Les documents examinés en Cour supérieure du Québec, dans un procès en recours collectifs de plus d'un million de fumeurs, sont, à nouveau, expurgés, au nom du secret commercial.  (pièces 372 et 374)

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L'interrogatoire d'hier a aussi permis de voir à quel point Imperial Tobacco en savait long sur le phénomène de la compensation.  Un écrit d'Andrew Porter passe en revue les recherches faites dans la compagnie entre 1978 et 1994.  (pièce 388)

La tendance que les fumeurs ont, en utilisant des cigarettes à basse teneur en nicotine, à en fumer un plus grand nombre, ou à les fumer plus complètement ou à les fumer autrement, voilà une façon de voir le phénomène de la compensation.


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Pour accéder aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectif contre les trois grands cigarettiers, il faut commencer par
1) aller sur le site de la partie demanderesse https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm
2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information,
3) et revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens à volonté.