vendredi 18 mai 2012

31e jour - 17 mai - HUIS CLOS

Jeudi matin, Imperial Tobacco avait mobilisé des forces fraîches pour convaincre le juge Brian Riordan de la nécessité, non pas seulement de rendre une ordonnance de non-publication des débats entourant l'examen de certaines pièces au dossier de la preuve, mais de faire cet examen à huis clos.

Me Silvana Conte et Me Nancy Roberts, les deux avocates supplémentaires dépêchées par ITCL au procès de Montréal, souhaitaient même que leur réquisitoire soit entendu à huis clos, afin d'éviter elles-mêmes de révéler « par inadvertance » des renseignements.

Le juge Riordan a refusé de suivre les avocates d'Imperial sur cette piste, et leur a imposé de commencer leur exposé et de le pousser le plus loin possible.

Il a été fait notamment référence à un jugement du 26 avril 2002 de la Cour suprême du Canada, que Me Conte et le juge ne semblent pas lire tout à fait de la même façon.

Beaucoup plus tard, le magistrat a fini par déclarer qu'il voulait lui-même poser des questions sur la nature des renseignements à protéger du regard public, et il a décidé, un peu avant la pause du midi, que le tribunal allait siéger à huis clos, essentiellement pour obtenir réponse à ses questions.

Le juge a pris sa décision après avoir aussi entendu le point de vue de Me André Lespérance, qui avait plaidé pour le compte des recours collectifs.  L'avocat avait fait valoir et proposé des moyens qu'il croit aptes à satisfaire la défense tout en diminuant le moins possible le caractère public que doit avoir un procès dans le système de justice québécois, comme dans n'importe quelle juridiction.

Ce que le public a eu le droit d'entendre alors que s'appliquaient encore les règles ordinaires du procès, c'est la prétention d'Imperial Tobacco que le but essentiel de sa requête était d'empêcher les compagnies concurrentes d'avoir un accès à des renseignements qui lui serait préjudiciable.

Il s'agit pourtant souvent de données concernant les croyances des fumeurs au sujet des méfaits du tabagisme.  La semaine dernière, ITCL a même voulu jeté un voile sur des renseignements vieux de 30 ans.

Ironiquement, quand elle contestait la loi fédérale sur le tabac de 1997 devant les tribunaux, dans les années 1997 à 2007,  l'industrie prétendait que l'interdiction de plus en plus complète de la publicité des produits du tabac allait empêcher les cigarettiers de se concurrencer, une concurrence qui était présentée comme un immense bienfait.

D'autre part, il semble que 15 ans d'application interrompue de la Loi sur le tabac n'ont pas encore fait disparaître la concurrence, et il faudrait croire que ce sont les concurrents plutôt que les pouvoirs publics qu'Imperial craint d'armer.  Hum.


Blogues, banque de pièces au dossier et transcriptions

Outre le juge, la greffière, la sténographe et le huissier, les avocats des cabinets juridiques engagés dans la cause, y compris (oui, oui) ceux des deux grands cigarettiers concurrents d'Imperial Tobacco sur le marché canadien, sont donc restées dans la salle d'audience une fois le huis clos au nez du public.

Ces avocats sont évidemment tous tenus de par leur serment d'office de ne révéler à personne ce que le huis clos est censé protéger.  Ont aussi été admises à rester, des personnes qui avaient prêté un serment de confidentialité.

Ce n'était naturellement pas le cas des auteurs des blogues Eye on the trials et Lumière sur les procès du tabac, qui sont donc les deux seuls individus présents que le huis clos aura permis d'exclure provisoirement de la salle d'audiences 17.09 du palais de justice de Montréal.

( Ce n'était pas une affaire de toge.  :-)  En l'absence de témoins à interroger, le juge avait recommandé mercredi à l'équipage d'avocats du  procès de mettre les toges de côté jeudi. )

Une conséquence plus grave d'une séance à huis clos est que des documents examinés par le tribunal de Brian Riordan n'aboutissent pas dans le dossier de la preuve, dossier auquel ont accès les avocats du monde entier, et notamment ceux des gouvernements provinciaux canadiens qui préparent le lancement ou la relance de leur poursuite contre l'industrie.  Ces poursuites visent à de recouvrer le coût des soins de santé additionnels rendus nécessaires par l'épidémie de tabagisme.

Dans le cadre d'une séance de procès à huis clos, la transcription sténographique des débats informe peu.

L'épisode du huis clos s'est terminé vers 16h30.

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La semaine prochaine, aucune audience n'est prévue au procès.  L'honorable Brian Riordan en profitera pour avancer dans ses lectures, et pour écrire certains jugements que les parties ont hâte de connaître.

Le 28 mai, M. Roger Ackman, un ancien conseiller juridique en chef d'Imperial, recomparaîtra devant le tribunal.  Il devrait être suivi par d'autres cadres de la même compagnie, en mai et en juin.

Les 20 et 21 juin, les procureurs des recours collectifs espèrent interroger un ancien vice-président à la recherche et au développement de Brown & Williamson aux États-Unis, le chimiste Jeffrey Wigand.  En tant que filiales de British American Tobacco, B&W et ITCL partageaient bien des secrets.