mercredi 4 avril 2012

10e jour - 3 avril - Ces documents qu’Imperial ne voulait pas garder en sa possession : cinq exemples

Lundi, le procureur Gordon Kugler avait demandé au témoin Roger Ackman, ancien conseiller juridique en chef chez Imperial, de parcourir d’ici mardi matin un échantillon de cinq rapports de recherche scientifique (pièces 501, 502, 503, 504 et 505 (numéros temporaires) au dossier de la preuve) parmi la centaine dont la compagnie ne voulait pas garder la moindre copie en 1992 (et qui seront éventuellement toutes enregistrées un jour dans le dossier de la preuve).

Hier matin, l’ancien avocat interne d’Imperial  a commencé par plaider (par déformation professionnelle ou tactique décidée avec les procureurs de son ancien employeur ?) qu’il n’est pas scientifique et ne pouvait donc pas se prononcer.

Le juge Riordan a dû rappeler au témoin d’attendre les questions.
Me Kugler a fait lire à l’ancien conseiller juridique en chef d’Imperial un passage d’un rapport de recherche de 1974 intitulée Experimental Tumogenesis in the Hamster Larynx  : « Plusieurs chercheurs et nos propres expériences ont montré que la fumée du tabac favorise l’apparition de tumeurs quand elle est appliquée répétitivement sur la peau de souris ayant reçu une faible dose d’une substance cancérigène telle que le DMBA.  Cette information suggère que la fumée de tabac inhalée pourrait pareillement favoriser la genèse de carcinomes…» (traduction sommaire de l’auteur du blogue).

Me Kugler a ensuite demandé au témoin si, en tant que membre du comité de direction d’Imperial, il croyait que sa compagnie aurait dû partager l’étude de 1974 ou ses conclusions avec le gouvernement et le public.  Roger Ackman a dit qu’il ne le savait pas.
Le procureur des recours collectifs a ensuite fait lire à l’ancien conseiller juridique en chef d’Imperial un passage d’une étude de 1976 intitulée A Review of the Genetics and Consequences of 1-antitrypsin Deficiency : « L’occurrence d’emphysème du poumon a été associée au tabagisme, bien qu’il existe des preuves que la prédisposition à l’emphysème est héréditaire.  Durant les douze dernières années, il y a une accumulation de solides preuves qu’une déficience en 1-antitrypsine ( 1-AT) dans le sérum sanguin prédispose à l’emphysème, et que cette déficience peut être héréditaire.  En conséquence» (traduction sommaire de l’auteur du blogue).

Me Kugler a de nouveau demandé au témoin si, en tant que membre du comité de direction d’Imperial, il croyait que sa compagnie aurait dû partager l’étude de 1976 ou ses conclusions avec le gouvernement et le public.  Roger Ackman a dit qu’il n’avait pas d’opinion là-dessus.
Le procureur Kugler a ensuite fait lire à l’ancien conseiller juridique en chef d’Imperial un passage d’un rapport de 1989 sur la présence de coumarin dans le tabac, telle que mesurée par trois méthodes de détection.

Le passage disait que « le coumarin ne devrait plus être ajouté comme arôme aux mélanges de tabac » (traduction sommaire de l’auteur du blogue).  (En mars, au procès, nous avons vu que les cigarettiers croient que le coumarin est connu du grand public en tant qu’ingrédient du poison à rat.)
Roger Ackman a dit qu’il ne pouvait pas se souvenir que le comité de direction d’Imperial ait déjà discuté du retrait du coumarin des produits de la compagnie.

Un quatrième rapport de recherche était intitulé A Comparative Inhalation Study on Smoke from Cigarettes with Different Filters.
Le passage que Me Kugler a fait lire par l’ancien conseiller juridique en chef d’Imperial disait : « Par conséquent, si les fumeurs humains montrent une réaction similaire [aux rongeurs] et inhalent plus volontiers une fumée moins irritante [grâce aux filtres], alors le bénéfice supposé de ces filtres de vapeur irritante est amoindri…» (traduction sommaire de l’auteur du blogue).

Roger Ackman ne se souvient pas que le comité de direction de sa compagnie ait une fois discuté de l’usage de filtres sur les cigarettes.  (Alors que des documents déposés en preuve en mars dernier ont montré qu’il y avait eu d’amples discussions chez Imperial à propos d’un projet de brochure de la maison-mère British American Tobacco (BAT), une brochure où il était notamment question de faire valoir aux employés d’Imperial les retombées sanitaires bénéfiques qu’aurait supposément eu l’ajout de filtres aux cigarettes.) 
Roger Ackman ne voit pas pourquoi sa compagnie aurait dû partager avec le gouvernement les conclusions de cette recherche sur l’effet des filtres.
Une cinquième recherche intitulée Compensation for Change Delivery affirmait, grosso modo, que les fumeurs endurcis compensent la faible teneur en nicotine de certaines cigarettes en fumant davantage.

Lorsque questionné par Me Kugler, Roger Ackman a dit qu’il n’avait pas d’opinion concernant la pertinence pour sa compagnie de fournir cette étude au gouvernement.
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La journée d’hier a permis de verser aux dossiers d’autres documents qui confirment l’implication de l’ancien conseiller juridique en chef d’Imperial dans la définition et l’application d’une politique de rétention/élimination de documents chez Imperial.

Lundi dernier, Me Simon Potter, défenseur de longue date de compagnies de tabac, avait déploré devant le tribunal que des articles parus le matin même dans La Presse ne mentionnaient pas que c’était seulement des copies, et non des originaux de documents, dont il avait supervisé la destruction en 1992.

Hier, la Cour a pu constater mieux que jamais que ces « copies » tracassaient terriblement l’avocat Roger Ackman, celui qui avait engagé Potter à l’époque.
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Me Gordon Kugler a aussi interrogé le témoin Ackman à propos d’un mémorandum de BAT adressé en 1975 à ses filiales.  La multinationale faisait valoir que l’acceptation sur les paquets de cigarettes de mises en garde sanitaires qui ne seraient pas attribuées au gouvernement, et qui seraient donc implicitement endossées par les fabricants, aurait des « conséquences désastreuses » (disastrous consequences).

Le procureur a demandé s’il existait la moindre raison de juger désastreuses les conséquences d’un tel changement.  Roger Ackman a dit qu’il suppose que cela aurait découragé les gens de fumer.
Et vous trouverez cela désastreux ?, a demandé Me Kugler.

Je ne peux pas répondre à cela, a répondu celui qui était le conseiller juridique en chef d’Imperial.
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L’interrogatoire de Roger Ackman se poursuit aujourd’hui, cette fois-ci par Me Bruce Johnston.