jeudi 5 avril 2012

11e jour - 4 avril - Contraire au code d'éthique ? Pas au courant.

En vertu du Code de déontologie des membres du Barreau du Québec, « l’avocat doit agir avec dignité, intégrité, honneur, respect, modération et courtoisie » (article 2.00.01).  L’article 3.02.01 du même code énumère des actes qui « contreviennent à l’obligation d’agir avec intégrité », entre autres : « soustraire une preuve que lui-même ou le client a l’obligation légale de conserver, de révéler ou de produire ».

En avril 1985, celui qui était le haut responsable des affaires juridiques chez Imperial Tobacco depuis 1972, un membre du Barreau québécois durant toute sa carrière, Roger Ackman, donnait à Toronto une allocution détaillée sur le rôle des conseillers juridiques internes des compagnies. Pconv103
Me Ackman y déclarait notamment : « C’est mon avis que si les différents codes professionnels de conduite sont lus soigneusement, ils fournissent la plupart des réponses que l’avocat corporatif cherche pour tracer une ligne de conduite éthique.» (traduction de l’auteur du blogue)

Quand le procureur des recours collectifs Bruce Johnston a demandé hier (mercredi 4 avril) à l’ancien conseiller juridique en chef d’Imperial s’il était au courant que la destruction de preuves était contraire à l’éthique des avocats, Roger Ackman a répondu que non.
Il n’a pas dit qu’il ne s’en souvenait pas, alors que les remarques « It’s been a long time ago ! » (Cela fait longtemps !), « It’s been thirty years ! » (Cela fait 30 ans !) ont terminé ou ponctué depuis lundi un grand nombre de ses réponses en interrogatoire.

(Avertissement : Depuis le début de ce procès, tous les interrogatoires se déroulent en anglais.  La traduction tentée par l’auteur du blogue est sans prétention professionnelle.)
Hier, Me Johnston a interrogé l’ancien conseiller juridique d’Imperial Tobacco à propos de la prétention de sa compagnie de ne pas encourager les gens à fumer. 

« Pourquoi votre compagnie avait cette politique ?, a demandé le procureur. 
Je ne sais pas pourquoi, a répondu Roger Ackman.

Vous ne savez pas pourquoi ?, a répété Me Johnston.
C’était un produit légal », a répondu Ackman.

Abandonnant un moment le personnage de vieillard bourru qu’il se compose lorsqu’il est dans la salle d’audience ou devant les caméras, le témoin s’est même permis une fois de persifler. 
À une question de Me Johnston, c’est un Roger Ackman rajeuni qui a répondu que sa compagnie « était dans les affaires pour faire de l’argent, comme le gouvernement ».  Cette remarque inattendue a fait pouffer de rire une partie de l’assistance habituée au discours des cigarettiers à propos de leurs « partenaires » gouvernementaux.

Mais le procureur Johnston a surfé sur la vague d’hilarité.
« C’est un produit légal et vous voulez en vendre autant que possible, alors pourquoi ne pas encourager les gens à fumer ?

Je ne sais pas, a répondu Roger Ackman.
Est-ce parce que des gens meurent d’avoir consommé le produit ?, a suggéré Johnston.

Je ne répondrai pas à cette question », a conclu Ackman.
Un peu plus tard dans la matinée, Me Johnston a voulu savoir comment Me Ackman expliquait la contradiction entre des propos du chef des relations publiques d’Imperial Tobacco, Michel Descôteaux, lorsque l’affaire de la destruction de documents a éclaté en septembre 1998, et un mémo interne à propos de trois listes de documents.

En 1998, lors d’une émission à l’antenne de la station de télévision CFCF de Montréal, Descôteaux a dit que « tout ce que la compagnie a fait était de s’être débarrassé de papier inutile qui encombrait nos classeurs ». (traduction de l’auteur du blogue)
 Roger Ackman, de son côté, écrivait en juillet 1992 que les documents sujets à une rétention ou à une destruction avaient été répartis en trois listes.  Le vice-président à la recherche et développement, un scientifique de formation, Patrick Dunn, avait trié les documents des deux premières listes pour savoir lesquels seraient détruits.  Ackman prenait note que Dunn allait trier les documents de la troisième liste à son retour de vacance.  Dans l’intervalle, les documents de la deuxième liste destinés à être détruits seraient acheminés à Me Simon Potter, un avocat externe embauché par Imperial, qui avait déjà accompli la besogne pour la première liste.

Me Johnston a voulu savoir du témoin Ackman pourquoi toute cette procédure juste pour faire de l’espace dans les classeurs.  Ce dernier a répondu qu’il ne savait pas ce que cela signifie.
« Pourquoi les documents ont été expédiés à un avocat externe après avoir été divisés en trois listes ? a demandé Johnston.

 Je n’en ai pas de souvenir, a répondu Roger Ackman.
Est-ce que cela a à voir avec leur caractère plus ou moins compromettant ?,  a suggéré Me Johnston. 

Je ne crois pas que j’ait vu les documents, alors je ne sais pas », a répondu l’ancien chef des affaires juridiques d’Imperial.
Me Johnston a demandé à Roger Ackman s’il était d’accord avec l’idée qu’Imperial avait l’obligation de connaître ses produits et l’obligation de ne pas supprimer des preuves [que ces produits sont dangereux].

« Autant que je sache, les documents existent encore », a aussi mentionné Roger Ackman, avant de préciser, un peu plus tard dans l’interrogatoire :
« Nous y avions accès en tout temps.  Si Imperial les demandait [à la maison-mère British American Tobacco], ils nous les retournaient.

Et si des plaignants les réclamaient ?, a demandé Me Johnston.
Je n’ai pas de réponse à cela », a répliqué l’ancien conseiller juridique en chef d’Imperial.


Le choix des consommateurs

Lorsque le procureur des victimes du tabac a demandé à Roger Ackman s’il était au courant que la plupart des fumeurs ont commencé avant l’âge de 18 ans, ce dernier a répondu que non.
Me Johnston lui a alors demandé si de savoir cela aurait changé ses réponses données plus tôt durant l’interrogatoire.

« Les gens font des choix.  C’est un produit légal.  Je ne fais pas de choix pour eux, a déclaré Me Ackman, d’un ton catégorique.
Alors c’est LEUR problème ?, a demandé Johnston.

C’est LEUR problème », a répondu l’ancien conseiller juridique en chef d’Imperial Tobacco.